I

459 Words
IElle s'appelait de son vrai nom Marguerite Charlès. Mais les gens l'avaient baptisée «la Charlézenn». Ce fut dès l'enfance une singulière fille, aux libres allures. Toujours grimpée dans les arbres, entre le ciel et la terre, comme un jeune chat sauvage, elle envoyait de là-haut sa chanson aux passants qui cheminaient en bas, dans la route. De qui était-elle née? On n'en savait rien. On disait dans le pays qu'elle n'avait eu «ni père, ni mère». Elle n'avait rien à elle sous le soleil, pas même le nom sous lequel on l'avait inscrite au registre de paroisse. Si pourtant! elle avait à elle sa beauté. Une beauté insolite, étrange, comme toute sa personne, comme toute son histoire ou plutôt sa légende. Ce n'est pas qu'elle fût précisément jolie. Elle avait le nez un peu fort, et aiguisé en bec d'aigle. De même, ses cheveux déplaisaient, à cause de leur couleur. On a en Basse-Bretagne un préjugé contre les rousses. Ils étaient cependant magnifiques, ces cheveux. Amples et fournis comme une toison, rutilants comme une crinière. On eût dit, autour de sa tête, un buisson ardent, une broussaille de feu. Ses yeux, en revanche, étaient d'un bleu tranquille, presque délavé. Leur nuance était douce—et triste. C'étaient des yeux timides, enfantins, faciles à effaroucher. Ses lèvres très fines, un peu serrées, montraient en s'ouvrant des dents petites et comme passées à la lime. Avec tout cela, ou, si vous préférez, en dépit de tout cela, la Charlézenn, quoiqu'elle eût dix-sept ans à peine, attirait l'attention des jeunes hommes. Les commères racontaient aux veillées qu'elle les ensorcelait. Comme preuve à l'appui, elles citaient l'aventure de «Cloarec Rozmar». C'était un clerc, de Plouzélambre. Une année d'études seulement le séparait de la prêtrise. Or, un matin, pendant les vacances, il avait sollicité de son père un entretien particulier. —Mon père, dit-il, j'ai résolu que je ne serai pas prêtre. —Reprends donc la bêche, répondit le vieux Rozmar. —Oui, mais à une condition. —Laquelle? —C'est que vous me permettrez de prendre femme. —As-tu fait ton choix? —J'ai choisi la Charlézenn. —Une va nu-pieds! Jamais! —Si vous ne l'acceptez pour bru, j'en mourrai. —J'aime mieux ta mort que le déshonneur de tous les nôtres. —C'est bien! Le lendemain, un des domestiques de la ferme avait trouvé Cloarec Rozmar pendu à la branche d'un pommier, dans l'enclos. Cette tragique aventure avait provoqué, dans toute la région, une explosion de haine aveugle contre la Charlézenn. Notez que pas une fois Cloarec Rozmar ne lui avait adressé la parole. Cette grande fille farouche était ignorante de sa beauté comme de toutes choses. De l'espèce de fascination qu'elle exerçait, elle ne se rendait pas compte.
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