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Le mystère de Ker-Even 2

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| I

À une vingtaine de kilomètres de Valenciennes, le comte de Ronchay possédait un vaste et vieux château entouré d’un parc assez important. C’était la demeure patrimoniale des Ronchay, dont Maurice se trouvait maintenant le seul descendant.

Jusqu’à son mariage, il n’y avait fait que de courts séjours, préférant à cette paisible demeure les stations balnéaires à la mode ou les villégiatures chez des amis. Seul, y demeurait un vieux ménage d’anciens serviteurs, Adolphe et Caroline Dussaud, chargés de veiller à son entretien en se faisant aider par des gens du village voisin quand ils le jugeaient nécessaire.

Elsa ayant choisi la Belgique pour y faire son voyage de noces, les jeunes époux, l’année dernière, s’étaient arrêtés au passage à Vanelles...

Et, bien que ce fût encore l’hiver, le vieux château avait paru plaire beaucoup à la nouvelle comtesse.

En automne, elle avait voulu y revenir. On avait invité quelques amis de Maurice, quelques relations faites au cours de l’été à Trouville. Elsa, très aimable maîtresse de maison, avait su rendre l’existence fort agréable à ses hôtes... Et Maurice avait convenu que Vanelles, ainsi, n’était pas du tout un logis ennuyeux.

Mais Mme de Ronchay projetait d’y faire d’importantes améliorations. À ce sujet, pendant l’hiver, elle avait conféré plusieurs fois avec un architecte de son choix, au nom bien français de Wolmayer... Maurice la laissait agir à sa guise, approuvait tout à l’avance, car, en outre du désir qu’il avait de satisfaire à toutes les fantaisies d’Elsa, il s’arrangeait assez, dans son habituelle indolence, d’être ainsi déchargé de toute décision, de toute préoccupation.

Elsa profitait largement de cet état d’esprit – si largement, qu’après un an de mariage, le comte se trouvait complètement annihilé, n’ayant même pas le droit de risquer une observation... C’était ainsi qu’au début de mars Mme de Ronchay avait décidé qu’ils iraient passer un mois à Vanelles, où elle voulait donner un coup d’œil aux réparations en cours...|

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I
IÀ une vingtaine de kilomètres de Valenciennes, le comte de Ronchay possédait un vaste et vieux château entouré d’un parc assez important. C’était la demeure patrimoniale des Ronchay, dont Maurice se trouvait maintenant le seul descendant. Jusqu’à son mariage, il n’y avait fait que de courts séjours, préférant à cette paisible demeure les stations balnéaires à la mode ou les villégiatures chez des amis. Seul, y demeurait un vieux ménage d’anciens serviteurs, Adolphe et Caroline Dussaud, chargés de veiller à son entretien en se faisant aider par des gens du village voisin quand ils le jugeaient nécessaire. Elsa ayant choisi la Belgique pour y faire son voyage de noces, les jeunes époux, l’année dernière, s’étaient arrêtés au passage à Vanelles... Et, bien que ce fût encore l’hiver, le vieux château avait paru plaire beaucoup à la nouvelle comtesse. En automne, elle avait voulu y revenir. On avait invité quelques amis de Maurice, quelques relations faites au cours de l’été à Trouville. Elsa, très aimable maîtresse de maison, avait su rendre l’existence fort agréable à ses hôtes... Et Maurice avait convenu que Vanelles, ainsi, n’était pas du tout un logis ennuyeux. Mais Mme de Ronchay projetait d’y faire d’importantes améliorations. À ce sujet, pendant l’hiver, elle avait conféré plusieurs fois avec un architecte de son choix, au nom bien français de Wolmayer... Maurice la laissait agir à sa guise, approuvait tout à l’avance, car, en outre du désir qu’il avait de satisfaire à toutes les fantaisies d’Elsa, il s’arrangeait assez, dans son habituelle indolence, d’être ainsi déchargé de toute décision, de toute préoccupation. Elsa profitait largement de cet état d’esprit – si largement, qu’après un an de mariage, le comte se trouvait complètement annihilé, n’ayant même pas le droit de risquer une observation... C’était ainsi qu’au début de mars Mme de Ronchay avait décidé qu’ils iraient passer un mois à Vanelles, où elle voulait donner un coup d’œil aux réparations en cours. Il avait bien essayé d’objecter timidement que le logis serait froid, le chauffage central n’y étant pas encore installé, qu’ils s’y trouveraient de toute façon fort inconfortablement, étant donné la présence des ouvriers, les plâtras, etc. Mais Elsa avait déclaré péremptoirement qu’il convenait avant tout d’aller jeter là-bas le coup d’œil du maître... Ils y étaient depuis trois semaines, quand, un matin, Elsa fut appelée au téléphone, qu’elle avait fait établir au château récemment. Ce qu’elle y entendit devait être fort impressionnant, car, lorsqu’elle raccrocha les récepteurs, ses mains tremblaient un peu et son visage avait pâli. Elle s’assit au hasard, dans le petit salon dont elle avait fait son domaine particulier. Le front entre ses mains, elle réfléchit longuement. Puis elle se leva, et, très calme en apparence, se dirigea vers la chambre, où Maurice commençait de s’habiller. – Milsen vient de me téléphoner qu’il souffre de plus belle, et que le docteur Walchs lui conseille d’entrer à l’hôpital. Milsen, le chauffeur des Ronchay, s’était trouvé pris subitement de violentes douleurs de reins, la veille du départ de ses maîtres pour Vanelles. La comtesse avait fait venir son médecin – un fils d’Allemand naturalisé – qui avait décrété le repos complet pendant un temps qu’il ne pouvait déterminer. En conséquence, et comme Mme de Ronchay déclarait ne pas vouloir confier sa voiture ni sa personne à un chauffeur d’occasion, les deux époux étaient partis par le chemin de fer, avec les autres domestiques laissant Milsen à l’hôtel du parc Monceau, où le docteur Walchs avait promis de le venir voir souvent et de prendre les mesures nécessaires, s’il le voyait plus souffrant. Les jours précédents, le chauffeur avait annoncé une amélioration dans son état, et déclaré qu’il espérait pouvoir venir rejoindre ses maîtres dans le courant de la semaine – annonce qui avait fort satisfait M. de Ronchay, car, être à peu près bloqué dans Vanelles, avec pour tout équipage une vieille voiture et un vieux cheval, constituait une sérieuse aggravation à une situation qu’il jugeait déjà fort peu intéressante. Aussi eut-il une grimace de contrariété, en entendant la nouvelle que lui apprenait sa femme. – C’est vraiment agréable !... Aussi, pourquoi n’est-il pas allé tout de suite à l’hôpital ? On l’y aurait soigné sérieusement, au moins. Tandis que là, seul dans cette maison... Elsa l’interrompit sèchement. – Vos récriminations sont ridicules, mon cher !... Milsen, je vous l’ai dit, espérait être guéri très vite, et c’était également l’idée du docteur. Pourquoi vouliez-vous qu’il se donnât l’ennui d’entrer à l’hôpital, surtout quand le médecin lui-même n’était pas de cet avis ? Maintenant, c’est différent ; du moment où son état semble s’aggraver, une autre solution s’impose. Mais il est indispensable que j’aille là-bas, pour me rendre compte de ce qui en est, puis former la maison, si Milsen est obligé de la quitter. Maurice essaya de saisir la balle au bond. – Fermer la maison ?... Pourquoi plutôt ne pas nous y installer dès maintenant ?... Voilà trois semaines que nous sommes ici... – Et nous y resterons encore une quinzaine de jours, probablement. Cette propriété me plaît beaucoup ; en outre, j’ai des instructions à donner aux entrepreneurs, et je veux être là pour en surveiller l’exécution. Maurice étouffa un soupir... Quinze jours encore ! Ah ! ce maudit Vanelles !... Que n’avait-il eu la bonne idée de le vendre, trois ans auparavant, quand un gros industriel d’outre-Rhin, relation de casino, lui avait discrètement insinué qu’il cherchait à acquérir une propriété dans « ce beau pays du Nord » ! Il dit avec résignation : – Eh bien ! soit... Nous reviendrons, puisque tu le juges indispensable... – Comment, « nous » reviendrons ?... T’imagines-tu que tu vas m’accompagner ? – Mais, chérie, naturellement... Elle leva les épaules. – Ce serait stupide !... Pour vingt-quatre heures que je resterai là-bas. – Mais, mon amie... Elle déclara, d’un ton tranchant, et avec cet air de dure autorité qui médusait Maurice : – Allons, ne fais pas le sot ! Tu demeureras ici tranquillement, tandis que je m’en irai voir ce pauvre Milsen – un excellent serviteur, très dévoué, qu’il serait bien ennuyeux de perdre ! Maurice courba le front. Il n’avait qu’à se soumettre, ayant parfaitement conscience de n’être pas le plus fort. La comtesse, aussitôt, donna l’ordre d’atteler, fit préparer une valise par sa femme de chambre... Une heure plus tard, elle quittait Vanelles, pour aller prendre, à la plus proche station, le train de Paris. * Ce même jour, à la nuit tombante, une femme, couverte d’une cape noire, le visage entouré d’un voile sombre, s’arrêtait devant la porte d’un coquet hôtel du parc Monceau. Quelqu’un la guettait, sans doute, car cette porte s’entrouvrait avant qu’elle eût sonné, puis se referma prestement aussitôt que la femme fut entrée. Dès le vestibule sombre, où se dressait une silhouette d’homme, elle chuchota en allemand : – Eh bien ? – M. le baron paraît aller mieux ce soir, madame la comtesse. Le docteur espère le sauver. – Ah ! tant mieux ! Mais quelle malchance. Quelle odieuse malchance ! Venez me raconter cela, Milsen... Puis nous aviserons... Elle entra dans une pièce à l’extrémité du vestibule, en tournant au passage un commutateur. La lumière éclaira un petit salon aux tentures de soie jaune brochée, aux meubles Empire. La jeune femme demanda, tout en jetant sa cape sur un siège et en commençant à défaire son voile : – Les volets sont bien clos, ici ? – Très bien, madame la comtesse. Et puis, du côté du jardin, on ne doit pas voir la lumière. – Il est toujours préférable de se méfier. Mais, avec les volets fermés, rien à craindre. Elle enleva rapidement son voile, et l’envoya rejoindre la cape. Le beau visage d’Elsa apparut, soucieux, un peu crispé. En se jetant sur un siège, la jeune femme demanda : – Voyons, qu’est-il arrivé ?... Vous m’avez dit, au téléphone : « Elle a tiré sur lui... Il est blessé gravement. » Elle avait donc une arme ? – Eh ! oui, malheureusement !... Aurait-on pu penser pourtant qu’une toute jeune fille comme cela portait sur elle un revolver ?... Tout avait marché si bien, jusque-là ! Nous avions enlevé la petite sans qu’elle jette un cri ; Anna s’était effondrée sous mon poing comme si elle n’avait fait que cela de sa vie ; la jeune personne avait été amenée ici, enfermée dans ce salon... Et crac ! tout manque ; M. le baron est aux trois quarts tué, la jeune fille s’échappe... – Mais enfin, que s’est-il passé entre lui et elle ? – Je ne puis le dire exactement, madame la comtesse, car je n’étais pas là. Mais c’est facile à deviner... M. le baron aura voulu s’approcher d’elle, et elle aura tiré à ce moment-là... Aussitôt que j’ai entendu le coup, je suis accouru. Mais elle m’a menacé de son revolver, et j’ai jugé plus prudent de ne pas insister... Aussi bien, le coup était manqué. Il ne s’agissait plus que de s’en tirer le mieux possible. Elsa se leva, irritée. – Mais vous n’aviez donc pas d’armes, vous autres ?... – Certainement, nous en avions, madame la comtesse ! Mais M. le baron, qui ne supposait pas du tout courir un danger en allant faire sa cour à cette jolie personne avait laissé dans la poche de son manteau son revolver, ainsi que je l’ai constaté ce matin. Quant à moi, j’avais bien le mien... Mais pas le temps de le prendre !... La petite aurait tiré, car elle avait un air résolu !... Et j’assure bien à Madame que sa main ne tremblait pas, en me visant ! Elsa leva les épaules, furieusement. – Ah ! maladroits !... triples maladroits, tous deux ! Si j’avais été là, j’aurais bien su bondir sur elle, lui enlever cette arme ! Milsen prit un air vexé. – J’aurais bien voulu voir comment s’y serait prise Madame !... C’est très facile à dire !... Mais, quand on a un révolver braqué entre les deux yeux, presque à bout portant... eh bien ! on cherche d’abord à sauver sa peau ! Si je m’étais fait tuer, ça n’aurait servi à personne, bien au contraire !... Tandis que j’ai pu au moins secourir M. le baron qui, sans cela, serait mort là. Or, voilà qui aurait fait une belle histoire, si on l’avait trouvé ici ! Elsa dit nerveusement : – Croyez-vous donc que cela n’en fera pas aussi, la jeune fille ayant échappé ? Si elle a remarqué la maison, l’endroit où elle se trouve, nous sommes dans de jolis draps ! – Il y a des chances que non. Elle ne devait penser qu’à fuir, pour le moment. – Personne n’est venu, ici, depuis hier ?... Vous n’avez rien remarqué de suspect, aux alentours ? – Rien, madame la comtesse... Et il n’est venu que M. le docteur. Je suis allé le chercher cette nuit, en toute hâte ; il est revenu tout à l’heure, et repassera ce soir, pour causer avec Madame et voir encore le blessé. – Bon... Où avez-vous mis le baron ?... – Dans la chambre d’amis qui donne sur le jardin, madame la comtesse. – Je vais monter près de lui... Où est-il blessé ? – À la poitrine... Un poumon est atteint, paraît-il. Ah ! j’ai eu peur, quand je l’ai vu là, étendu, et tout ce sang ! Madame voit, j’ai dû enlever le tapis, que j’ai mis dans un coin de la cave. Il faudra que je le brûle le plus tôt possible... Heureusement, il est épais, de sorte que le sang n’a pas traversé. – Oui... Et, de mon côté, je verrai à expliquer de façon plausible sa disparition... Un accident quelconque... de l’encre, ou autre chose... Peu importe ! « Vous n’avez pas entendu parler de M. Mülbach ? – Pas du tout, madame la comtesse. – Il viendra peut-être ce soir... Naturellement, il doit être furieux que l’affaire ait manqué !... Mais il ne l’est pas plus que moi, certainement ! Comme la comtesse se dirigeait vers la porte, Milsen demanda : – Madame la comtesse veut-elle dîner ? – Oui, si vous avez de quoi. Il me faut peu de chose, d’ailleurs. Toutes ces complications ne sont pas pour me donner de l’appétit ! Et, la mine soucieuse, Elsa monta l’escalier, entra dans une chambre du premier étage... Là, dans le lit, était étendu Friedrich de Rechensfeld, la face blême et tirée. Entendant ouvrir la porte, il souleva les paupières, et, à la vue de la jeune femme, plissa les lèvres en une sorte de rictus. Elsa s’approcha, se pencha, en mettant sa main sur celle du blessé, très brûlante. – Eh bien ! mon pauvre garçon, il paraît qu’elle vous avait arrangé une jolie réception, cette mauvaise petite Florita ? Dans les yeux bleu pâle, un éclair de haine passa. Rechensfeld dit sourdement : – Oui... Mais je me vengerai ! – Vous aurez bien raison ! « Enfin, vous vous en tirerez, d’après ce que me dit Milsen, et c’est déjà beaucoup. – Si je m’en tirerai, je n’en sais rien... Mais ne va-t-on pas découvrir tout, avec cette maudite créature que Milsen a laissé stupidement échapper ? – J’espère que non... Il faut que je voie Mülbach, pour savoir ce qu’elle dit, ce que l’on fait là-bas. Allons, ne parlez plus, baron, car vous augmenteriez la fièvre !... Et ne vous tourmentez pas à l’avance. J’ai idée que nous arrangerons tout cela au mieux, avec l’aide de Mülbach. Rechensfeld grommela : – Mülbach ! S’il voit l’affaire mauvaise, il nous lâchera ! – Que non pas ! Vous oubliez que nous sommes tous solidaires, dans l’œuvre que nous avons entreprise ? Mon cousin, je vous l’affirme, fera tout le possible et l’impossible pour que l’histoire ne s’ébruite pas. Vous n’avez besoin de rien ?... Eh bien ! alors, à tout à l’heure. Je remonterai en même temps que le docteur. Dans la salle à manger, Milsen avait préparé un petit souper, auquel Mme de Ronchay fit peu d’honneur... Elle était nerveuse, préoccupée, le front plissé par la réflexion. Bientôt, repoussant son assiette, elle se leva et alla s’étendre dans un fauteuil du salon. Vers neuf heures, un coup de sonnette discret se fit entendre... C’était le médecin, petit homme maigre, aux cheveux gris, aux yeux vifs abrités derrière des lunettes à monture d’or. Il était accompagné d’une femme d’un certain âge, qu’il présenta en ces termes à la comtesse : – Sophie Haschen, une des meilleures gardes-malades de Paris – et une de nos compatriotes, en qui nous pouvons avoir toute confiance. Je l’ai amenée pour soigner ce pauvre baron. Tous trois montèrent près de Rechensfeld. Le docteur, après examen du blessé, parut satisfait, et déclara qu’il répondait maintenant de sa vie, pourvu que fussent prises toutes les précautions nécessaires. Elsa demanda : – Naturellement, il ne peut être question de transporter ailleurs le baron, pour le moment ? – Cela ne pourrait se faire sans danger d’ici à huit ou dix jours, probablement. – C’est bien. Je m’arrangerai pour retenir mon mari là-bas jusqu’à ce que vous me préveniez, que nous pouvons revenir. Cela convenu, le docteur Walchs se retira... Comme suivi de la maîtresse du logis, il mettait le pied dans le vestibule, resté sombre, quelqu’un apparut au seuil du petit salon. Elsa s’écria : – Tiens, vous, cousin Otto ! – Oui, je viens d’arriver... Bonjour, cher docteur. Les deux hommes se serrèrent la main. Puis Mülbach demanda : – Eh bien ! comment va-t-il ? – Mieux, cher monsieur. Nous le sauverons... Mais elle visait joliment bien, la jeune personne ! Et si tous les soldats français étaient aussi forts tireurs qu’elle, les nôtres n’auraient qu’à se bien tenir ! Il eut un petit ricanement, puis ajouta : – Maintenant, je me sauve, car j’ai encore deux malades à voir. Il prit congé d’Elsa et de son cousin, puis s’éloigna d’un pas encore alerte. Otto suivit la jeune femme dans le salon, et, croisant les bras, dit d’un ton sourdement irrité : – Voilà vraiment une belle aventure ! Aussi, quel être stupide je suis d’avoir consenti à favoriser la passion du baron !... Stupide de toute façon, car, en y réfléchissant bien, que signifiait la promesse de mariage signée par lui ? S’il lui avait plu – comme c’était à craindre – de ne pas la remplir, comment l’y aurais-je forcé ? Je n’aurais pu la produire en justice... Elsa l’interrompit avec une ironique impatience : – Ne jouez pas la comédie des regrets avec moi, cousin Otto ! C’est inutile, je vous assure !... Car je sais fort bien que si vous engagiez là-dedans la nièce de votre femme, c’est que vous aviez des moyens de contraindre Rechensfeld à tenir cette promesse... Quelque secret, sans doute, qu’il paraîtrait fort désagréable au baron de voir dévoilé. J’ai compris aussi que vous seriez fort aise de voir Florita devenir baronne de Rechensfeld... Voilà pourquoi il ne vous convient pas de faire maintenant l’indigné, parce que le coup a raté ! Vous êtes un de nos complices, cher cousin, c’est incontestable ! Otto leva les épaules. – Eh ! je n’ai pas l’intention de le nier !... Mais le baron a dû s’y prendre d’une manière maladroite... se montrer arrogant, tandis qu’il aurait fallu de la souplesse, de la patience. – Ah ! bien oui, allez donc demander cela à un Rechensfeld, qui se croit tellement supérieur au reste des hommes ! Et, d’ailleurs, je suis persuadée qu’il n’aurait pas mieux réussi de cette façon près de la petite, qui doit avoir beaucoup de fermeté. Non, cousin Otto, voyez-vous, tout aurait bien marché... sans ce maudit revolver ! Voyons, comment avait-elle cette arme sur elle ? – Eh ! c’était un cadeau de son fiancé !... Malheureusement, je l’ignorais ! Ce matin seulement, j’ai appris la chose, quand elle nous a raconté son aventure. Elsa eut une exclamation de rage. – C’est donc lui qui la sauve, indirectement ?... Ah ! il faudra bien qu’ils me paient cela un jour, tous deux ! Otto dit avec impatience : – Allons, modère tes idées de vengeance, ma chère, car elles finiraient par te faire commettre des sottises ! Or, nous n’avons pas le droit, nous autres, serviteurs précieux de l’empire, de compromettre l’œuvre à laquelle nous nous sommes voués. Tu vas donc rentrer demain tranquillement à Vanelles. Moi, je serai tenu au courant par Walchs, comme il l’a déjà fait ce matin... Quant à Florita, elle ignore dans quelle maison l’ont conduite ses ravisseurs. Bien qu’elle ait naturellement reconnu Rechensfeld, elle est toute disposée à se taire, à laisser tomber l’affaire, pour ne pas attirer l’attention sur elle. M. de Penvalas ne sera peut-être pas de cet avis ! – Que si... Oh ! il est possible qu’il cherche à savoir ce qu’est devenu le baron, pour avoir une explication avec lui ! Mais nous aurons soin de le soustraire à ses recherches, jusqu’à ce que l’oubli soit fait là-dessus. Et, après un instant de silence, Mülbach ajouta, d’un ton contrarié : – Il n’empêche que toute cette histoire tombe bien mal ; car Rechensfeld, d’après ce que j’ai compris, faisait de bonne besogne, dans certains milieux de la capitale. – Oui ; c’est un homme intelligent, habile, et qui sait plaire, quand il le veut bien. Espérons qu’il sera remis assez vite !... Mais il lui faudra user de beaucoup de précautions, pendant quelque temps, pour ne pas se trouver sur le chemin du lieutenant de Penvalas et de sa fiancée ! Le lendemain soir, Elsa rentra à Vanelles. Elle déclara, en réponse aux questions de son mari : – Ce pauvre Milsen paraissait tellement désolé, à l’idée de l’hôpital, que j’ai mis près de lui une femme pour le soigner – une personne sûre, recommandée par le docteur Walchs. Ainsi donc, nous voilà tranquilles de ce côté, libres de rester ici tant qu’il nous plaira. Maurice retint une grimace. Il avait un peu espéré que l’air de Paris changerait les idées de sa femme... Hélas ! au contraire, elle semblait mieux disposée que jamais à prolonger leur séjour dans ce maussade Vanelles. Mme de Ronchay faisait installer le chauffage central, ce qui expliquait le travail entrepris dans les caves, sous la direction d’un contremaître aux cheveux roux et à la mine autoritaire, qui avait l’accent allemand – comme d’ailleurs les ouvriers placés sous ses ordres. Ils étaient Alsaciens, disaient-ils... Et Maurice acceptait bénévolement l’explication, de même qu’il laissait Elsa faire ce qu’elle voulait de la vieille demeure, sans le consulter. Lâchement, pour avoir la paix, il avait même, quelques mois auparavant, congédié le ménage d’anciens serviteurs, qui ne plaisait pas à la comtesse. Adolphe et Caroline Dussaud étaient allés s’installer dans le village, en déplorant tout bas, car ils n’étaient pas cancaniers, que M. le comte eût épousé cette femme orgueilleuse, à la physionomie étrange. Certains, dans le pays, étaient de leur avis. Mais d’autres louaient la belle châtelaine, « la comtesse aux cheveux bleus », comme on l’appelait, car elle savait être généreuse, répandre l’or à propos et aux bons endroits, pour se faire une popularité dans la contrée. Quant à M. de Ronchay, il restait indifférent à tous, ne s’occupant lui-même de personne, traînant son ennui et son oisiveté, soupirant après son existence parisienne. Et ce fut avec la mine d’un homme revenu à la vie que, dix jours plus tard, il quitta Vanelles, avec sa femme, pour réintégrer le petit hôtel du parc Monceau.

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