Prologue

1794 Words
Prologue Ambre Je me souviens encore des mots que j’avais prononcés ce jour-là, face à ma psychothérapeute : on a la vie qu’on se fait, pas vrai… Elle avait alors souri, puis avait acquiescé avant de me répondre doucement : je pense que oui. Elle ne pensait pas que oui, elle ne pensait pas que non. Elle se contentait d’aller dans mon sens pour que je ne souffre pas plus que je ne le faisais déjà, pour que je cesse de me remettre en question alors que je n’avais pas à le faire. Je la payais soixante dollars de l’heure, elle savait que j’étais une fille impulsive, elle n’avait plus osé me contrarier par peur de me voir encore partir avec son dû dans ma poche. Elle n’allait pas me contredire. On a la vie qu’on se fait… Avec les années qui passent, avec les ans que je me prends en pleine poire, je ne peux que revenir sur mes mots. Je voudrais les reprendre, les ravaler, et les empêcher de sortir. Parce que dire des conneries, j’en étais la pro. Aujourd’hui, maintenant que j’ai grandi, mon discours est autre. On n’a pas la vie qu’on se fait, non. On fait notre vie avec ce qu’on a fait de nous. Avec ce qu’ils ont fait de nous. Mon histoire fut composée de tellement d’éléments, que moi-même je ne sais plus si je suis dans le vrai, si je suis dans le faux. J’ai besoin de m’accrocher à chacun de mes souvenirs. Qu’ils soient erronés ou non. J’ai besoin de rejouer chaque scène, de me replonger dans ce passé impétueux pour exploiter les divers scénarios possibles. J’ai besoin de comprendre… Pour avancer. Millimètre par millimètre, je dois le faire. Pour moi. Rien que pour moi cette fois. Je ne suis pas folle, je ne suis pas à lier, je ne suis pas une folle à lier. Je suis seulement une femme perdue. Les gens disent de moi que je ne suis qu’un cas. Cas un, cas deux, cas trois, cas cent mille. Nous sommes tous des cas à part. Vivre recluse de cette société, je le fais et pourtant je ne voulais pas de ça pour moi. Le monde extérieur m’effraie, le monde extérieur me donne le tournis, le monde extérieur me fait vomir. J’ai peur, je suis angoissée, je suis phobique sociale, phobique de tout et pourtant je ne suis pas malade. Il y a eu lui, puis eux. Puis lui, elle et encore lui. Il y a eu lui et moi. Puis, plus rien. Le néant a pris possession de mon cœur, la douleur a remplacé les mouvements de mes jambes, l’affliction a séché mes larmes. J’essaie de comprendre, je voudrais qu’il se remémore nos peurs, nos doutes, nos rires, nos baisers, nos b****s à n’en plus finir. Je voudrais juste qu’il se rappelle du pourquoi il m’a aimée. Je voudrais juste qu’il se souvienne du pourquoi je l’ai chéri. Je voudrais juste qu’il se remémore notre histoire, puisqu’il a fini par tout effacer de sa mémoire. Laisse-moi te parler de ma vie, de mon passé, de cet événement qui a changé le cours de mon existence… J’avais quinze ans. À l’époque j’étais encore une jeune fille pleine de rêves, de projets et emplie d’espoir. Quinze ans et je me prenais déjà pour une grande. Quinze ans, adolescente en conflit perpétuel avec ses parents. Ils m’énervaient ces cons. Ils me bassinaient les oreilles avec leurs leçons de morale sur chaque choix de vie que je prenais. Si je faisais un pas de travers, je m’en prenais une. Un pas en avant, ma génitrice sortait la ceinture. Un pas en arrière, ma mère ricanait de me voir échouer, ne pas oser, ne pas m’affirmer. Mon père lui, ne mouftait pas. Il regardait sa femme sévir contre sa gosse sans aucune réaction. Il s’en tapait de mon éducation, tant que je lui foutais la paix. Lorsqu’on a quinze ans, l’espoir est présent en nous comme l’affliction l’est chez les plus âgés. Des cicatrices, j’en avais. Mon corps en portait, mon âme en saignait. Mais quand on a quinze ans, on est consciente qu’un jour, on s’en sortira. Je n’étais pas rouée de coups mais j’étais élevée à la dure, je ne manquais de rien mais je n’étais pas heureuse, je rêvais d’évasion surtout, je rêvais d’un bonheur éternel que personne ne pourrait entacher. À quinze ans, je comptais les ans qui me séparaient de la majorité. Je les comptais sur une seule main avec la boule au ventre quand je ne parvenais pas à m’imaginer heureuse, quelque part loin de chez moi. Et puis, je l’avais aperçu… Alec. Beau, grand et plus âgé que moi. C’est son p****n de regard qui avait fendu l’armure sous laquelle je barricadais mon cœur. Ses yeux ténébreux m’avaient fait frissonner, l’assurance qu’il affichait m’avait séduite. Il était beau, Alec. Il était l’homme avec lequel je me voyais bien partir pour le restant de mes jours. Chaque soir, alors que je descendais du bus scolaire, il était là. De l’autre côté de la route, appuyé nonchalamment sur sa bécane. Je me souviens encore de la façon dont mes yeux le dévoraient, dont les siens me parlaient. Jusqu’au jour où, il m’avait interpellée. — Hep Blondie ! Ce surnom valait tous les maux qui m’étaient infligés depuis ma naissance. La gamine écervelée que j’étais s’était approchée, son cœur s’était emballé. Boum. Boum boum. Boum. Boum boum. À toute vitesse. Entre lui et moi une histoire d’amour était née. Entre mes yeux et les siens, une jolie romance voyait le jour. Je me voyais à travers lui, je me voyais belle, je me voyais moi, je me voyais enfin comme une personne aimée. Ses iris s’illuminaient quand il me voyait, ils devenaient durs et sombres lorsque nous nous disputions. Parce que chaque vérité, chaque mensonge passait dans son regard, détenant ainsi le contrôle de mon émotion. Je l’aimais bien, Alec. Je l’aimais bien plus que bien. J’étais amoureuse. Pour la première fois. Je le voulais, il me désirait et rien d’autre ne m’importait. Même pas les activités qu’il pratiquait au sein du gang des Peaceful Demons. J’étais heureuse. Pour la première fois. Mais à quinze ans, je n’avais pas encore la notion du danger véritable. Je savais qu’en approchant mon doigt d’une flamme je pouvais me brûler, je savais que si je traversais la route je pouvais me faire écraser. Je savais même que les pédophiles existaient. Par contre, ce que j’ignorais, c’est que la vraie douleur est souvent provoquée par les gens que nous aimons. J’ignorais encore plus qu’un amour à sens unique était la pire des tortures que l’humain était capable de supporter. Il était biker. À quoi m’attendais-je ? À seize ans et demi, j’en avais marre de ces filles qui déambulaient à moitié nues toute la journée. Je les entendais jouir tandis que je grinçais des dents pour ne pas péter un plomb. Parce que des câbles, j’en pétais bien souvent, créant des disputes insignifiantes à ses yeux, créant la fin de mon paradis. Je voulais être celle. Je voulais être sienne. Celle pour qui il aurait tout abandonné, tout laissé sans jamais le regretter. À la place de ça, j’avais le rôle de la fille de passage qui pourtant était là depuis assez longtemps. Le rôle de celle qu’on b***e parce qu’elle est nouvelle, parce qu’elle est mignonne avec ses grands yeux bleus et ses cheveux blonds, parce qu’elle fait du bien à l’égo. J’avais le rôle de la nana trop collante qui ne comprenait pas trop ce qu’elle était censée faire pour se faire un peu plus aimer encore. Quand je rentrais chez mes parents, j’étais dévastée, mais aussi révoltée. La gentille fille que j’étais devenait le synonyme d’arrogance. Arrogante, impertinente, pleine d’assurance, fragile, en plein doute. Détruite. J’en voulais à ma famille qui ne se souciait guère de voir leur enfant souffrir le martyre. Je le voulais lui. Rien que lui et je ne parvenais pas à le désaimer malgré la souffrance qui me retournait les tripes. Et je savais comment faire pour qu’il reste à mes côtés. Ivre jusqu’à ne plus savoir comment je me nommais, Alec m’avait embrassée. Je lui avais fait l’amour alors qu’il ne faisait que de me b****r. — Je te b***e, Ambre, j’aime te b****r. Et moi aussi j’aimais le b****r, surtout quand à son insu, il me faisait un bébé. J’avais alors presque dix-sept ans et j’étais enceinte de la bestialité. C’était anxieuse et à la fois heureuse que je lui avais annoncé la grande nouvelle. — On va avoir un bébé, amour. Je me souviens encore de ses sourcils froncés, de ses iris qui s’étaient teintés de surprise, de violence. Alors que durant les premières semaines j’avais imaginé ce moment comme étant idyllique, Alec balayait mes espoirs d’un revers de la main, de son poing. — Hors de question ! Il avait hurlé en même temps que ses phalanges s’étaient écrasées contre ma tempe. Et c’est là que le cauchemar avait commencé, à mes dix-sept ans et demi. Rouée de coups, j’ai perdu le bébé dans la cave de l’entrepôt des Peaceful Demons. C’était lui, c’était moi, c’était lui et les autres gars. Tous me battaient, un à un, chacun leur tour tandis que j’implorais leur clémence. Mais alors que l’affliction s’insinuait dans mon corps, mon cœur lui se trouvait déjà mort. Ils avaient tué mon bébé. À dix-sept ans et demi, je venais de perdre l’homme que j’aimais, et surtout, mon bébé. Je n’étais plus rien, durant des semaines entières. J’étais leur captive, leur vide-couilles, leur punching-ball. Parce qu’Alec disait que je les avais trahis. — Tu croyais quoi, hein s****e ?! À chaque fois que la lourde porte en fer claquait derrière moi, je m’effondrais dans la tâche de sang de la non-naissance de mon bébé qui avait marqué le béton, je pleurais sa perte, je pleurais sa mort, je pleurais mon imbécilité. Puis, je me suis murée dans le silence. Je ne voulais plus parler. Je ne pouvais plus, je n’avais rien à dire. Naïvement, j’avais pensé que mes parents allaient venir me chercher. Mais il n’en fut rien. Mon calvaire allait s’éterniser, les jours allaient devenir semaines, le mois allait se multiplier par six. Viols, violences, insultes et ramassis de conneries. Je ne disais mot. Je ne geignais plus quand ils discutaient de leurs plans devant moi, entre deux passes qu’ils m’imposaient. — Tu t’es encore pissée dessus ? Ils passaient leur temps à me violenter physiquement, psychologiquement. Je m’étais éteinte, j’étais persuadée de crever. Ils voulaient me buter. Un matin, après qu’Alec soit venu me jeter une tranche de pain au visage, j’ai trouvé la force de me redresser, de profiter de cette porte mal fermée. Et pour la première fois, j’ai osé. Pour la première fois, je me suis choisie. Je suis sortie. Devant mes pieds s’étendait une série de marches que j’avais grimpée, sans faire un bruit, me méfiant des personnes qui pouvaient être présentes. Pour mon plus grand soulagement, la pièce était vide, seuls des cartons de drogues et d’armes s’y trouvaient. L’odeur de moisi s’était infiltrée dans mes narines ensanglantées, ma tête avait tourné. J’aurais pu fuir, filer aussi vite que je le pouvais vers la sortie. J’aurais peut-être dû. Mais la crainte mêlée à l’euphorie de pouvoir leur échapper m’avaient injecté assez d’adrénaline pour me venger. Sur un appui de fenêtre, à côté d’un cendrier qui dégueulait de mégots, il y avait un briquet noir, tacheté d’une matière pâteuse et collante. Je l’avais allumé, j’avais regardé la flamme jaillir et danser dans les airs. Quelques bouts de cartons déchirés et une flamme avaient suffi pour foutre le feu à leur coffre aux trésors. J’avais regardé le feu s’étirer et embraser la poudre blanche, j’avais souri quand il s’était avancé vers mes pieds. J’avais dix-huit ans, et j’étais partie, pour ma propre survie.
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