Je suis sur le point de finaliser l’achat de mon billet, quand une fenêtre s’ouvre en plein milieu de l’écran. Il s’agit d’un message de June. Je suis à deux doigts de le signaler à Josh, mais, un prénom dans le contenu du SMS me pousse à le lire.
[Je viens d’avoir Alex au téléphone, elle s’envole pour New York dans cinq jours. Elle veut être avec Sara pour son anniversaire. Je passerais certainement la voir avant son départ. On en rediscutera quand tu rentreras.
Et sinon comment va Noah ? Prends bien soin de lui, je m’inquiète… Il est pire qu’il y a trois ans… Tu me tiens au courant !]
C’est quoi ce délire ! J’ai relu au moins trois fois le message pour être sûr d’avoir bien compris. Et à chaque lecture, les mêmes mots m’ont percuté : « Sara », « anniversaire » et « New York », bien plus que de constater que ma sœur prend de mes nouvelles par le biais de Josh.
Putain de merde ! Pourquoi personne ne m’a rien dit ? Sinon, il y a bien longtemps que j’aurais traversé l’Atlantique pour la retrouver, et lui dire à quel point je regrette… En plus, je ne savais même pas que son anniversaire approchait… Je suis minable ! Je m’enfonce un peu plus dans le canapé et le souvenir de ce jour remonte à la surface.
Je sais que j’ai agi comme le roi des enfoirés, mais il fallait que je sois seul. En réalité, ce n’était que des conneries. J’aurais dû m’accrocher à elle au lieu de la repousser. J’ai pris conscience trop tard qu’elle voulait m’aider, comprendre et avoir des réponses pour notre bien, mais lorsque ça a été le cas il était trop tard.
Sara avait à peine franchi le seuil de la porte, que ma colère s’était transformée en tristesse… J’ai chialé comme un môme de trois ans et malgré la douleur, mes larmes avaient été salvatrices. Je retenais toutes mes émotions depuis trop de temps, trop de jours, trop d’années. Depuis ce qui est arrivé, depuis ce 5 juin 2014. Dès que je vois le mois de mai toucher à sa fin, je me renferme sur moi-même. Mais cette année, il y avait Sara dans ma vie et ça a quadruplé ma douleur. J’avais l’impression d’être un traître, d’abandonner, de tout mettre de côté, d’oublier ma vie d’avant parce que j’avais Sara… Et p****n, quand ce fichu 5 juin a commencé à approcher je devais m’éloigner pour vivre tout ça seul, ma tête en avait besoin pour se souvenir, pour me rappeler le bonheur que j’ai connu avant cette date fatidique.
Seuls ma famille et mes amis proches connaissent cette période de ma vie. J’avais réussi à l’épargner des médias, réussi à garder ce rayon de soleil pour moi. Et quand tout a basculé, j’ai vu mon monde s’écrouler. Ce qui comptait le plus à mes yeux est parti, s’est envolé et m’a brisé.
Sara a souffert, moi aussi, mais d’une tout autre manière. Quand elle a commencé a posé toutes ces questions sur Mia, mon tatouage ou encore la photo je me suis senti étouffé, démasqué, anéanti… Mon jardin secret était en partie piétiné... Il me fallait de l’espace, qu’elle parte, qu’elle me foute la paix, qu’elle dégage. Mais jamais, je lui ai dit de prendre tout ça au pied de la lettre et fuir je ne sais où ! Après quelques jours, une fois que ma tête et mon âme auraient été apaisées, j’aurais pu lui parler, lui dévoiler certaines choses sans pour autant tout lui raconter. Même si ça fait trois ans, la plaie est encore trop fraîche, trop à vif malgré le fait que la cicatrisation ait débuté. J’ai encore mal et j’aurais mal toute ma p****n de vie, j’en suis convaincu.
Après m’être retrouvé seul, j’ai erré chez moi tel un automate. Le pilote automatique était enclenché, aucune émotion ne pouvait le désamorcer. Cependant, je ressentais toujours ce vide dans ma poitrine comme s’il me manquait cet organe vital impossible à remplacer. La meilleure solution que j’ai trouvée pour me reconnecter au monde des vivants était le sommeil. À force de tourner en rond, j’ai fini par me coucher et me laisser emporter au pays des songes.
Cette nuit-là, je n’ai pas pu dormir correctement, les larmes de Sara ne cessaient pas de me hanter, tout comme son air blessé. C’est là que je m’étais aperçu que j’avais agi comme le roi des connards. Il ne m’en a pas fallu plus pour enfiler des fringues à la hâte, prendre ma voiture et conduire aussi que vite que Vin Diesel dans Fast & Furious et me rendre chez Sara.
J’ai tapé de toutes mes forces contre sa porte. J’ai supplié, hurlé son nom pendant une bonne demi-heure, mais en vain. J’ai même cru que les voisins allaient finir par appeler les flics. Je ne voulais pas abandonner tant que je n’avais pas de réponse, et j’ai dû me rendre à l’évidence : elle n’était pas là ! Mais alors où ? Je l’ai appelée encore et encore au point de saturer sa boîte vocale. Dans chaque message je lui répétais vouloir la voir, je m’excusais et la suppliais de me rappeler. J’étais prêt à ramper à ses pieds s’il le fallait. J’ai contacté tous nos amis ainsi qu’Alex, June, Justine, mais personne ne savait où elle était. Sa meilleure amie m’a dit de ne pas m’inquiéter, que Sara devait avoir besoin de calme, qu’elle devait sûrement s’épuiser sur une musique afin de tout lâcher.
Je suis finalement rentré chez moi, alors que j’étais prêt à remuer ciel et terre pour la retrouver. J’ai attendu n’importe quel signe de sa part. Le jour se levait et toujours aucune nouvelle d’elle. Je suis resté prostré devant ma fenêtre à regarder le ciel. Sara était constamment dans ma tête, je l’imaginais observer le soleil s’étirer et faire apparaître les premières nuances rose orangé du petit matin, et un immense sourire se dessinait sur son visage en découvrant ce spectacle. Mais, tout est devenu désillusion lorsque j’ai reçu son message.
C’était un simple lien d’une vidéo Youtube. J’ai d’abord cru que c’était un geste venant de Sara, mais en écoutant les paroles de You don’t know de Katelyn Tarver, le maigre espoir que j’avais s’est envolé. Elle m’a clairement fait comprendre à travers cette chanson qu’il fallait que je la laisse partir, qu’elle m’abandonnait, qu’elle nous abandonnait, qu’elle n’avait plus la force de nous maintenir à flot, qu’elle n’avait plus de courage et qu’elle avait fui…
Dans la seconde qui a suivi la fin des dernières notes, mon téléphone a explosé au sol à cause de ma fureur et il en a été de même pour le reste de mon salon. J’ai retourné, fracassé ma table basse et mes chaises, viré du revers de la main tous les cadres photos et babioles, balancé contre le mur toutes les récompenses que j’ai pu avoir dans ma carrière, car rien n’avait ni n’a de sens sans elle… J’ai fait éclater ma rage, ma haine, ma douleur. Elle était partie…
C’est là que les vieux démons ont refait surface. Alcool, sexe, soirées à tout va, je me suis vu trois ans en arrière, mais en mille fois pire. Cela dure depuis un mois et demi maintenant. Même si j’essaie d’y aller mollo sur la bouteille, en ce qui concerne les filles c’est tout l’inverse ! J’ai repris mon vieux travers, celui que j’avais foutu à la poubelle en rencontrant Sara. Tous les soirs, je me tape une nana différente. Je prends, je tire mon coup et je jette ! Pas de sentiment juste du sexe, rien que du sexe.
Putain, toutes ces gonzesses doivent me prendre pour le premier des salopards, mais je n’en ai strictement rien à foutre ! Je veux juste me perdre en elles et retrouver ne serait-ce qu’un centième des sensations que j’éprouvais avec Sara, mais c’est le néant à chaque fois. C’est pour cela que je m’occupe de mon plaisir en priorité. Je ferme les yeux et le visage de la femme que j’aime m’apparaît. Il m’arrive souvent, extrêmement souvent de les appeler Sara. Elle me manque…
Repenser à tout ça m’arrache une larme que je balaie rapidement du revers de la main. Si nous en sommes ici, aujourd’hui c’est à cause de moi. Si je n’ai plus la femme de ma vie à mes côtés c’est à cause de moi. Si je dépéris un peu plus chaque jour c’est à cause de moi… Je dois assumer mes erreurs, car tout est entièrement de ma faute, mais p****n, c’est dur…
— Josh ? Est-ce que tu sais où est Sara ?
— Pourquoi je le saurais ?
Je me lève et tangue légèrement avant d’avancer vers mon meilleur pote d’un pas assuré, puis me plante devant lui. Ce SMS m’a fait dessaouler en un quart de seconde et redevenir le Noah combatif.
— Parce que tu as reçu ça !
Je lui colle l’écran de son téléphone sous le nez. Plus il avance dans sa lecture, plus son visage perd de sa lueur. Je sais qu’il sait…
— Alors ?
Il lève les yeux vers moi, et dans ses iris je peux voir qu’il est désolé.
— Écoute, Noah…
— p****n, mais pourquoi tu ne m’as rien dit ?
— Je ne pouvais pas !
— Bien sûr que si tu pouvais !
La colère commence à monter ! Comment a-t-il pu me cacher ça ? À moi ?
— Elle m’a fait promettre de ne rien te dire.
— Mais t’es mon meilleur pote ! Promesse ou pas, tu devais me le dire.
— Et Sara est mon amie ! Je n’avais pas à la trahir.
— Donc, depuis des semaines, tu me vois dépérir, faire connerie sur connerie alors que tu sais ! Tu sais où elle se planque et tu n’as pas jugé bon de me le dire !
Je sais, je suis dégueulasse de lui faire ce coup-là. Lui coller mes états d’âme sur le dos, faire comme si tout était de sa faute, comme s’il avait pu m’épargner toutes ces semaines de souffrance. Car p****n, oui il aurait pu ! S’il me l’avait dit, je ne serais certainement pas en face de lui à puer le bouc et avec une gueule de bois du tonnerre. Je serais avec elle, je profiterais de son corps, je lui ferais tendrement l’amour. J’aurais pu éviter tellement de choses…
— Tu sais quoi, Noah ? Tu me fais chier ! Tu crois que c’est facile d’avoir le cul entre deux chaises ? Et si je suis bien ta logique, vu que Sara est mon amie, j’aurais dû tout lui expliquer pour Mia quand elle est venue me voir en m’implorant de lui dire la vérité ?
D’un coup je me sens con, très con ! Je n’arrive pas à articuler le moindre mot et Josh s’en rend compte.
— Eh oui ! Elle est venue me voir après la séance de répétition que tu as avortée. Elle cherchait des réponses, essayait de comprendre pour pouvoir t’aider. Mais, je n’ai pas cessé de lui répéter que c’était à toi de lui parler. Si elle est partie, tu ne peux t’en prendre qu’à toi-même ! Il est temps que tu arrêtes de vivre dans le passé, avec l’ombre de Mia au-dessus de la tête. Même si je sais que tu ne l’oublieras pas ce qui est normal, il faut que tu réapprennes à vivre sereinement. Avec Sara, tu avais trouvé cet équilibre. Le poids de vos passés vous freinait peut-être, mais vous étiez heureux avant que tu bousilles tout !
Je me laisse tomber sur une chaise du bar de la cuisine et essaie d’assimiler tout ce qu’il vient de dire.
— Sara, voulait juste t’aider, rien de plus. Mais toi, avec ta fierté et ton orgueil, tu as préféré lui cacher la vérité. Tu n’étais pas obligé de tout lui raconter, tu pouvais juste lui dire les grandes lignes, les raisons de ton mal-être.
Avec ses mots, j’ai le sentiment que Josh me lacère le cœur. Il m’envoie toutes ces vérités les unes après les autres sans que j’aie le temps de reprendre mon souffle.
Je me lève d’un bond.
— Il faut que je la voie, que je lui parle, que je m’explique !
— Noah, non !
Son ton ferme m’arrête net. J’ai l’impression de me faire engueuler par mon père.
— Tu ne peux pas arriver à New York, la bouche en cœur, comme si de rien était. C’est encore difficile pour elle, alors laisse-lui le temps. Alex va s’occuper d’elle d’ici quelques jours, elle fera certainement en sorte d’arranger les choses ou du moins de les apaiser.
— Tu as sans doute raison… Je rêve tellement de la voir, la serrer dans mes bras et l’embrasser… Elle me manque, Josh. Je ne sais pas si je vais arriver à survivre encore longtemps sans elle.
Josh s’approche de moi et pose une main réconfortante sur mon épaule.
— Déjà, ressaisis-toi. Redeviens le Noah qu’elle a connu. Arrête les frasques et de faire la une de la presse à scandale, ça sera pour l’instant une bonne chose.
Je ne sais pas ce que je ferais sans lui, il a toujours les mots justes, ceux qui sont capables de nous remettre en question et sur les rails. Même s’il me gonfle à toujours avoir raison, je ne pourrais jamais me passer de lui et de ses conseils. Il est mon oreille attentive, celle à qui je peux me confier sans aucune honte et sans avoir peur d’être jugé. C’est mon meilleur ami et je remercie le Bon Dieu de l’avoir mis sur mon chemin. Ce mec ferait un père fantastique et je suis heureux que ma sœur ait trouvé le bonheur auprès de lui.