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921 Words
8 « Ils ont commencé par se marrer », dit-il à André. « Ils se sont bel et bien foutus de ma gueule et peut-être qu’ils ont raison. ». « Ou peut-être pas », répond André. Pierrick explique à son ami avoir tout de même obtenu de la police qu’ils vérifient si un accident n’a pas été signalé ou un suicide. Il a ensuite appelé tous les hôpitaux de Saint Malo à Rennes. La police lui conseille de venir dans ses locaux si elle ne rentre pas cette nuit, de leur amener une photo, les papiers de la voiture et la description des vêtements qu’elle portait. L’agent qui traite son appel lui indique que la disparition de sa femme, si c’en est une, sera peut-être jugée comme inquiétante, mais que ce n’est pas certain. Pierrick explique tout cela à André, malgré les trois whiskys qui troublent sa pensée. — Tu t’occupes des enfants, tu les couches, tu les rassures et je viens chez toi d’ici une heure. OK. — Oui, merci… je suis perdu… J’ai peur. — Je sais. J’arrive. Pierrick s’exécute comme s’il était téléguidé par la pensée d’un autre. Il sort une pizza du congélateur, lave une salade verte, en prépare l’assaisonnement et demande à Judith de dresser la table. La petite fille continue tranquillement à jouer. Elle n’obéit pas plus que les autres soirs, ce qui replonge Pierrick dans la soirée d’hier. — Maman ne rentre pas ? demande Judith. — Elle est retenue au travail, elle a dû partir quelques jours pour une mission à Paris. Il tente de sourire. Un sourire figé, faux, un sourire qui lui fait sentir la tension de tous ses muscles. Il n’aime pas mentir à ses enfants, mais il n’a pas le choix. Il couche Tom, qui comme à son habitude ne fait pas d’histoires. Il n’en fait jamais, pour rien. Un petit garçon modèle. Pierrick s’en inquiète parfois. Mais Anouk aime cet enfant. Et celui-ci le lui rend bien. Avec son calme, son regard de biche et son obéissance. Il lit une histoire à Judith, la rassure à nouveau sur le retour de sa mère dans trois jours. Il ment bien, vite. Jamais son sourire ne quitte sa face quand il parle à Judith. Et cela angoisse l’enfant, il le sent bien. Il ne peut pas s’en empêcher, car la tension que requiert son sourire retient ses larmes. Pierrick s’est réglé comme une horloge sur le temps que lui a proposé André. Ce dernier sonne au moment où Pierrick quitte la chambre de Judith. Elle lui demande : « C’est qui ? C’est maman ? » Il lui répète qu’elle ne rentre pas aujourd’hui. André tente d’évaluer s’il y a lieu de s’inquiéter ou pas. Il pense cependant qu’Anouk est complètement folle et que tout peut être arrivé. Tout ou rien. Elle peut passer la porte, le sourire aux lèvres d’ici quelques minutes, quelques heures, quelques jours ou avoir attenté à ces jours. Il ne s’est jamais autorisé à dire à Pierrick ce qu’il pensait de sa femme. Cependant Pierrick n’est pas dupe. Il le devance. — Ne dis aucun mal d’Anouk, s’il te plaît, dis-moi seulement qu’elle va revenir. — Elle va revenir. — Tu le crois vraiment ? — J’en sais rien Pierrick. J’en sais rien. Soit elle rentre cette nuit, soit il faut la chercher. D’après ce que les flics ont dit, si tu veux qu’ils enquêtent il faut qu’ils trouvent sa disparition inquiétante. — Elle l’est. — Oui pour toi. Bien sûr. Mais eux c’est quoi qu’ils appellent inquiétant. — Ben je ne sais pas, sûrement s’ils considèrent qu’elle a pu se faire kidnapper ou être en danger. Les deux amis sont persuadés qu’elle peut ouvrir la porte à tout moment. La bouteille de whisky y passe. Pierrick est saoul. André semble plus en lien à la réalité. Ils ouvrent une seconde bouteille et se couchent tous les deux dans le lit de Pierrick et d’Anouk sans même enfiler un pyjama. Lorsque le réveil sonne à 7 h, Pierrick n’est pas frais. Elle n’est pas rentrée. Il avale deux comprimés de paracétamol pour faire cesser la migraine naissante et prépare le déjeuner des enfants. Il regarde André, hésite puis le laisse dormir. Il habille les enfants, les amène à la crèche et à l’école. Il appelle « L’espace » et explique à Mathilde qu’il sera absent aujourd’hui. Elle répond à peine et ne lui demande rien. Tant mieux. Il appelle ses beaux-parents. Cet appel signe leur intrusion dans sa vie. Mais il lui est impossible de ne pas savoir s’ils n’ont pas eu de ses nouvelles. De toute façon, il vaut mieux que ce soit lui qui appelle que la police. Françoise répond. Pierrick ne la ménage pas. Il va droit au but. Il dit tout. Son absence au travail, les enfants abandonnés à l’école, à la crèche alors qu’elle devait aller les chercher, le fait qu’elle n’ait emporté aucune valise, aucun vêtement, que personne ne l’ait vu ou été contacté par elle hier, excepté l’appel à Pierrot le matin. Il n’aime pas particulièrement sa belle-mère, mais il est soulagé de pouvoir tout dire. Après sa diatribe qui laisse la mère d’Anouk sans voix, il éclate en sanglots. Non, ils ne se sont pas disputés. Non, elle n’a pas parlé de suicide. Elle était fatiguée, c’est tout. Pas plus. Comme un lundi soir. Elle déteste son travail. Il y a des jours plus difficiles que d’autres. C’est tout, c’est vraiment tout. Françoise explique la situation à son mari qui lui arrache le combiné des mains et dit à Pierrick qu’il faut aller au commissariat tout de suite. Pierrick sort de ses gonds. — Je ne vous ai pas attendu pour prendre cette décision. Je comptais y aller après vous avoir prévenu. Je vais insister sur sa fragilité psychologique pour être sûr qu’ils la recherchent. Il faut qu’ils sentent qu’elle est en danger. — Tu veux que je vienne avec toi. — Non. Je vous tiens au courant. — Entendu. Appelle-nous dès que tu sors du poste de police. Il pousse un grand soupir en raccrochant. Pierrick enfile sa veste de cuir, claque la porte et prend sa voiture. Anouk, dit-il tout haut, Anouk. Bon sang, t’es où ?
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