Chapitre 5

2248 Words
L'uniforme était des plus simples. Pantalon noir assez souple pour le combat ainsi qu’un haut moulant de la même couleur. J'ai regardé autour de moi. Les filles se changeaient ici devant tout le monde. J'étais un peu gênée mais voir que personne ne faisait attention à moi et qu'il était normal de se changer ici me détendit et je me suis déshabillée. J'ai mis mes vieux vêtements pliés dans mon armoire puis j'ai quitté le dortoir à la recherche de la salle de réunion. Je me suis souvenue d'une bonne partie du trajet et en chemin j'ai croisé quelques gardes que j'ai salués d'un hochement de tête respectueux, ne sachant pas vraiment comment les saluer. Au bout du sixième couloir identique je finis par ne plus savoir quel chemin prendre. À droite. Tu es sûr ? Oui. J'ai donc suivi la voix dans ma tête et j'ai fini par trouver la salle de réunion. Tu vois j'avais raison. Je suis décidément d'une grande utilité. Je roulais des yeux amusée. Quelques apprentis étaient déjà revenus vêtus de leurs uniformes et foulards. J'avais personnellement accroché le mien autour de mon bras. J'ai trouvé un coin à l'écart des autres et je m'y suis arrêtée. Je me sentais hors de vue et c'était agréable. J'avais bavardé avec trop de gens en une journée. C'était plus que dans une vie et je devais me recharger. Oh, elle joue les timides... J'ai levé les yeux au ciel d'exaspération mais je n'ai pas répondu. Les apprentis arrivaient et j'ai fini par trouver Agatha. Je lui fis signe et elle me rejoignit avec un grand sourire.  « Laula ! Je t'avais perdue. -Oui il y avait trop de monde je n'ai pas pu te trouver non plus. -Moi non plus. C'est fou. Je ne savais pas qu'il y aurait autant de volontaires. -Ils ont dû rassembler ceux de la région. Mais c'est quand même énorme. »  Agatha regarda mon foulard avant de me montrer le sien avec un sourire triste. Elle l'avait accroché à son poignet et avait fait un joli nœud. « Je suis un foulard jaune. »  Je lui ai souri.  « Cette couleur te va bien. -Tu penses ? Merci. Je préfère le violet personnellement. »  J'ai regardé mon foulard.   « C'est une couleur froide. C'est beau mais je préfère l'orange. » En disant cela, j'ai jeté un coup d'œil à l'âme d'Agatha. Il était chaud et je préférais sa couleur à celle de mon foulard. La femme qui avait parlé il n'y a pas longtemps remonta sur l'estrade. Toutes les personnes présentes attendaient silencieusement qu'elle nous donne la direction du réfectoire. Mais la femme ne parlait pas. Elle regarda autour de la pièce avec des sourcils froncés. Son âme était trop loin pour que je puisse la voir alors j'ai juste attendu comme tout le monde. Agatha me lança un regard perplexe mais n'osa pas parler. Je haussais les épaules tout aussi troublée par ce silence. Nous sommes restés ainsi pendant de longues minutes lorsqu'un groupe de jeunes hommes à fini par entrer. Estevan était l’un d’entre eux comme par hasard... Nous pouvions entendre leurs pas claquer sur l'acier à mesure qu'ils s'approchaient. Tout le monde les regardait. Estevan n'était pas troublé par l'intérêt qu'on lui portait, mais par le silence pesant qui régnait et par le regard que lui lança la femme du haut de l'estrade.  « Vous êtes en retard. » La voix de la femme était cassante et intimidante. Agatha n'avait beau pas été visée, elle enfouit sa tête dans ses épaules intimidée. Je n'aurais pas voulu être à la place des garçons. Estevan jeta un coup d'œil à sa montre.  « C'est bon, nous n'avons que trois minutes de retard. »  Les yeux de tout le monde s'écarquillèrent dans la pièce. La femme se redressa avec indignation. Je sentais que ça allait chauffer.  « C'est bon tu dis ? Si je te dis d'être là dans une heure alors tu dois être là cinq minutes avant. -Nous nous sommes perdus. Le bateau est énorme. -Pourtant, tous les autres étaient là. Ce n'est donc pas impossible. »  Estevan se tourna vers la foule. Les garçons derrière lui n'avaient pas tous l'air si confiants. Certains ont même baissé la tête ne sachant pas où se mettre. Il faut avouer qu'il est courageux. Il est plutôt grossier. Pff tu ne sais pas reconnaître une qualité quand tu en voies une.  « Ouais ben je ne suis pas tous les autres. »  Je pensais que ma mâchoire allait tomber. Tout le monde avait à peu près la même réaction que moi. Seule la femme sur l’estrade n'avait pas l'air confuse par sa remarque. Elle a même souri.  « C'est pourquoi tu vas faire une centaine de pompes et les autres vont te regarder faire. »  Estevan haussa un sourcil indigné. Il se retourna comme pour se convaincre que c'était bien à lui que nous parlions. « Oui, je te parle. -Je n'ai pas particulièrement envie de faire des pompes en ce moment, mais merci quand même. »  Je frappai bruyamment ma paume contre mon front épuisée. Décidément, il aimait se faire remarquer. Je ne voyais peut-être pas son âme, mais j'étais sûre qu'elle brillait d'amusement. Il fallait qu'il se réveille. Il ne se rendait toujours pas compte que son nom de famille n'avait pas d'importance ici et qu'il devait montrer du respect aux gardes plus expérimentés. Si j'avais pu, je l'aurais giflé. Malheureusement, il était bien trop loin. Je trouve ça pathétique. Il s'accroche à sa vie d’avant. Que veux-tu dire par là ? C’est toi qui voulais le comprendre. Pas moi.  « Je ne me souviens pas vous avoir demandé ton avis, mais espérons que tu trouveras la motivation pour deux cents pompes. -Deux cents ? Mais c'était cent il y a seulement deux secondes. Il faut apprendre à compter. »  Seuls un ou deux garçons de son groupe trouvaient encore ça drôle. Les autres étaient sur le point de s'enfoncer dans le sol.  « Comme je ne sais pas compter, je vais augmenter à quatre cents. »  Je sentais qu'Estevan ne comprenait toujours pas la gravité de la situation. Ne tenant plus, je me dirigeai vers lui et m'arrêtai assez près pour qu'il puisse m'entendre. Certaines personnes m'ont jeté des regards vides ou inquiets, mais je les ai ignorés. Nous n'allions jamais manger s'il continuait comme ça.  « Fais ces putains de pompes. »  Estevan se tourna vers moi avec surprise. La seconde de surprise passée il sourit amusé.  « Même maintenant tu essayes de me donner des ordres. »  La femme sur l’estrade s'est rendu compte qu'Estevan parlait à quelqu'un et bientôt tous les yeux se sont tournés vers moi. Je n'avais pas vraiment l'habitude d'être le centre d'attention et je n'ai pas particulièrement apprécié cela contrairement à Estevan.  « À qui parles-tu ? demanda la femme aux cheveux courts. -Une personne sans intérêt. »  Je haussai les sourcils exaspérée. La femme de dit d'avancer. Je le fis, pas vraiment rassurée. Bien fait. T’avais qu’à rester à ta place.  « Votre nom. - Je m'appelle Laula Carter. - Que disiez-vous à ce retardataire ? »  J'ai jeté un coup d'œil à Estevan. Tu vas surveiller ta langue, n’est-ce pas ?  « Je ne supportais plus de l’écouter sans rien faire. J'étais venue lui dire d'arrêter de se comporter comme un idiot et de faire des pompes pour qu'on puisse manger. »  Quelques rires ont résonné. J'en étais sûre. La femme m'a regardée ne sachant pas comment prendre ma déposition. Estevan eut un petit rire à la fois agacé et admiratif.  « Et est-ce qu'il va t'écouter ? »  Je haussais les épaules.  « Je ne sais pas non plus. Il n’a jamais été du genre. -On le saura très vite. J'espère que tu es douée pour convaincre parce que tu vas devoir faire ses pompes avec lui. Les autres peuvent aller manger. Suivez mon collègue sur votre gauche. » Les apprentis partirent en silence en nous lançant des regards curieux. Le groupe de retardataires arrivés avec Estevan a voulu faire de même, mais la femme les en a empêchés.  « Pas vous. Tout comme Miss Carter, vous participerez à la punition. »  Les garçons ne semblaient pas très enjoués à l’idée.  « On en était à quatre cents pompes pour le monsieur qui pense que je ne sais pas compter. Quant aux autres, je vous laisse commencer à cent comme je suis d’humeur généreuse. »  Estevan haussa les épaules.  « Cinq cents et deux cents pour les autres. »  Les garçons se tournèrent pour supplier Estevan. Mais il ne semblait pas encore prêt à accepter la punition. Avant qu'il n'ait eu le temps de dire quoi que ce soit, je l'ai frappé sur le dessus de la tête. Il se frotta le crâne outré et indigné.  « Qu'est-ce qui ne va pas chez toi ? m'a-t-il demandé. -C'en est assez. On doit faire deux cents pompes à cause de toi. Que tu fasses ce que tu veux, c'est une chose, mais ne nous entraine pas dans tes conneries. -Je ne t'ai pas demandé de me suivre dans mes « conneries ». »  J'ai roulé des yeux.  « Tu te dois d'arriver à l'heure. Un, parce que c'est la règle et deux parce que c'est une preuve de respect. Tu es arrivé en retard alors maintenant tu dois assumer les conséquences. »   La femme nous regardait du haut de son poste.  « J'ai toute la nuit devant moi. »  J'ai regardé Estevan droit dans les yeux. Je pouvais voir son âme. C'est à elle que je m’adressais :  « Si tu enfreins les règles, tu seras renvoyé chez toi. Que dirait ta famille ? »  J'étais en colère contre moi-même de l'avoir pris par les sentiments mais je ne voyais pas d'autre solution pour lui faire comprendre la situation.  « S'il te plait... Tu vaux mieux que ça... »  Estevan allait dire quelque chose, mais je secouai la tête pour lui faire comprendre que tout ce qu’il pouvait dire était débile.  « Tu n’es plus au village. Personne ne va respecter comme ça. Tu vas juste te faire piétiner. »  Il souffla exaspéré avant de se baisser au sol. J'expirais soulagée. La femme au sommet de la plate-forme croisa les bras sur sa poitrine.  « Vous aussi. »  Les garçons le rejoignirent. Je pouvais sentir la colère et la honte émanant d'Estevan. Je ne m'attendais pas à ce qu'il t'écoute. De toute évidence, tu as de l'influence sur lui. Ou il a un gros problème avec sa famille. Je vote pour la deuxième possibilité. Ça va, deux cents pompes on pourrait les faire les yeux fermés. Ouais, eh bien, je n'étais pas des plus musclées non plus. Ne me dis pas que tu ne peux pas faire deux cents pompes. Tu as passé des années à t’entraîner. A me battre, oui. Mais je n'ai jamais réussi à faire plus d'une centaine de pompes en une seule fois. Et moi qui t'ai trouvée forte... Fais pas comme si tu étais surpris tu es dans ma tête tu sais tout. Les cent premières pompes, je les ai faites sans problème. Je commençais à me dire que c'était facile et que j'allais le faire quand j'ai soudain commencé à ressentir la douleur dans mon bras. J'étais toujours déterminée à y arriver, mais j'ai commencé à avoir de plus en plus mal après 150. Tu peux prétendre que tu as terminé. Quelques garçons vont bientôt finir aussi. Je refusais de tricher. J'allais faire deux cents pompes. Mais tu n’as rien demandé. Cela n'avait plus d'importance. Je ne pouvais pas être faible. J'ai donc continué à redoubler d'efforts. Le sol était de plus en plus attrayant et j'avais envie de m'allonger en laissant reposer mes bras. Mais j'ai continué. Tu vas te faire mal au poignet... C'était comme disait Prizak. Encore deux pompes et j'ai senti mon poignet céder. Une douleur atroce me monta au cœur et je poussai un gémissement. Est-ce que ça va ? Arrête. Cela n'en vaut pas la peine. Je n'écoutais pas la voix dans ma tête et continuais. Estevan a entendu mon grognement et m'a lancée un regard inquiet.  « Bah alors ? T’en peu déjà plus ? »  Je ne lui ai pas répondu. Je me concentrais pour ne pas pleurer. Je me sentais faible et honteuse. Tu n'es pas faible. Tu as un poignet cassé. Prizak exagérait. Je n'avais pas le poignet cassé. J’avais juste poussé trop fort.  « Laula ? »  J'ai continué à ignorer Estevan. C'est bon je n'en ai plus que dix. Arrête. Tu ne peux plus sentir ton poignet. Je secouais vigoureusement la tête et mes pompes devenaient de plus en plus larges. Je ne pouvais pas abandonner. Pas maintenant. Tu n'y peux rien si vous êtes plus faible que la moyenne Laula. Le fait que deux esprits habitent ton corps te prend trop d'énergie. Arrête. Tu n'as pas à avoir honte. Mais ce n'était pas une raison. Je suis née comme ça mais ce n'était pas une excuse. Je ne pouvais pas me reposer sur ma faiblesse car personne n'allait m'aider. J'allais devoir me battre pour moi-même.
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