Chapitre 1

1322 Words
Chapitre 1Le début du commencement Ambre Derrière la baie vitrée de mon appartement, j’observe la rue alors que le soleil peine à se lever. Il est sept heures trente. L’heure où la course commence pour la race humaine. Enfants, école, métro, boulot, magasin, repas, dodo. Un café brûlant dans les mains, mon regard file sur les passants qui se pressent sur les trottoirs de la ville. Mes pensées ne s’arrêtent jamais. Jamais. Pas une seule seconde de répit, pas une seconde de pause, pas une seconde tout court. J’ai appris à devenir comme ça. Je suis devenue comme ça. Ils ont tout fait pour que je sois comme ça. Je me suis auto-conditionnée pour être méfiante, sur mes gardes, toujours à l’affût d’un visage qui ne me serait pas totalement inconnu. Ils ne doivent pas me trouver. Je n’avais rien. Je n’ai toujours rien. Je suis seule, terriblement seule. Je n’ai pas de famille. J’en avais pourtant une. Mais si j’ai appris quelque chose de cette dernière année écoulée, c’est que la famille ne fait pas obligatoirement partie de notre vie à tout jamais. J’ai dix-neuf ans, p****n. Dix-neuf ans et toutes mes dents. Dix-neuf ans et plus de parents, plus d’amis de mon âge. J’ai dix-neuf ans et plus d’amour à donner. Je n’ai qu’elle… Que elle justement. Mon cœur s’est verrouillé, mon âme s’est pendue dans un coin de ma tête, mon rire s’est évaporé dans le verre de bourbon que j’ai avalé cul sec hier avant de me coucher. J’ai tout quitté de ma vie d’avant. Je suis partie euphorique, salement amochée mais heureuse, mon majeur dressé dans les airs, la gorge déployée à trop rire. J’avais ma vengeance. Je l’avais eue, p****n ! Je croyais que je l’avais eue. Seulement, à dix-huit ans, on ne sait pas vraiment à quel poisson on s’attaque. On ne réfléchit pas forcément aux conséquences de nos actes. Et je le paie. Cinq cent mille dollars. Sur ma tête. La personne qui me ramènera à lui aura cinq cent mille dollars. Un beau butin en échange de ma vie. Un beau butin à hauteur de ce que j’ai foutu en l’air dans la sienne. J’avale une gorgée de café, remonte la manche tombante de mon pull et inspire longuement. Penser à la mort ne m’effraie pas. Tout le monde naît, mais tout le monde crève aussi. Et je finirai par mourir. Pas maintenant par contre. Alors, je traque. Je suis devenue la pro de l’observation, je suis devenue la pro du repérage, je suis devenue tellement pro que j’en ai fait ma profession. Détective privée. Je suis la fille sans identité à décliner aux autres. Je ne suis pas celle que les autres voient. Sur le papier, tout a l’air simple, mais à vivre, tout devient compliqué. En dehors de ces murs, je ne suis plus Ambre Lowkins. Je deviens personne. Je deviens la personne sans passé, sans conjoint, sans enfants, sans vie à raconter. Parce que je ne suis personne. ∞ Il est dix-heures trente quand j’arrive dans la rue que m’indique le Gps qui hurle dans la voiture. « Vous êtes arrivée à destination ». J’éteins le Gps, l’arrache du pare-brise avant de le jeter dans la boîte à gants. J’observe. Encore et encore. Le macadam de la route est bordé de trottoirs inondés par la pluie, d’arbres aux fleurs roses dont les pétales tombent au sol sous la force du vent et des gouttes d’eau. Mes essuie-glaces se figent sur le pare-brise lorsque je coupe le moteur. Il y a très peu de voitures sur les allées devant les pavillons, personne, si ce n’est un chat qui zigzague à une vitesse folle à travers les gouttes. Rapidement la buée se forme sur les vitres de la voiture. De la paume de la main, je frotte un cercle dessus, me permettant de regarder la maison. Au bout de l’allée gravillonnée, se tient un joli pavillon fait de lambris en bois clair et de grosses pierres grises. Les tentures de l’étage supérieur sont ouvertes, celles du bas inexistantes. Mes yeux parcourent cet endroit, cherchant un détail qui m’aurait échappé. Mais il n’y en a pas. Ce lieu respire le calme, la sérénité, et peut-être même la solitude alors qu’à l’intérieur de ces murs se joue un chaos sans nom entre le couple qui y vit. Sa femme, madame Layers, m’a appelée hier matin. « — Allô ? ai-je répondu. — Euh… Elle semblait hésitante en entendant ma voix encore juvénile mais s’était vite reprise. — Bonjour… Je… J’ai vu votre annonce dans un pub de la ville… Un jour… Et… Un pub ? J’avais souri… Elle avait dû la voir il y a quelques mois déjà, mais avait attendu le bon moment pour m’appeler. — Je vous écoute. Que puis-je faire pour vous ? Elle avait toussoté, pour se donner un peu plus de contenance, puis avait repris. — Mon mari me trompe… J’ai besoin de votre aide. » Traquer des hommes ou des femmes infidèles n’a rien de bien palpitant. Les trompés le sentent, ils savent que leurs soupçons sont fondés. Je ne demande même plus quels sont les signes qui les ont alertés puisque ce sont toujours les mêmes : téléphone planqué, divers codes pour tout verrouiller, changements de mot de passe, excuses pour rester seul, mensonges. Après avoir attrapé mon parapluie au pied du siège passager, j’ouvre la portière, et sors rejoindre madame Layers. Dès qu’elle m’ouvre la porte, nous nous jaugeons, jugeons aussi. Je la trouve trop pimpante et scintillante dans son pull aux paillettes dorées ; elle doit me trouver probablement trop jeune pour être professionnelle. — Oui ? répond-elle pour s’assurer que je suis bien la personne qu’elle attendait. Je lui tends une main, lui sers un sourire franc, avec une pointe de chaleur humaine. — Madame Layers, ravie de vous rencontrer. Vous m’avez contactée hier, à onze heures. Elle inspire, me serre la main puis recule pour me laisser entrer. — Désolée, dit-elle alors que je referme mon parapluie. Je ne m’attendais pas à voir une personne aussi… Elle se tait, avec la peur certaine de commettre une impolitesse concernant mon âge. — Aussi jeune ? souris-je. Je comprends, mais je suis bien plus vieille que vous ne le pensez. Je mens. Madame Layers paraît se détendre en m’invitant à prendre un thé dans la cuisine. La pièce est grande, lumineuse, et si l’extérieur de la maison a un côté assez ancien et rustique, je dois bien admettre que l’intérieur est encore plus moderne que les nouvelles constructions. — Prenez place, me dit-elle, je vous en prie. Je m’installe au bar, l’observe tandis qu’elle s’affaire autour de deux tasses. Blonde, mince, élancée, le nez en trompette et les yeux teintés de bleu, je ne peux qu’être admirative. Quand elle s’assoit à mes côtés, madame Layers dépose les tasses devant nous, puis entame la discussion. — Je vous ai appelée car je sais que mon mari me trompe. Ça me détruit... — Depuis longtemps ? — Je dirais quelques mois… Mais est-ce avec une seule et même femme, ou plusieurs, je ne sais pas… Je ne sais plus… Une larme perle au bord de ses yeux, elle l’essuie avant de sourire. — Il y a deux ans, Hugo m’a couru après, il était l’homme idéal. Mais son empressement à s’engager m’effrayait. Pourtant, il a su me convaincre. De par son charme d’abord, mais surtout par sa gentillesse, par ses intentions, par son amour. — Quand tout a dérapé… — Oui. Une fois que nous nous sommes mariés, il a très vite été désintéressé. Il ne me regardait plus, ne parlait que très peu. Mon mari est devenu un inconnu. J’acquiesce en me levant, mais ne l’interromps pas. Il y a des photos encadrées sur le mur derrière moi, je veux voir à quoi ressemble cet homme que je dois traquer. J’en saisis une, le regarde longuement, enregistre le moindre détail du visage de cet homme. — Il passe ses soirées enfermé dans son bureau quand il est là. Ou sinon il me dit qu’il reste au boulot alors que les bureaux sont fermés depuis plusieurs heures déjà. — Quel métier ? demandé-je. Cheveux brun foncé. Yeux noirs. Peau mate. Fine barbe. Lèvres charnues. Grain de beauté sous l’œil droit. — Hugo travaille dans les bureaux de Cie Corporations WendyFeelings en tant qu’ingénieur en robotique. Un intello… — Hobby ? dis-je en reposant le cadre. — Il fait de la boxe, deux fois par semaine au Club de Stay. Je reprends place à ses côtés, sors mon carnet et y note les informations. — Vous avez une semaine. Je redresse la tête vers elle, arquant un sourcil étonné. Une semaine ? Elle est timbrée. — D’accord, réponds-je. Ça vous coûtera trois mille dollars. La moitié payable de suite, le reste quand je vous apporterai les preuves.
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