Chapitre 1

1330 Words
Chapitre 1 Au moins, cela ne sent pas encore trop mauvais, pensa l’agent spécial Bill Jeffreys. Penché sur le corps, il ne pouvait s’empêcher de renifler les premiers relents, qui s’emmêlaient aux parfums boisés du pin et à la brume s’élevant du ruisseau. C’était une odeur qu’il connaissait bien, mais à laquelle il ne s’était jamais habitué. Le corps de la femme avait été disposé soigneusement sur un rocher, au bord du ruisseau. Elle était assise, appuyée contre une pierre, les jambes droites et écartées, les bras le long des flancs. L’angle que formait son coude permettait de deviner qu’un de ses os était cassé. Il était évident que ses cheveux blonds ondulés étaient en fait une perruque miteuse. Quelqu’un avait dessiné un sourire rose par-dessus sa bouche. L’arme du meurtrier était encore nouée autour de son cou : la femme avait été étranglée à l’aide d’un ruban rose. Une fleur artificielle – une rose – gisait à ses pieds. Bill tenta de soulever sa main gauche, qui refusa de bouger. — Encore en état de rigidité cadavérique, dit Bill à l’agent Spelbren qui s’accroupissait de l’autre côté du corps. Elle est morte il y a moins de vingt-quatre heures. — Et ses yeux ? demanda Spelbren. — Cousus avec du fil noir pour rester ouverts, répondit-il sans prendre le temps d’y regarder de plus près. Spelbren lui jeta un regard stupéfait. — Vous pouvez vérifier, dit Bill. Spelbren s’approcha. — m***e…, murmura-t-il. Bill remarqua qu’il n’avait pas eu de mouvement de recul. Tant mieux. Bill avait déjà travaillé avec d’autres agents de terrain – parfois aussi expérimentés que Spelbren – que cette scène de crime aurait fait vomir. C’était la première fois qu’il travaillait avec Spelbren, envoyé par le bureau de Virginie. C’était Spelbren qui avait eu l’idée de faire appel à un agent de Unité d’Analyse Comportementale de Quantico : Bill. Bien joué, pensa Bill. Spelbren était plus jeune de quelques années, mais il semblait endurci par l’expérience et cela lui plaisait. — Elle porte des lentilles, nota Spelbren. Bill s’approcha. Son collègue avait raison. Ces yeux d’un bleu artificiel et sinistre le poussèrent à détourner les siens. La proximité du ruisseau rafraîchissait l’air, mais cela n’empêchait pas ces yeux de s’enfoncer dans leurs orbites. Il allait être difficile de déterminer l’heure exacte de la mort. Le corps avait été disposé ici pendant la nuit, voilà tout ce dont Bill était certain. Il entendit une voix non loin. — p****n de Fédéraux… Bill jeta un coup d’œil par-dessus son épaule, vers les trois policiers locaux qui se tenaient à quelques pas. Ils murmuraient à présent de façon inaudible et Bill fut certain qu’ils les avaient insultés à voix haute dans le but de se faire entendre. Les gars venaient de Yarnell et la présence du FBI ne les réjouissait pas. Ils pensaient sans doute qu’ils étaient capables de s’en sortir tous seuls. Le ranger en chef du Mosby State Park n’avait visiblement pas le même avis. Il avait bien compris que les gars de Yarnell, habitués aux actes de vandalisme et au braconnage, n’étaient pas capables de gérer une telle affaire. Bill avait fait le trajet en hélicoptère, pour arriver avant que le corps ne soit déplacé. Le pilote avait suivi les coordonnées jusqu’à atteindre une clairière coiffant un plateau, où Bill avait retrouvé le ranger et Spelbren. Le ranger les avait ensuite véhiculés sur quelques miles le long d’une route poussiéreuse. Alors qu’il s’arrêtait, Bill avait aperçu la scène du crime à travers la fenêtre. Une pente douce descendait de la route jusqu’au ruisseau. Les policiers qui observaient les Fédéraux d’un air impatient avaient déjà examiné la scène. Bill savait exactement ce qui leur passait par la tête. Ils voulaient résoudre le mystère eux-mêmes. La présence d’une paire d’agents du FBI les gênait. Désolé, les bouseux, pensa Bill, mais ça sort de votre domaine d’expertise. — Le shérif pense qu’il s’agit de trafic, dit Spelbren. Il a tort. — Pourquoi dites-vous cela ? demanda Bill. Il était arrivé à la même conclusion, mais il voulait voir comment fonctionnait le cerveau de Spelbren. — Elle a trente ans, elle n’est pas si jeune, dit Spelbren. Elle a des vergetures, donc elle a eu au moins un enfant. Pas le genre à finir dans les trafics. — Vous avez raison, dit Bill. — Et la perruque ? Bill secoua la tête. — On lui a rasé la tête, répondit-il. Je ne sais pas à quoi sert la perruque, mais sans doute pas à changer sa couleur de cheveux. — Et la rose ? demanda Spelbren. Un message ? Bill examina la fleur. — Bon marché, industriel, répondit-il. Le genre qu’on achète dans les supermarchés pas chers. Nous pouvons explorer cette piste, mais nous ne trouverons rien d’intéressant. Spelbren le dévisagea, visiblement impressionné. En vérité, Bill doutait que les indices disposés ici mèneraient à quoi que soit. Le meurtrier semblait méticuleux. L’allure grotesque de la scène rendait Bill nerveux. Les policiers brûlaient d’envie de s’approcher à nouveau. Ils avaient pris des photos et le corps allait bientôt être déplacé. Bill se releva en soupirant et secoua les jambes pour chasser les fourmis. Ses quarante ans commençaient à l’émousser. — Elle a été torturée, observa-t-il avec un soupçon de tristesse. Regardez les estafilades. Certaines commençaient à cicatriser. Il secoua la tête d’un air grave. — Quelqu’un s’est acharné sur elle pendant des jours avant de l’étrangler avec un ruban. Spelbren soupira. — Le mec doit être bien allumé, dit-il. — Eh, vous avez bientôt fini ? cria un des policiers. Bill jeta un coup d’œil dans leur direction et les vit traîner les pieds. Deux d’entre eux marmonnaient. Bill avait effectivement terminé, mais il n’en dit rien. Ces clowns pouvaient bien attendre… Il embrassa la scène du regard. La région était densément boisée. Les pins et les cèdres se pressaient les uns contre les autre au milieu d’un sous-bois épais. Le ruisseau apportait une note bucolique au paysage en coulant tranquillement vers la rivière la plus proche. C’était l’été, mais les températures ne s’élevaient probablement jamais par ici et le corps n’était pas prêt de se décomposer. Pourtant, il était prévu de le déplacer et de l’expédier à Quantico le plus vite possible. Les médecins légistes voudraient l’examiner alors qu’il était encore frais. La camionnette chargé de l’emporter attendait, garée derrière la voiture de police. Des ornières parallèles faisaient ici office de route. Le tueur avait dû emprunter ce chemin en voiture, lui aussi. Il avait descendu le corps par le sentier étroit, l’avait disposé sur le rocher avant de repartir. Il n’était sans doute pas resté longtemps. Il est vrai que la région semblait isolée, mais les rangers y faisaient de fréquentes patrouilles. Les voitures privées n’étaient pas censées emprunter cette route. Le tueur voulait que le corps soit découvert. Il était fier de son œuvre. Comme prévu, le corps avait été découvert par des promeneurs à cheval, tôt dans la matinée. Des touristes montés sur des chevaux de location, selon le ranger. Venus de Arlington, ils dormaient dans un faux ranch en périphérie de Yarnell. Leur découverte les avait rendus un peu hystériques. On leur avait dit de ne pas quitter la ville et Bill avait l’intention de leur parler un peu plus tard. Rien ne semblait avoir été déplacé autour du corps. Le gars s’était montré prudent. Il avait visiblement traîné quelque chose derrière lui en remontant la pente – peut-être une pelle – pour effacer ses propres empreintes. Aucun déchet laissé par accident ou intentionnellement. Quant aux traces de ses pneus, les véhicules du médecin légiste et des policiers les avaient probablement recouvertes. Bill soupira. Merde, pensa-t-il, où est Riley quand j’ai besoin d’elle ? Sa partenaire de longue date et meilleure amie avait pris un congé pour se remettre du traumatisme causé par leur dernière affaire. Un vrai merdier. Elle avait besoin de vacances. En fait, elle n’était même pas sûre de revenir. Mais il avait besoin d’elle maintenant. Elle était beaucoup plus intelligente que Bill, même si cela ne lui plaisait pas de l’admettre. Il adorait la regarder réfléchir. Il l’imagina penchée vers la scène, en train d’examiner les plus minuscules détails. Bien sûr, elle aurait chambré son collègue en lui montrant des indices qui se trouvaient juste sous son nez. Qu’est-ce qu’elle aurait bien pu trouver ici que Bill ne voyait pas ? Il se sentait coincé et cela ne lui plaisait pas. Malheureusement, il ne pouvait rien faire de plus. — Okay, les gars, dit Bill en direction des policiers. Emmenez le corps. Les policiers éclatèrent de rire et se tapèrent dans les mains, comme s’ils venaient de gagner un pari. — Vous pensez qu’il va recommencer ? demanda Spelbren. — J’en suis certain, dit Bill. — Comment le savez-vous ? Bill prit une longue inspiration. — Parce que j’ai déjà vu son travail.
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