Chapitre 4

2330 Words
Estevan ouvrit la bouche prêt à protester à nouveau et à me dire que j'étais folle et que j'imaginais des choses mais encore une fois j’avais de l’avance sur lui :  « Tu n'as pas à nier. Je n'en parlerai plus si c'est ce que tu veux. »  Estevan resta silencieux quelques instants. J'ai senti son âme grandir. Il était gêné parce qu'il ne contrôlait plus la situation comme à son habitude. Mais je sentais aussi qu’il se sentait bien. Cette chaleur qu’il ressentait quand il perdait le contrôle l’effrayait énormément et il ne voulait pas admettre qu’il se sentait apaisé. « Depuis quand sais-tu toutes ces choses sur moi ? me demanda Estevan. -Récemment. - Que pensais-tu de moi avant ? »  J'ai hésité.  « Tu veux vraiment savoir ?»  Estevan hocha la tête, déterminé. Allez, lui dire ses quatre vérités.  « Je t'ai trouvé pitoyable. »  Estevan se tendit. Bon, peut-être que tu as été un peu trop directe.  « J'ai trouvé pitoyable la façon dont tu parlais aux autres. Tu ne leur es pas supérieur. Tu n'as pas le droit de penser que tu es au-dessus des autres. Je n'ai pas compris pourquoi personne n'osait te gronder. Tu as une famille riche mais c'est tout. Mais bien sûr, l'argent est tout dans ce monde et c'est très triste. -Tu es du genre à préférer la justice à l'argent. Alors pourquoi as-tu attendu jusqu'à aujourd'hui pour me tenir tête ? Tu n’es pas du genre à avoir peur de ma famille, je me trompe ? -Qu'est-ce que tu en sais ? Tu ne me connais pas. »  Estevan inclina la tête à son tour et je fis de même sans m'en rendre compte.  « Tu m'as suffisamment sermonné pour que j’en devine autant. » Je lui ai fait un petit sourire.  « Et si je te disais que j'avais peur ? -Je te dirais que c'est humain. Et que tout le monde était dans la même situation. J'ai trouvé ça drôle. »  J'ai soupiré.  « J'ai eu envie de te crier dessus. Au moins cent fois. » La tête d’Estevan a pris un angle étrange.  « Qu'est-ce qui t’en as empêchée ? »  -Ma famille... »  Estevan hocha la tête.  « Je me souviens de cette fois où tu m'as croisé sur la place du marché. Ton père t'avait couvert la bouche de sa main pour éviter le désastre. -Tu te souviens de ça ? ai-je demandé surprise. -Oui ! Je ne suis pas aussi débile que ce que tu penses. -Tu ne t'es jamais excusé de t'être emporté contre moi ce jour-là. »  Je me tus, attendant les excuses même si je savais que je n'allais pas en avoir. Estevan haussa un sourcil surpris que j'aie osé lui demander de s'excuser.  « Tu penses vraiment que je vais m'excuser ? »  J'ai soudain eu un élan de détermination et j'ai haussé les épaules avant de détourner le regard vers la mer qui s'étendait à perte de vue.  « Vas-tu m'ignorer jusqu'à ce que je m'excuse ? »  Je n'ai pas répondu. Estevan souffla à la fois amusé et indigné avant de quitter la cabine. Tu t’attendais à quoi au juste ? J'ai souris. En entendant la porte claquer, Agatha ouvrit les yeux. J'aurais dû savoir. Elle n’était pas endormie depuis un moment. Son âme était trop transparente pour cela.  « Tu as entendu ? ai-je deviné. -Désolé j'ai entendu sa voix et je ne savais pas quoi faire. »  Je lui souris doucement.  « Ne t'inquiète pas. Je m'en fiche. »  Agatha se redressa et me rendit mes vêtements reconnaissante.  « Tu dois être la seule à lui avoir demandé de s'excuser de toute sa vie. Je ne pense pas qu'il le fera de sitôt. - Moi non plus mais je le mérite. Je n'avais rien fait et il s'est fâché contre moi. -Vous vous connaissez depuis longtemps ? -Je savais depuis toujours qu'il existait. Qui ne pouvait pas savoir ? Il nous le rappelait tous les jours. Mais nous n'avons jamais parlé. Seulement la fois où il m'a crié dessus. -C'était quand ? -Je devais avoir six ans. -Ah oui ça remonte… rigola Agatha. -Ce n'est pas une raison pour ne pas s'excuser. -Tu as tout à fait raison et encore une fois je t'admire pour ça. »    Nous nous sommes souri quand tout à coup notre attention a été attirée par une annonce. Agatha et moi regardâmes par la fenêtre et en effet l'annonce disait vraie. Au loin, nous pouvions voir le bateau mère. Je ne savais pas si je pouvais appeler ça un bateau. C'était plutôt une ville flottante. Un énorme bloc d'acier sur lequel nous allions passer les prochains mois d'entraînement. Agatha et moi avons regardé silencieusement le monstre devenir encore plus grand et imposant. Une fois à sa hauteur, nous ne pouvions même pas distinguer la pointe du géant. Notre petit navire s'est immobilisé autant que les vagues le permettaient et on nous a ordonné par les haut-parleurs de nous assembler en attendant la désactivation du circuit électrique intégré de notre navire. Le courant électrique a dû être à nouveau coupé pendant que nous changions de bateau. Mais cela a pris beaucoup plus de temps que de franchir les barrières devant le village. Des gardes étaient positionnés à chaque centimètre carré du ciel, leurs armes pointées vers l'avant au cas où nous serions attaqués. Je me suis dit que ça n'allait pas arriver. Pas immédiatement. Pas ici. Mais c'est exactement à ce moment-là que le premier coup de feu a été tiré. Un homme a crié des ordres et d'autres ont tiré dans la même direction. On nous a ordonné de nous dépêcher et j'ai pu voir que les âmes des futurs gardiens se cachaient derrière la peur. Alors que je me faisais pousser par derrière essayant d'avancer, j'ai jeté un coup d'œil vers l'horizon. Je les ai vu. Des démons. Ils étaient loin mais suffisamment proches pour que je puisse les voir. Un frisson parcourut mon corps. Je ne les aurais jamais imaginées si confuses, si sombres, si dégoulinantes. Merci... Mais c'était la vérité. Ces démons donnaient des frissons dans le dos. Leurs grandes bouches étaient ouvertes sur des dents acérées et d'un blanc qui contrastait avec leur corps ou plutôt leur fumée sombre. Ils flottaient dans les airs et s'approchaient à pleine vitesse déterminés à tuer. Ils n'étaient pas très nombreux. Seulement trois. Et les coups de feu ont réussi à en tuer un. Je n'avais pas réalisé que je m’étais figée devant la scène. Il n'y avait plus personne sur le bateau à part moi. J'ai dû perdre Agatha dans la folie du moment. Quelqu'un m'a attrapée par le poignet et m'a tirée de toute force après lui. Ce contact m'a sortie de ma torpeur et je me suis libérée de l'emprise de la personne. Je n'étais même pas surprise de voir Estevan me regarder avec irritation. Nous nous sommes précipités sur le trottoir en acier et derrière nous l'électricité a été réactivée. Cela n'a pas mis fin au combat. Les gardes ont continué à tirer sur les démons jusqu'à ce qu'ils meurent tous. C'est arrivé très vite. Après tout, ils n'étaient que quelques petits démons contre des milliers de soldats armés.   J'ai regardé les démons tomber dans la mer avec un pincement au cœur. Ils pouvaient être très laids et physiquement dérangeants, ils n’en étaient pas moins morts. Tous les morts méritaient d'être pleurés. Si quelqu'un t’a gardée enfermée toute ta vie, tu ne vas pas pleurer sa mort. J'ai froncé les sourcils. Notre famille n'est peut-être pas le meilleur exemple. Mais ils restent mes parents. Ils restent humains. Je pleurerais évidemment leur mort. Es-tu sûre qu'ils pleureraient la tienne ? Personnellement, je serais soulagé de leur mort. C'est horrible de dire ça. Même pour un démon. Laisse mes origines tranquilles. r*****e. Malgré tout, ils pleureraient ma mort. Oui, mais pas le mien.  J'ai suivi Estevan à l'intérieur où les nouveaux attendaient les prochains ordres. Il était assez tard et ils nous nourriraient sûrement puis nous dirigeraient vers nos chambres. Pendant ce temps, la plupart des personnes présentes discutaient à haute voix. J'ai cherché Agatha dans la foule. Cela s'est avéré plus difficile que prévu car nous étions beaucoup plus nombreux qu'avant. Des volontaires d'autres villes ou villages devaient nous avoir rejoints. J'étais sur le point de commencer à bouger pour retrouver mon ami quand Estevan m'a attrapée par le bras. Je me tournai vers lui soudain irritée par l'habitude qu'il prenait.  « Pourrais-tu arrêter de m'attraper par le bras ? C'est ennuyeux. -Mais qu'est-ce qui s'est passé plus tôt ? Tu es stupide ou quoi ? Tu voulais voir les démons de plus près ?»  Crois-moi, elle en a un très proche.   « Ne m’en veux pas si j’ai été plus courageuse que toi. »  Je me libérai de son étreinte et tournai les talons. Mais Estevan ne m'a pas laissée partir si facilement. Il me saisit à nouveau par le bras, m'empêchant d'aller plus loin. Je me tournai vers lui furieuse  « Lâche moi tout de suite. -Tu ne peux pas partir comme ça alors que je te parle ! -Si ! Je peux faire tout ce que je veux ! »    Je me libérai pour la énième fois de son emprise et tournai les talons en colère. Je devais mettre le plus de distance possible entre nous et rapidement. Je me suis perdue dans la foule mais je n'ai pas pu trouver Agatha. Je n'ai pas eu le temps de chercher davantage car l'arrivée d'un haut gardé fit taire la foule :  « Bonsoir. Si vous êtes ici aujourd'hui, c'est parce que vous vous êtes portés volontaires pour sauver votre pays et l’aider à lutter contre un ennemi abominable. Vous êtes ici parce que vous vouliez être quelqu'un et ce quelqu'un que vous allez le devenir grâce à vos larmes et votre transpiration. Vous allez devenir membres de l’histoire en défendant vos familles qui sont restées à l’arrière en pâté pour démons. Notre ennemi ne dort pas. Il devient de plus en plus fort de jour en jour et une seconde d'hésitation peut vous pousser à la mort. Nous n'allons donc pas accepter les paresseux dans nos rangs. Il faut se donner corps et âme pour être à la hauteur. Il faut dépasser ses limites afin de nous révéler son plein potentiel. Pour cela vous serez guidés autant qu’il le faut. Le mot d'ordre est la discipline. Chaque matin vous vous réveillerez à six heures et une fois habillés vous irez manger. Pas plus de quinze minutes par repas. Vous participerez chaque matin à des cours théoriques afin de mieux connaître vos ennemis. A midi vous mangerez par classe dans la cafétéria mise à votre disposition. L'après-midi, les cours de pratiques auront lieu. Il y a plusieurs règles à suivre. Si vous les enfreignez plus de trois fois, vous serez renvoyés chez vous. Si ça ne tenait qu'à moi, je vous aurais virés dès la première fois. Ne soyez jamais en retard pour vos cours. Portez l'uniforme. Ne quittez pas vos chambres après dix heures. Aucune personne du sexe opposé dans les dortoirs ou les toilettes de l’autre sexe. Et n’osez jamais répondre à vos supérieurs. Maintenant que vous connaissez les règles, vous êtes considéré comme des apprentis. Vous serez dirigés vers vos chambres afin que vous puissiez déposer vos affaires. Vous trouverez sur vos lits des uniformes plus adaptés que vos vêtements actuels. Mettez-les. Dans une heure, redescendez dans cette salle qui est la salle de réunion. Nous vous indiquerons ensuite où se trouve la cafétéria. »  Sur ce, l'homme tourna les talons et disparut. Il avait l'air pressé. Sur son chemin, les gardians le saluèrent. Il avait parlé si vite et avec une posture si droite. Tout en lui respirait le respect. Même son âme était dure et intimidante. Une femme prit place sur l’’estrade à sa place. Elle avait le visage fermé et la même posture déterminée.  « Des sacs vous ont été distribués à votre arrivée. À l'intérieur, vous trouverez des foulards de différentes couleurs. Regroupez-vous par couleur et par sexe. »   J'ouvris mon sac à la recherche du fameux foulard. Je finis par le trouver tout au fond. Un foulard violet. J'ai levé les yeux et j'ai cherché d'autres filles qui avaient la même couleur de foulard. Pendant de longues minutes, les gens ont cherché leurs paires dans le chaos, mais finalement des groupes se sont formés et les flux se sont calmés. J'ai alors réussi à trouver mon groupe et à les rejoindre. Une fois tous les groupes créés, un gardien nous a rejoint et nous a dit de la suivre. Alors nous l'avons fait. Elle nous a conduits à travers de nombreux couloirs et je n'étais pas sûre de pouvoir retrouver mon chemin vers la salle de réunion. Nous sommes arrivés à un couloir avec de nombreuses portes en acier arrondies. Le gardien s'arrêta devant l'une des portes qu'elle ouvrit.  « C'est votre dortoir. Vos lits ont déjà été attribués. Changez-vous, rangez vos affaires puis retournez dans la salle de réunion. »  Sur ce, elle attendit à la porte que nous entrions. Derrière nous, d'autres groupes arrivaient. Une fois que tout le monde est entré dans la pièce, la femme a fermé la porte derrière nous et a disparu. Les filles cherchaient leurs lits en discutant. J'ai cherché ma place et j'ai fini par la trouver. Le dernier lit à l'extrême droite. À côté du lit, il y avait une armoire avec mon nom étiqueté dessus. Je l'ouvris et posai mes affaires avant de sortir le fameux uniforme.
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