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925 Words
7 « Elle n’est pas à son travail. » Les mots prononcés par la directrice résonnent encore à ses oreilles. Tout en conduisant, il appelle Anouk. Le répondeur se met immédiatement en route. Il compose le numéro de son entreprise. Muriel Laminte répond enfin après cinq longues sonneries. C’est une collègue dont Anouk parle peu et qui semble douce. Elle indique à Pierrick, après qu’il se soit présenté, qu’Anouk était absente aujourd’hui sans même avoir prévenu, que le directeur est furieux et ne décolère pas. Pierrick bégaye quelques mots dont aucun n’a de sens et raccroche. Il arrive à l’école de Judith, se gare. Il sonne. La directrice, suivie de près par l’enfant, lui ouvre le portail. Judith saute littéralement dans les bras de son père. Pierrick s’excuse pour l’absence de sa femme, son retard, le désagrément. — Ce n’est rien, mais veillez à ce que ça ne se reproduise pas. Elle a eu peur. Les enfants sont insécurisés quand on vient les chercher si tardivement. — Oui bien sûr, marmonne Pierrick, comme un enfant pris en faute. Ils montent tous deux en voiture et vont chercher Tom à la crèche, qui n’est pas loin de fermer elle aussi. Tom est seul avec un autre bébé et une dame qui a déjà commencé à nettoyer la salle. Il s’excuse à nouveau. Ils rentrent tous les trois à la maison. Enfin ! Anouk est-elle chez Pierrot ? Est-elle à la maison ? Lui a-t-elle laissé un mot ? Est-elle chez ses parents ? Judith demande à son père pourquoi maman n’est pas venue les chercher. Elle n’a pas pu, lui répond Pierrick, elle a été retenue à son travail. Judith est nerveuse, elle parle avec un débit accéléré, elle raconte sa journée, ses copines, la maîtresse. Tom répète quelques mots attrapés ci et là dans le discours de sa sœur. Ils rentrent tous trois dans la maison. Pierrick les installe à la cuisine avec un goûter. — On va dîner un peu tard ce soir. Pierrick explore le salon, la chambre, la cuisine. Pas de mots. Rien. Il tente à nouveau d’appeler Anouk et tombe sur la voix métallique du répondeur. Il téléphone à Pierrot. — Ah, salut. — Dis-moi, t’as eu des nouvelles d’Anouk aujourd’hui ? — Oui. Enfin, elle m’a laissé un message ce matin. J’ai essayé de la rappeler, mais elle n’a pas répondu. Qu’est-ce qui se passe Pierrick ? — Je ne sais pas. Elle n’est pas allée travailler. Elle n’est pas allée chercher les enfants non plus. Je n’ai pas pu la joindre de toute la journée. Qu’est-ce qu’elle t’a dit sur ton répondeur ? — Que ça n’allait pas, qu’il fallait que je la rappelle. — Elle a dit quoi exactement ? — « Je débloque », elle a dit « Je débloque ». — p****n. Elle est où ? Pierrot ! Elle est où ? — J’en sais rien ? T’as essayé Milène ? Ses parents ? — Non, t’es le premier que je contacte. Je te laisse. Je te tiens au courant. — Je t’appelle si j’ai des nouvelles. — OK. Bye. Pierrick s’effondre sur le canapé en cuir blanc qui trône au milieu du salon. Que doit-il faire ? Va-t-elle revenir ? Veut-elle le quitter ? Pierrick se passe et repasse la soirée d’hier soir. Anouk ne se sentait pas bien. Il n’a pas su être présent. Mais tout de même… Elle doit être chez Milène. Elles sont proches toutes les deux à présent. — Allo, Milène, c’est Pierrick. — Coucou. — Dis-moi, tu as vu Anouk aujourd’hui ? — Non, pourquoi ? Vous vous êtes disputés ? — Non, pas vraiment, mais elle est partie précipitamment. C’est rien, t’inquiètes. Tu peux m’appeler si t’as des nouvelles avant moi. — OK. Et il appelle ainsi Marco, Léa, Charlie, Esther et même les plus vieux copains Chloé, Isa, Nico, Julie. Ayant ajusté peu à peu son discours, il cache son inquiétude, tout en les alertant. Aucun n’a eu de nouvelles d’Anouk aujourd’hui. Il ne reste plus que les parents d’Anouk. Il est toutefois fort peu probable qu’elle soit allée les voir ou qu’elle les ait contactés. Pierrick se sert un whisky. Il faut qu’il se calme. Il appelle André pour lui demander conseil. Il sirote son bourbon en parlant à son ami. Ce moment a un air de déjà-vu. Et pourtant, c’était il y a bien longtemps. Elle lui avait annoncé qu’elle était enceinte. Il était si heureux. Il avait ri. Il avait pleuré même. Anouk était restée de marbre, son visage impassible ne laissait transparaître aucune émotion. Pierrick s’était, à ce moment-là, peut-être pour la première fois, laissé aller à ses propres sentiments, aux siens seulement, sans tenir aucun compte de ceux d’Anouk. Ils formaient tout de même un couple insolite. Pierrick était persuadé que depuis le début de leur relation, il protégeait Anouk de tout ce qui pourrait la fragiliser, tandis qu’elle pensait que Pierrick était incapable de faire face aux responsabilités. Ils étaient tous deux certains que l’autre se trompait. Anouk ne se sentait aucunement fragile, tandis que Pierrick se savait tout à fait apte à faire face aux réalités. Leur couple était en somme fondé sur l’idée que l’autre était fragile et avait besoin d’eux pour vivre. Ils se savaient tous deux indispensables. Anouk avait disparu pendant trois jours après l’annonce de ce petit bébé installé en elle. Quatre mois de grossesse déjà. Déni de grossesse, avait diagnostiqué le gynécologue. L’enfant n’avait commencé à prendre de la place que lorsque le déni avait été levé. Pierrick n’avait jamais su où elle était allée. Il avait attendu, n’avait appelé personne, persuadé qu’elle reviendrait. N’en était-il plus si sûr aujourd’hui ? André tente de le rassurer, lui intimant tout de même par acquit de conscience de demander à la police ou aux hôpitaux s’il ne lui est pas arrivé quelque chose. Il lui conseille également de prévenir son employeur qu’elle sera absente quelques jours, afin d’éviter qu’elle ait des problèmes à son retour. Pierrick se sert un second whisky. Il entend en bruit de fond ses enfants s’agiter dans leur chambre. Tom a actionné son camion de pompier et Judith chante, doublant la voix de Louane. André promet à son ami de le rappeler d’ici une demi-heure. Pierrick vide son verre d’un trait. La tête lui tourne. Appeler la police, les hôpitaux. Elle me le paiera, pense-t-il.
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