Kieran
La transformation se produisit en un instant. Mon corps fut secoué par une douleur intense alors que mes muscles se tendaient et se déformaient. Ma peau se tordait, mes traits se changeaient sous l’effet des crocs acérés qui se formaient dans ma bouche. Un cri déchirant s'échappa de ma gorge, se mêlant à un rugissement bestial. C’était un hurlement que seul un être comme moi pouvait produire, une douleur qui effaçait tout raisonnement. Mes yeux, jadis d’un bleu froid, se teintaient de doré, emplis d’une rage primitive que je ne pouvais maîtriser.
Mais au milieu de cette tourmente, une pensée persistait en moi. Elle était là. Amy. Je pouvais encore sentir sa présence, son regard posé sur moi avec une intensité que je n’arrivais pas à expliquer. Elle ne fuyait pas, elle ne reculait pas. Elle restait là, calme, comme si elle n’avait pas peur de ce que j’étais en train de devenir. C’était inconcevable. Elle savait ce que je devenais. Pourquoi ne fuyait-elle pas ? Comment pouvait-elle m’accepter ainsi, dans cet état monstrueux ?
La transformation continuait, brutale et rapide. Mes jambes se pliaient, mes ongles devenaient des griffes acérées, et mes muscles se bandaient sous une peau désormais couverte de poils noirs et épais. Je peinais à rester debout, ma respiration plus profonde et plus rauque. Tout autour de moi devenait plus clair, plus net. Les odeurs étaient plus fortes, plus enivrantes. Et au milieu de tout ça, je ressentais encore la présence d’Amy. Son parfum léger, sa chaleur, m’atteignaient avec une force incroyable. Elle était si proche.
La bête en moi hurlait, avide de violence, prête à détruire. Mais une part de moi, une part humaine, luttait encore. Je me battais pour ne pas céder à cette rage, pour garder ce qu'il restait de ma raison, pour ne pas laisser la créature m’envahir totalement.
Amy ne bougeait pas. Elle me fixait toujours, les yeux emplis de calme, de compréhension, sans la moindre peur. Comment pouvait-elle être aussi sereine face à un monstre comme moi ? Ses yeux étaient un ancrage, une promesse. Elle ne fuyait pas, elle m'affrontait. Et cela me perturbait profondément.
« Kieran, » dit-elle enfin, d’une voix douce, presque apaisante. Ses mots perçaient le tumulte de ma transformation, comme un phare dans la tempête. « Ce n’est pas toi. »
Ce n’était pas moi ? Comment pouvait-elle dire cela alors que je venais de devenir ce que je redoutais le plus ? Une bête. Une créature incontrôlable, pleine de fureur. Comment pouvait-elle ne pas voir l’abomination que je devenais ?
La colère me saisit de nouveau, mes griffes raclèrent le sol, mais je savais que tout cela faisait partie de moi. La douleur, la rage, et le rejet… C'était ce que j’étais devenu, ce que j’avais toujours été. Mais elle ne reculait pas. Ses mots n’étaient pas pleins de peur, mais d'une confiance que je ne comprenais pas. Comment pouvait-elle me regarder ainsi, alors que tout en moi hurlait à la destruction ?
Elle s’approcha lentement, sans crainte. Elle tendait la main vers moi, un geste paisible, comme si elle savait quelque chose que je n’avais pas encore saisi. Comment pouvait-elle être aussi calme face à ce monstre en moi ?
« Tu n’es pas seul, Kieran, » dit-elle. « Je sais ce que tu es. »
Ses paroles m’électrisèrent. Elle savait ce que j’étais ? Mais comment cela était-il possible ? Et surtout, pourquoi cela ne la faisait-il pas fuir ?
Mon corps tremblait de l’intérieur, la bête rugissait pour prendre le contrôle, mais je savais, au fond de moi, que quelque chose d’autre se jouait. Ses yeux brillaient d’une lueur que je n’avais jamais vue, et d’une manière inexplicable, je ressentais une étrange paix en moi. Peut-être, après tout, je n’étais pas totalement perdu. Peut-être, au fond, il y avait encore une part de moi qui pouvait être sauvée.
« Je ne fuirai pas, » dit-elle doucement, sa voix douce mais ferme, emplie de confiance. « Je sais que tu es perdu, Kieran. Mais je crois en toi. »
Ses mots frappèrent mon cœur comme un coup de foudre. Ils apportaient avec eux une chaleur, une lumière qui perçaient l’obscurité en moi. Et je compris alors, dans cette lumière fragile, que peut-être je n’étais pas seul. Pas cette fois.
Je tendis lentement ma main vers la sienne. Elle la saisit doucement, et je sentis une chaleur se répandre dans ma paume. Le contact de sa peau contre la mienne m’apaisa, même si la bête hurlait encore dans mes entrailles. Je fermai les yeux, cherchant à me concentrer sur ce geste, sur cette petite lueur de calme qui, pour la première fois, perçait les ténèbres.
La transformation, je le comprenais maintenant, n’était pas qu’une épreuve physique. Elle était un passage, une épreuve intérieure. Et peut-être qu’à cet instant précis, je traversais quelque chose de bien plus profond, une autre métamorphose, une renaissance.
Je n’étais pas seul. Pas cette fois.