Chapitre 4 : Les Ombres du Passé

1082 Words
Kieran Les jours suivants se fondirent dans un tourbillon d’incertitudes et de remords. Je me tenais toujours à distance de l’auberge, observant parfois de loin, sans jamais oser franchir le seuil. Le regard d’Amy, ce regard mêlé de confusion, de rejet et peut-être même de peur, hantait mes pensées à chaque instant. Je m’étais dit que je n’avais pas d’autre choix que de fuir, mais au fond de moi, une petite voix persistait, une voix qui me soufflait que je ne pouvais pas simplement partir, que je ne pouvais pas l’abandonner, elle. Je n’avais pas d’explication à ce sentiment étrange qui se réveillait en moi. Au fil des années, j’avais appris à accepter mon isolement, à me défaire des attaches humaines, car je savais que ma nature finirait toujours par détruire tout ce que je construirais autour de moi. Mais elle, Amy, semblait représenter quelque chose d’inaccessible. Non pas de l’amour, non, mais un espoir, une étincelle de compréhension que je n’avais pas ressentie depuis des années. C’était la troisième nuit depuis notre rencontre, et je errais, comme à mon habitude, dans la forêt. Mais cette fois, la lune ne semblait pas m’appeler avec la même insistance qu’elle le faisait habituellement. Je n’étais pas encore transformé, mais je sentais la bête s’agiter dans mes entrailles, prête à éclater sous l’effet de la pleine lune. Je m’arrêtai un moment près d’un arbre imposant, me laissant aller contre son tronc rugueux, les yeux fermés, le souffle court. J’avais besoin de réponses, et ces réponses ne viendraient pas par l’isolement, mais en affrontant ce que je redoutais le plus. Elle me rejette. Comme tous les autres. Je murmurai cette phrase à haute voix. Cela faisait des années que je la répétai à moi-même, mais ce n’était plus la même. Ce n’était pas juste un rejet, c’était un rejet de quelque chose d’encore plus profond, de mon essence même. La malédiction que je portais. Le fardeau de la bête en moi. Une part de moi savait que je n’aurais jamais ce que je désirais le plus : la paix intérieure. Je me levai brusquement, chassant mes pensées sombres. La transformation approchait. Je ne pouvais plus repousser ce qui allait arriver, mais je ne pouvais non plus continuer à fuir sans rien comprendre. La jeune femme… Amy… Elle restait, malgré tout, une question sans réponse. Je devais retourner à l’auberge. Pas pour l’affronter, mais pour comprendre pourquoi ma simple présence lui avait suffi à briser les murs que je m’étais construits autour de moi. Dans un dernier élan de résignation, je me dirigeai à nouveau vers la lisière de la forêt, où je vis les lumières chaudes de l’auberge. J’étais seul ce soir-là, la brume tombant sur la vallée, et l’odeur de la terre humide envahissait mes narines. Je n’avais jamais ressenti cette même lourdeur, comme si le monde autour de moi se refermait, chaque pas me menant inexorablement à la confrontation que j’avais esquivée jusque-là. Lorsque l’auberge apparut dans ma ligne de mire, je marquai une pause. Mes griffes se dessinaient sous ma peau, mes muscles se tendant sous l’effet de la lune qui se levait lentement. Je savais que j’étais à un tournant de mon existence. Je n’étais plus cet homme brisé qui fuyait son destin, j’étais celui qui avait commencé à accepter ma malédiction, à accepter cette dualité entre l’homme et la bête. Mais que restait-il de moi, de ce Kieran humain, au milieu de cette transformation inévitable ? J’entrai silencieusement dans l’auberge, tout en me maudissant intérieurement. Le regard d’Amy m’accueillit à l’instant où je franchis le seuil. Elle était là, cette fois assise près du feu, une lueur d’hésitation dans les yeux. Ses traits étaient marqués par la fatigue, mais il y avait dans son regard quelque chose que je n’avais pas vu la première fois : une forme de compréhension, ou peut-être d’acceptation, mais aussi une peur sourde, comme si elle savait que la vérité n’était pas loin. Je m’approchai lentement de la table, mon corps luttant contre la transformation qui ne demandait qu’à se libérer. Je ressentais cette tension, cette douleur à chaque respiration. Je savais que je ne pouvais pas la cacher. Mes yeux brillaient d’un jaune surnaturel, mes griffes déjà prêtes à se manifester, je me battais pour contrôler la bête qui se tenait prête à émerger. « Amy, » dis-je d’une voix rauque, presque étrangère à mes propres oreilles. « Je… je suis désolé pour la façon dont les choses se sont passées. Je n’aurais pas dû… » Je m’arrêtai en voyant sa réaction. Elle n’avait pas bougé, mais ses yeux se durcirent. Elle n’avait pas peur de moi, mais elle savait, comme moi, que les choses ne pouvaient pas simplement revenir à la normale. J’étais différent. J’étais dangereux. Et malgré l’envie que j’avais de me dévoiler à elle, je comprenais que la vérité ne changerait rien. Ce que j’étais, ce que j’allais devenir ce soir-là, la ferait fuir. Je baissai les yeux, incapable de soutenir son regard plus longtemps. « Je suis un monstre, » murmurai-je presque pour moi-même. « Et c’est tout ce que je serai jamais. » Amy se leva lentement, sa silhouette se découpant dans la lumière de la cheminée. Elle n’avança pas, mais son regard resta fixé sur moi. « Tu n’es pas un monstre, Kieran. » Sa voix était calme, presque douce, mais ses mots frappèrent mon cœur comme une claque. Je la regardai, la bouche sèche, cherchant à comprendre ce qu’elle venait de dire. « Ce que tu es… ça ne te définit pas. Ce n’est pas toi. » Je rougis, la bête se tordant dans mes entrailles. Comment pouvait-elle dire cela après tout ce que je lui avais montré, après tout ce que j’étais devenu ? Elle ne comprenait pas. Elle ne pouvait pas comprendre. « Tu n’as aucune idée de ce que je ressens, de ce que ça fait d’être… » Je m’interrompis, haletant. La transformation était sur le point de commencer. Mais Amy fit un pas vers moi, sa main tendue, comme une promesse de quelque chose que j’avais oublié depuis trop longtemps : la compréhension, la compassion, et peut-être, juste peut-être, l’espoir d’une acceptation. « Je comprends plus que tu ne le crois, Kieran. » Un éclat de lumière, d’humanité, perça à travers la noirceur qui s’était installée dans mon cœur. Pour la première fois depuis des années, je me sentis, malgré la douleur, un peu moins seul. Mais la bête ne pouvait plus être contenue.
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