Chapitre 2

1479 Words
Chapitre 2La traque Ambre Tout en remontant dans ma voiture, je me dis qu’il valait mieux commencer la surveillance dans l’immédiat. Madame Layers ne me donne qu’une semaine pour lui apporter des réponses, donc peu de temps. Je démarre la voiture après avoir bouclé ma ceinture, et me mets en route vers la Cie Corporations WendyFeelings. Je n’ai pas peur de suivre cet homme. Je n’ai jamais eu peur de suivre qui que ce soit. Je n’ai jamais eu la crainte de devoir me justifier s’ils devinaient mes intentions. Les infidèles pensent être assez discrets, assez prudents, tellement prudents qu’ils deviennent directement suspects. Et la plupart du temps, ils le sont… Prudents... Quand il s’agit de leur moitié blessée seulement, mais pas avec les inconnus. Je suis une inconnue. À leurs yeux, je ne serai qu’une fille croisée au coin d’une rue, je ne serai que la nana qu’ils ont bousculée en ouvrant une porte, je ne serai qu’un visage bien vite oublié parmi tant d’autres. Depuis que j’ai commencé ce boulot, je n’ai eu qu’un seul cas où les soupçons du client étaient erronés. Il pensait que son épouse allait voir un autre. Et c’était le cas dans le fond puisqu’elle se rendait trois fois par semaine chez son père qu’elle pensait disparu depuis des années sans oser en parler avec l’homme impulsif qui partageait sa vie. Voir toutes ces relations partir en lambeau ne me donne pas envie de confier à nouveau mon cœur. Je ne m’en sens pas capable. Les hommes, les femmes, l’humain en général n’est pas destiné à aimer qu’une seule et unique personne tout le long de sa vie. Parce qu’on rencontre l’autre, qu’on apprend à le connaître, qu’on aime ses défauts bien avant ses qualités, qu’on en devient drogué avant de finir aveuglé par ce qui bat dans notre poitrine. Qu’importe les actes… Qu’importe les mots… Qu’importe les mensonges débités à toute vitesse. On ne voit plus juste. On ne voit plus la réalité malgré les avertissements de notre conscience. On se ment à soi-même. On se torture, on souffre, on suffoque. Et pourtant on attend le bon moment pour en terminer. Mais attendre quoi ? Attendre le pas de trop, le geste de trop, la parole de trop… Attendre de crever à force d’avoir trop mal. Trop d’attente et de souffrance pour une simple personne. C’est ce qu’il m’est arrivé ; ce dont je ne veux plus ; ce que je redoute. Ce que je ne veux plus vivre. Alec était le mec dont je rêvais. Celui qui me faisait frémir d’un seul regard. Il avait vingt-sept ans, j’en avais quinze. J’étais lycéenne, il était membre d’un gang. Je me souviens encore des regards impressionnés que je lui lançais quand je le croisais ; je me rappelle encore du sourire charmeur qu’il me répondait. Il était beau, il était grand, il était fort, il était dangereux. Tout ce qui me donnait envie de le connaître. Tout ce qui faisait hurler mes parents. Et alors que mes parents me menaçaient de me foutre dehors si je continuais cette idylle, moi, je devenais la nana de trop pour lui. Trop collante, trop chiante, trop jalouse, trop en demande d’affection, trop amoureuse, trop fragile… Trop tout. J’étais devenue la gêne, j’étais devenue l’épine qui lui écorchait le pied, j’étais devenue la gangrène qui le bouffait. ∞ Les bureaux de Cie Corporations WendyFeelings sont au centre de la ville de Clast. Malgré la circulation assez dense de ce lundi matin et les bouchons qui s’agrandissaient au fil des minutes, j’arrive sur le parking des visiteurs bien avant l’heure du déjeuner. Je me gare entre deux véhicules, coupe le moteur et fixe la porte d’entrée principale de la tour en verre qui s’élève face à moi. Je me sens ridiculement petite à son pied, ridiculement insignifiante. Modernité et sophistication. Tout ce que j’aime, tout ce que je n’ai jamais eu et qui me fout les étoiles dans les yeux. J’ai grandi dans un milieu modeste. Mon père était ouvrier dans une usine de métaux lourds, ma mère était femme au foyer. Elle s’occupait du ménage, des repas, de moi. Tout ce monde friqué m’a toujours intriguée, a toujours su attiser la curiosité de la gamine qui sommeille en moi, mais à la fois, je n’aime pas ce type de personnes. Les gens riches sont différents. Ils ne parlent pas comme les gens modestes ; ils ne jurent pas comme les gens modestes ; ils ne s’habillent pas comme les gens modestes, ils ne mangent pas comme les gens modestes. La mixité sociale n’existe pas, même si on tente de nous le faire croire. Je mâche mes mots, ça peut m’arriver de jurer comme un charretier, je me contente du shopping en friperie, et de grignoter ce que je trouve dans mon frigidaire. Rien à voir avec le train de vie de ces gens de la haute. Pourquoi je ne les aime pas ? Question d’égo je suppose. À leurs côtés, je me sens nulle, mal à l’aise, pas à ma place. Inconsciemment, ils me renvoient à ce que j’exècre chez moi, à ce que je déteste dans ma vie. Le téléphone qui joue l’air de Sister Act me sort de ma léthargie. Au bout du fil, Alix, ma voisine de palier, mon unique amie. — Alors vieille branche, quoi de bon ? dis-je en décrochant. Je ne quitte pas la porte des yeux. Je ne me laisse pas distraire. — Comment tu sais que c’est moi ? Elle tousse, encore puis reprend essoufflée : — Tu es d’accord pour me ramener un pain quand tu rentreras ? — Bien sûr. Et je sais que c’est toi vu la sonnerie choisie. Elle glousse. C’est elle qui l’a choisie lors d’une soirée passée ensemble. Alix a quatre-vingt-dix ans. Elle n’était censée être qu’une voisine enquiquineuse, et je sentais qu’elle allait me saouler quand elle avait débarqué chez moi le premier jour de mon emménagement. Je voulais la remballer, mais son sourire et ses yeux pétillants m’ont implorée de ne pas virer la tarte aux pommes qu’elle m’apportait. Alors je l’avais faite entrer, m’étais excusée du manque de mobilier avant de partager un morceau baigné dans une tasse de café. Alix est la femme qui sait tout de moi, de mon histoire, de mes choix de vie hasardeux. Même si durant mon récit elle avait grimacé, elle ne m’a jamais jugée, ni conseillée. L’unique chose qu’elle m’avait dite après lui avoir tout raconté a été « je suis désolée ma p’tite, mais je dois faire pipi ». J’avais ri, acquiescé, puis elle était revenue des WC avec un nouveau papotage : le nombre de couches des rouleaux de papier toilette. J’avais alors décidé que je l’aimerai comme si elle était ma grand-mère, ma mère, ma sœur, mon amie. J’avais tout perdu de ma vie, elle allait devenir ce tout en une seule personne. — Alors, toussote-t-elle, tu ne me racontes pas ta mission du jour ? — Tu devrais arrêter de fumer, grimacé-je. — Blablabla… Raconte ! Je soupire, change le téléphone de main et réponds : — Homme dans la trentaine, brun ténébreux qui trompe sa femme depuis quelques mois. — Tu en penses quoi ? — Rien, j’attends devant son travail qu’il daigne me montrer sa belle gueule. Elle rit, tousse encore avant de me dire : — Sois prudente mon p’tit, et n’oublie pas mon pain. Je raccroche, range le portable au fond de mon sac à mains, et tapote le volant du bout des doigts quand les premiers employés sortent en masse de la tour. — Fait chier ! Comment le distinguer parmi tous ces pingouins en costard ? Comment être certaine de le trouver alors qu’ils se ressemblent tous ? Mon cœur s’emballe, mes paumes deviennent moites. Je stresse, je ne veux pas échouer, et cette marée humaine va m’obliger à jouer l’inconscience. J’attrape mon sac, retire la clé du contact et sors de la voiture. ∞ La anse de mon sac bien serrée entre mes doigts, je trottine jusqu’à l’entrée, le cœur battant à tout rompre. Il ne faudrait pas qu’il me file entre les doigts, ni que je le rate parmi cette foule d’hommes qui se ressemblent tous. Brun, barbe courte. Brun, barbe courte. Les hommes qui m’entourent sont presque tous identiques, accentuant légèrement ma panique. Et pourtant, quand Monsieur Layers passe le tourniquet de la porte, je le reconnais immédiatement. Ils se ressemblent tous ici, mais il a ce quelque chose en plus, ce quelque chose qui le différencie des autres. Il est exactement comme la photo encadrée dans sa cuisine, il est encore plus fabuleux en vrai. Il est grand, très grand. Il est beau, beaucoup trop beau. Et il n’est pas seul. Accompagné d’un homme et d’une femme, Monsieur Layers croise mon regard. Il avance, il ne me lâche pas des yeux tandis que ses accompagnants lui parlent, il ne sourit pas, il est impassible. Sous son regard, je me statufie. Je n’ose pas bouger, j’ose à peine respirer. Je ne sais pas ce qu’il m’arrive, je ne sais pas pourquoi mon corps refuse de feindre le moindre mouvement, je ne sais pas ce que je fous, p****n ! Ses yeux percent mon âme, je me sens nue, vulnérable, je me ressens fragile et je n’aime pas ça. Ses iris sont aussi sombres que les miens sont clairs ; ses traits sont durs et austères ; son aura suinte la dangerosité. Pour je ne sais quelle raison, cet homme m’inspire la peur, la méfiance. Lorsque le trio passe à mes côtés, je respire. Ce moment n’aura duré que quelques secondes, j’ai la nette sensation qu’il a duré des heures entières. Heures de supplice, heures de calvaire, heures durant lesquelles je ne me suis pas sentie à l’aise. L’impression qu’il m’a démasquée, qu’il me connaît, qu’il sait tout de moi me transperce.
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