2
Je me réveille à 6 h 12. Pierrick dort profondément. C’est à mon tour d’emmener les enfants à la crèche et à l’école. Je passe ma main dans les cheveux de Pierrick et je l’embrasse sur le front. Il sourit.
J’ai mal à la tête. La douche me fait du bien. Je lève les enfants, leur prépare biberon et céréales. Machinalement, sans y être vraiment. À 7 h 50, il faut que nous soyons partis. Je me sens machine de guerre ce matin. Je vais aller au bureau et personne ne va me faire chier. Ils n’ont qu’à bien se tenir. Je quitte la maison pleine d’assurance. Me voilà lancée sur la voie rapide. Je confie les enfants aux professionnels qui prennent soin d’eux et moi je ne vais plus me laisser faire. C’est décidé.
Je roule. Il est 8 h 45. Toujours ce même chemin. Ces mêmes embouteillages à la même heure. Des pensées m’assaillent. Je pourrais tourner brutalement le volant, me jeter volontairement dans le fossé. Ils s’en remettraient. Tous. Je ferme une seconde les yeux. Je dois me reprendre. J’allume mon autoradio qui diffuse « About a girl » de Nirvana. Je pousse à son maximum les décibels et je chante à tue-tête. J’appuie sur l’accélérateur. Des images d’accidents m’envahissent, de mon propre accident. Moi, ensanglantée, sur la route et des voitures qui passent près de mon corps et ne s’arrêtent pas. Je me gare sur le bas-côté. « Anouk, reprends-toi, bon sang. Tu vas au boulot. Et tu te calmes. » J’appelle Pierrot. Il va me remettre en place. Comme d’habitude.
Répondeur. Hé merde ! C’est sûr, à cette heure-ci...
— p****n, Pierrot, rappelle-moi. Je débloque. Vraiment. Rappelle.
Je repars. Je file. Troisième sortie. Dix ans que je prends cette route. Dix ans que je me traîne dans cette f****e boîte. Et dans cette vieille voiture. Le groupe Téléphone hurle à présent dans mes oreilles « Argent trop cher ». Je crie aussi. Je roule. Vite.
Me voilà sur l’avenue qui me mène à… Bon sang, je ne veux pas y aller. Je passe devant le parking. J’aperçois Aline. Je ne ralentis pas. Je file. Tout droit. Loin. Il est 8 h 58.
Je m’engage sur les petites routes, toujours les plus petites. J’avance. De petits chemins en petits chemins, je verrai bien où j’arriverai. Je croise quelques chats, quelques enfants qui vont à l’école et quelques vieilles personnes affairées à leur jardinet. Je ralentis. Je baisse le son. Je ne chante plus. Je ne crie plus. Je roule. Seulement ça. J’avance. Loin. Loin de tout. Loin de toi. De vous. Et de moi, peut-être.