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La Demoiselle du cinquième

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Extrait : "M. Loupard montait les marches doubles ; il gravissait les degrés sans s'arrêter pour reprendre haleine, et le petit garçon avait de la peine, avec ses petites jambes, à suivre son maître qui semblait avoir retrouvé toute la vigueur d'un jeune homme. La figure du maître d'école exprimait à la fois plusieurs sentiments ; mais on y voyait surtout briller la surprise, la joie, le ravissement."

À PROPOS DES ÉDITIONS LIGARAN :

Les éditions LIGARAN proposent des versions numériques de grands classiques de la littérature ainsi que des livres rares, dans les domaines suivants :

• Fiction : roman, poésie, théâtre, jeunesse, policier, libertin.

• Non fiction : histoire, essais, biographies, pratiques.

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I - Cinq cents francs
I Cinq cents francsM. Loupard montait les marches doubles ; il gravissait les degrés sans s’arrêter pour reprendre haleine, et le petit garçon avait de la peine, avec ses petites jambes, à suivre son maître qui semblait avoir retrouvé toute la vigueur d’un jeune homme. La figure du maître d’école exprimait à la fois plusieurs sentiments ; mais on y voyait surtout briller la surprise, la joie, le ravissement. « – Eh ! mon Dieu, comme vous montez vite, mon cher Loupard ! » dit Gaston. « Où donc allez-vous ainsi avec Aristide ? – Où je vais, monsieur Gaston… où je vais, messieurs… eh, mon Dieu… je n’en suis pas bien sûr, mais j’allais chez vous deux d’abord… – Et vous n’en êtes pas bien sûr ? » s’écrie Alexandre. « Pardieu ! il vous est arrivé quelque chose d’extraordinaire, monsieur Loupard ; je le vois sur votre physionomie qui n’a pas son assiette ordinaire… mais il me semble que vos yeux n’expriment rien de malheureux… – Oh ! non, messieurs, bien au contraire… je suis si content, si joyeux… cela me vient si à propos… et j’étais si loin de m’y attendre !… Aristide, as-tu embrassé ces messieurs, tes bons amis… tes protecteurs ?… Ouf… je n’en puis plus… » Pour toute réponse, le petit garçon court embrasser Gaston, puis Alexandre ; enfin M. Loupard, ayant soufflé un moment, reprend la parole : « – Messieurs, voilà ce que c’est… Tout à l’heure je viens de recevoir une lettre par la poste… dans cette lettre il y avait un billet de banque de cinq cents francs… Tenez, le voilà, messieurs… il est bon, n’est-ce pas… c’est bien un vrai billet de banque ?… Examinez-le… moi, j’en ai si peu vu… – Oui, monsieur Loupard, oh ! il est délicieux ! » dit Alexandre en palpant le billet. « Voilà un très joli commencement d’histoire… Continuez. – Je trouvai donc ce billet… et dans la lettre il y avait… Mais je l’ai là… Tenez, la voici, je vais vous la lire, cela vaudra mieux. – Nous vous écoutons, lisez : « Mon bon monsieur Loupard, je vous envoie cinq cents francs pour vous payer de tout ce qui vous est dû pour la pension du petit Aristide ; je crois que c’est à peu près ce qui vous revient jusqu’à ce jour… mais ce qu’on ne saurait jamais payer, ce sont vos bons soins, c’est l’humanité dont vous avez fait preuve en gardant cet enfant avec vous, sans savoir si vous seriez jamais indemnisé de vos dépenses. Continuez de servir de père à ce pauvre petit, et soyez certain que désormais ce que vous ferez pour lui sera convenablement rétribué. » « Voilà, messieurs, ce que l’on m’écrit… – Et il n’y a pas de signature ? – Aucune signature. Alors je me suis dit : Ceci ne peut m’être envoyé que par des personnes qui connaissent Aristide, qui aiment cet enfant, et j’ai pensé à vous, messieurs, qui avez déjà été si bons pour lui !… – Nous ! monsieur Loupard… Ah ! nous voudrions bien être en position de vous avoir fait ce cadeau ; mais, franchement, cela me serait impossible, à moi, et je crois bien que Gaston est dans le même cas ! – Alexandre a raison, monsieur Loupard, cet argent ne vient pas de nous. D’ailleurs, si nous avions eu l’intention de vous offrir cette somme, nous n’aurions pas pris de détours, nous aurions été vous porter cela nous-mêmes… – C’est aussi ce que je m’étais dit, messieurs ; mais alors, puisque ce billet de banque ne vient pas de vous… je ne vois plus que mademoiselle Félicie qui ait pu… – Félicie ! oui, oui, ce ne peut être qu’elle ! » s’écrie Gaston. « Elle est si bonne, si obligeante… et quand elle fait du bien, elle ne veut pas qu’on le sache, elle ne veut point être remerciée… – Il est d’autant plus probable que cela vient d’elle, » dit Alexandre, « que je crois cette jeune fille beaucoup plus riche qu’elle ne veut le paraître. Voyons l’écriture de cette lettre… – Tenez, messieurs… – Ceci est une écriture contrefaite… déguisée… malgré cela, il me semble reconnaître quelques caractères… – Oui, c’est une femme qui a écrit cela… Tout en ne voulant pas en avoir l’air, notre jeune voisine s’intéressait beaucoup à Aristide… elle l’a déjà prouvé en l’habillant entièrement à neuf, lorsqu’il est venu vêtu comme Cadet Roussel… Cette somme doit vous venir de la même source. – En ce cas, montons bien vite ! » s’écrie le professeur. « Viens, Aristide, viens remercier ta bienfaitrice. ». M. Loupard montait déjà le cinquième étage ; Gaston l’arrête en lui disant : « – Ne montez pas, M. Loupard ; n’allez pas chez Félicie… c’est inutile… vous ne la trouveriez pas. – Ah ! elle est déjà sortie… ? – Oui… la concierge m’a dit qu’elle était descendue de très grand matin. – C’est dommage… Nous reviendrons, alors… – Avant de revenir, monsieur Loupard, laissez-nous pressentir notre jeune voisine sur cette affaire. Si, comme tout doit le faire supposer, elle désire qu’on ne sache pas que c’est elle qui vous a fait ce don, croyez-vous lui faire plaisir en allant la remercier ? Il me semble, au contraire, que cela la contrariera de voir qu’on a pénétré son secret… – Vraiment, messieurs, vous pensez que cela pourrait être désagréable à cette bonne demoiselle… ? S’il en est ainsi, nous attendrons, n’est-ce pas, Aristide ? – De quoi, mon ami Loupard ? – Nous serons forcés de garder au fond du cœur notre reconnaissance… C’est pourtant cruel, quand une personne vous a fait du bien, quand elle se montre si généreuse pour nous, de ne point pouvoir seulement lui presser la main ! Enfin, messieurs, je me conduirai d’après vos conseils, car je sais que vous ne m’en donnerez que de bons… – Touchez-là, papa Loupard, vous méritez le bonheur qui vous arrive… Après tout, vous ne faites que recevoir ce qu’on vous devait ! – Oh ! c’est égal, messieurs, une si grosse somme à la fois… quand on n’y compte pas… ça vous rend bien plus riche… – Voulez-vous entrer vous reposer, monsieur Loupard, chez moi ou chez Alexandre ? – Merci, messieurs, merci, mais vous concevez… j’ai tant d’emplettes à faire, tant de choses à acheter… du bois, par exemple, pour chauffer mes élèves, et je n’en avais plus… et puis une belle blouse neuve à mon petit garçon… et puis bien d’autres choses encore… Je vais sur-le-champ me mettre en course, et Aristide viendra avec moi… – Oh ! oui, mon ami, et tu m’achèteras de la galette en route, n’est-ce pas ? – Je le crois bien… je te régalerai de galette… et moi aussi je m’en régalerai… dame, ce n’est pas tous les jours fête… Au revoir donc, messieurs… – Adieu, mon ami Gaston ; adieu, Alexandre. » Les deux jeunes gens embrassent le petit garçon qui redescend l’escalier avec son maître. Alors Alexandre entre chez Gaston ; il a soin de fermer la porte du carré et dit à son ami : « – Tu as bien fait de dire à M. Loupard que notre jeune voisine était sortie, car, si tu lui avais appris la vérité, le monsieur du carré aurait pu t’entendre, et il est très bon qu’il croie toujours que Félicie loge au-dessus de nous. – Cet homme me fait l’effet d’un affreux gredin. – C’est aussi mon opinion… La petite aventure que j’ai eue jadis avec lui suffirait pour le juger et quoiqu’il veuille maintenant faire passer cela pour une plaisanterie, je ne suis pas sa dupe. Mais quels rapports peuvent exister entre ce vilain monsieur et cette jeune personne si jolie, si spirituelle, si bien élevée… ? Car, nous ne devons pas en douter, Félicie et Ernestine Danglade ne font qu’une. – Ah ! voilà ce que je brûle de savoir… Pourquoi a-t-elle si peur de cet homme ?… que peut-elle redouter de lui ?… Oh ! je le forcerai bien à me le dire. – En le menaçant de lui chercher querelle ? Je te répète que tu t’y prends mal… tu ne sauras rien comme cela… D’abord, je ne crois pas que cet homme ait peur de se battre… tous ces chenapans-là font métier de tirer l’épée comme la savate et passent leur vie dans les tirs, afin d’abattre les poupées avec un pistolet. – Crois-tu que tout cela m’effraye ? – Je ne dis pas cela ; mais il ne faut risquer sa vie contre celle d’une canaille que lorsqu’il n’y a plus moyen de faire autrement, car c’est mettre dans une balance une pièce d’or contre une pièce de cuivre, et celui qui, le premier, a dit qu’un homme en valait un autre, a dit une de ces grosses bêtises qui circulent ensuite dans le monde comme un monneron à la place d’un sou. Ce Dufortier est notre voisin ; il croit que la personne qu’il cherche est dans la maison… nous verrons ce qu’il entreprendra. Je trouve déjà fort amusant de le voir passer sa journée sur le carré, occupé à guetter quelqu’un qui est bien loin d’ici. – Bien loin ! hélas !… Nous ne savons pas où elle est… Toutes nos recherches à Belleville ont été infructueuses… impossible d’obtenir le moindre renseignement. – Patience… J’ai idée, moi, qu’elle nous donnera de ses nouvelles… Tu vois bien qu’elle n’oublie pas cette maison et ceux qui l’habitent… Cette somme qu’elle vient d’envoyer à ce bon Loupard pour le payer de ses soins pour le petit Aristide, est une preuve qu’elle pense à nous. – Cette somme… mais est-ce bien elle qui a envoyé ces cinq cents francs pour cet enfant qu’elle semblait ne pas voir avec plaisir… ? Car je me rappelle fort bien la dernière fois que je suis allé passer la soirée chez elle… En me voyant lui amener ce petit garçon, j’ai remarqué qu’un nuage venait obscurcir ses traits… puis, quand nous sommes partis, ce pauvre petit voulait l’embrasser, il lui tendait ses petites joues… mais elle s’est reculée comme cédant à une répugnance secrète, et elle a trouvé un prétexte pour ne pas embrasser Aristide… – Tout cela ne prouve rien… Moi qui aime bien les enfants, j’ai souvent reculé lorsqu’on voulait m’en faire embrasser qui étaient tout barbouillés de confitures, ou qui éprouvaient un besoin urgent d’être mouchés. Après cela, je conviens comme toi que j’ai remarqué dans mademoiselle Félicie une foule de singularités… de contrastes… mais si nous connaissions ses secrets, il est probable que tout cela s’expliquerait… Ce dont je suis persuadé, c’est que cette jeune fille possède quelque fortune… Je m’en étais déjà douté la première fois que nous la vîmes chez madame Montenlair ; celle-ci ne cessait de la questionner pour savoir quel était son état, et à la manière dont Félicie lui répondit, il était facile de voir qu’elle n’avait pas besoin de travailler. Mais tes amours me font considérablement négliger ma voisine madame Patineaux ; il y a bien longtemps que je ne l’ai aperçue. Au revoir, travaille un peu… fais des vers, cela te distraira. – Je n’en ai pas le courage… je ne pense qu’à elle… Ignorer où elle est, c’est un supplice… Ma tête est brûlante, je souffre… – C’est cela… tombe malade… comme cela avancera bien tes affaires !… Veux-tu déjeuner avec moi ? – Je n’ai pas faim, il me serait impossible de manger. – Alors, descends chez le docteur Urtuby et demande-lui quelque chose qui te rende l’appétit. – Chez le docteur… ah ! oui… oui… Quelle excellente idée !… il la connaît… je lui parlerai d’elle… – Parle-lui d’elle… parle-lui de toi… mais n’oublie pas qu’un amoureux qui ne mange plus risque beaucoup de perdre son emploi. » Alexandre sort de chez Gaston. Il n’y a personne sur le carré ; mais la brosse a disparu… c’est ce qui fait penser au grand jeune homme que son nouveau voisin est venu la chercher. Il entend descendre l’escalier et s’arrête. C’est mademoiselle Maria qui descend ; elle sourit en voyant Alexandre et lui dit : « – C’est drôle, quoique ça ! – Qu’est-ce qui est drôle ?… Votre tournure ?… Elle est rigolette… – Il n’est pas question de ma tournure… je ne porte pas de crinoline, moi, grâce au ciel ! – Vous n’en avez certes pas besoin, la nature vous a traitée en Hottentote ! – Voyons… ne dites donc pas toujours des bêtises… Je disais que c’était drôle que Zéphirine, dont la chambre touche à celle de mademoiselle Félicie, ne l’ait pas entendue remuer ni bouger depuis avant-hier… pas le plus léger mouvement… – Mademoiselle Zéphirine n’a pas fait de mouvement depuis avant-hier ?… – Je ne vous dis pas Zéphirine, je vous parle de mademoiselle Félicie… Enfin, quand on se couche ou qu’on se lève, on fait toujours un peu de bruit… Si cette jeunesse était malade ou évanouie… ! Ne pensez-vous pas qu’on ferait bien de prévenir le commissaire de police pour qu’il fasse ouvrir sa porte ? – Je pense, mademoiselle, que l’intervention du commissaire serait d’autant plus inutile que madame Ador, la concierge, a vu ce matin mademoiselle Félicie sortir et qu’elle ne lui a pas paru malade le moins du monde. – Comment !… elle est sortie ce matin ?… – De très bonne heure, à ce qu’il paraît. – La concierge l’a vue ? – Elle lui a même parlé. – Ah bien, alors, il faut qu’elle ne fasse pas plus de bruit qu’une mouche… Ah ! au fait, ça se comprend… c’est à cause de l’autre qui est là… – Quel autre ? – Votre nouveau voisin… qui la guette. – Ah ! vous croyez… ? – J’en suis sûre… Ah ! ah ! c’est amusant tout ça… – Je suis comme vous, je trouve aussi que c’est assez divertissant. » La petite bonne descend l’escalier, et Alexandre rentre chez lui. Un quart d’heure après, Gaston sonnait chez le docteur Urtuby. En voyant le jeune homme du quatrième, Maria s’écrie : « – Tiens ! c’est vous, monsieur !… Est-ce que vous êtes encore malade comme l’autre fois, que vous êtes parti sans attendre monsieur ? – Oh ! non, aujourd’hui, j’ai vraiment besoin de le consulter… y est-il ? – Pardine ! il me semble que ça s’entend… Et zon zon zon !… le violon va son train… Est-ce que vous ne l’entendez pas s’escrimer… ? Il joue du haye donc !… il paraît que c’est difficile. – Qu’est-ce que vous dites qu’il joue ? – Du haye donc !… c’est son musicien favori. – Puis-je entrer ? – Oh ! oui… comme voisin !… Bah ! entrez tout de suite. » Gaston pénètre dans le cabinet du docteur : celui-ci était devant un pupitre et étudiait un premier violon dans un quatuor de Haydn. En voyant entrer un jeune homme sans être annoncé, il continue de jouer, faisant un simple salut de tête et disant vivement : « – Qu’est-ce qu’il y a ?… » Gaston salue très gracieusement le docteur et, au lieu de lui répondre, semble prendre beaucoup de plaisir à l’écouter. C’était un très bon moyen pour se faire bien venir de lui. M. Urtuby continue de jouer ; il arrive à un passage difficile dont il se tire assez bien ; alors Gaston laisse échapper quelques bravos. Le docteur est enchanté, il ne demande plus à Gaston pourquoi il est là ; mais il achève son morceau sans s’arrêter, persuadé qu’il a un auditeur qui est charmé de l’entendre. Enfin, le morceau terminé, le docteur s’arrête et se tourne vers le jeune homme en lui disant : « – C’est pas mal, n’est-ce pas ? – C’est-à-dire, monsieur, que vous jouez fort joliment du violon. – Oh ! vous êtes bien bon… je ne déchiffre pas trop mal… ceci était à première vue. – Monsieur, je suis venu… – Que c’est beau, Haydn !… quelle mélodie… ! Cela ne vieillira jamais… n’est-ce pas ? – C’est aussi mon opinion, monsieur. Je suis votre voisin… – Ah ! vraiment… et vous êtes musicien… tant mieux ; quand vous voudrez venir faire votre partie dans un quatuor… – Vous êtes trop bon, mais je ne suis pas musicien… je suis auteur… j’écris… – Ah ! vous faites des pièces… c’est différent… Et vous n’êtes pas un peu musicien ?… Tous les arts sont frères… vous devez l’être… – J’ai bien appris un peu le violon avant de venir à Paris… – Le violon, très bien. – Mais je n’ai pas continué… j’avais peu de dispositions. – Vous devez bien être en état de faire un second violon dans un duo de Pleyel… – Oh, monsieur… je crois que je m’en tirerais bien mal. – Bah ! c’est très facile… Tenez, j’en ai là que nous pourrions essayer… prenez ce violon accroché là-bas. – Mais, monsieur, j’étais venu vous consulter… je suis indisposé. – La musique vous guérira… il n’y a rien de plus sain que de jouer du violon… – J’ai la tête brûlante. – Raison de plus. – Et un peu de fièvre. – La musique coupe la fièvre bien mieux que le quinquina ! Allons, allons, mettez-vous là, voisin, et si vous êtes encore souffrant après ce duo, je vous écrirai une ordonnance. » Gaston n’ose pas refuser ; d’ailleurs, en consentant à accompagner le docteur, il espère se le rendre favorable et obtenir de lui des renseignements sur Félicie ; il se rappelle cette maxime toujours vraie : « Il faut prendre les gens par leur faible. » Et il va décrocher le violon qu’on lui a montré. Il n’avait pas touché à cet instrument depuis l’âge de dix-huit ans ; mais le désir de plaire au docteur lui donne du courage. Les duos de Pleyel ne sont pas difficiles ; toute la partie chantante était pour le premier violon, et Gaston, qui a l’oreille juste, parvient à se tirer de la seconde partie sans faire trop de fautes. M. Urtuby est enchanté ; mais il ne fait grâce à Gaston ni du menuet ni du rondo : enfin, le morceau étant complètement achevé, et Gaston suant à grosses gouttes, le docteur pose son instrument en lui disant : « – Très bien, mon jeune voisin, très bien… vous allez ; et quand vous vous y serez remis, vous deviendrez fort. Il faudra venir souvent, tous les matins ou à cinq heures, faire des duos avec moi… – Monsieur, permettez-moi de vous rappeler que j’étais venu pour autre chose. – C’est juste ! vous êtes malade, dites-vous… vous avez bien meilleure mine que tout à l’heure déjà… effet de la musique. Où souffrez-vous ? – Partout, monsieur. – Partout ! c’est comme si vous disiez nulle part. – Monsieur, mon mal est surtout dans le cœur. – Des palpitations ? – Non, docteur… mais je suis amoureux… et vous seul pouvez me guérir… – Je ne vous comprends pas… l’amour ne se guérit ordinairement que par le mariage ; mariez-vous. – Oh ! je ne demanderais pas mieux. – Préférez-vous que je vous joue un concerto de Viotti ?… Je le veux bien. – Non, docteur… mais j’aime une jeune personne qui habite dans cette maison, sous le nom de Félicie ; cette jeune personne, vous la connaissez… vous savez son véritable nom, car vous l’avez un jour rencontrée dans l’escalier et vous avez causé avec elle… Eh bien, docteur, c’est son nom de famille que je vous supplie de me dire… car, je vous le répète, je n’ai que des vues honnêtes, et je veux être le mari de cette jeune fille, si, comme je n’en doute pas, son nom véritable n’a rien dont elle doive rougir. » La figure du docteur est devenue sérieuse. « – Je suis fâché, » dit-il, « d’être obligé de refuser un jeune voisin… avec qui j’aurais été bien aise de me lier. Mais ce que vous me demandez ne rentre pas dans mon ministère… il y a ici un secret que j’ai promis de garder… je dois tenir ma promesse. – Vous croyez peut-être, docteur, que c’est une vaine curiosité qui me guide, détrompez-vous. Ce que je désire surtout, c’est de pouvoir soustraire cette charmante fille aux dangers qui la menacent. Il y a un homme… un fort vilain monsieur, qui poursuit une demoiselle Ernestine Danglade… il est venu se loger dans cette maison pour être tout près d’elle, car il prétend que mademoiselle Félicie n’est autre que cette Ernestine Danglade… Dites-moi seulement que cet homme se trompe, docteur, et je serai tranquille et je ne craindrai plus pour elle. » Le docteur hésite un moment, mais enfin il s’écrie : « – Ah ! si c’est pour préserver mademoiselle Danglade de quelque danger, c’est bien différent, et, dans son intérêt même, je dois me relever de mon serment. D’ailleurs, je me connais assez en physionomie pour être certain que vous êtes, vous, monsieur, un honnête jeune homme… Oui, cette personne que j’ai rencontrée il y a quelque temps dans l’escalier et qui m’a dit demeurer dans la maison, est mademoiselle Ernestine Danglade. Elle a été fort bien élevée ; son père, qui était un de mes clients, était un homme fort distingué ; il avait, je crois, trois mille francs de rente, outre son emploi dans un ministère. Il a dû laisser cela à sa fille, qui avait aussi une tante fort à son aise dans le Dauphiné. Voilà, monsieur, tout ce que je sais, tout ce que je puis vous dire sur mademoiselle Danglade… – Ah ! merci, docteur, merci mille fois… je vous jure que vous n’avez pas mal placé votre confidence. Tout mon désir, tout mon espoir, c’est de devenir l’époux de cette charmante fille et de faire son bonheur. Adieu, et merci encore… – Eh bien, vous partez comme cela… prenez donc ce violon… je gage que vous n’en avez pas chez vous… – Non, je n’en ai pas. – Prenez celui-là, je vous le prête… j’en ai encore quatre ici, vous étudierez dans vos moments de loisir… – Mais, docteur… – Prenez aussi cette musique… ce sont des études pour le violon… Mettez-vous-y… seulement cinq heures par jour, et vous en saurez bientôt autant que moi. – Je n’aurai pas le temps. – On trouve toujours un moment… cela vous redonnera du ton… vous vous porterez mieux, et vous viendrez faire des duos. – Quand je serai plus fort, oui, docteur. » Et Gaston remonte chez lui avec le violon sous son bras. C’était la seule ordonnance que le docteur lui avait donnée.

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