9

611 Words
9 Cinquante euros la nuit, petit déjeuner compris. L’argent va partir vite. Je quitte l’hôtel avec mon sac en plastique plein de fringues. Enfin, plein ! Façon de parler ! Je marche à présent sans papier, sans téléphone, sans montre, sans adresse. Je me dirige vers la gare. Sur le chemin, je fais de ma vie un jeu, décidant de partir dans le prochain train où qu’il aille. Si je marche plus vite, je change mon destin. J’alterne la marche lente, rapide et la course. Courir me fait du bien. J’arrive à la gare et m’assieds sur un banc à l’extérieur. J’observe les gens. Certains traînent, d’autres se pressent. Lassée de ce défilé, j’entre dans le bâtiment. Prochain train dans douze minutes pour Paris. He bien ! Ce sera Paris. C’est pas plus mal ! Je vais au guichet et achète un billet. Quarante-sept euros. Une heure de trajet. Je m’assieds près de la fenêtre. Le wagon est partiellement vide. Je serre mon sac entre mes pieds. Mes jambes tremblent. Merde. Je colle ma joue à la vitre et regarde le paysage défiler. J’ai envie de pleurer. Pas pour eux. Juste à cause de mes jambes. Des pleurs de colère. Pourquoi mon corps ne peut-il les oublier ? Mon œil bat. Je respire un grand coup. Je m’autorise une dernière fois à penser à eux, les imaginer sans moi. Après il ne faudra plus. Ils sont ma faiblesse. Ils peuvent me ramener à ma toute petite vie. À une vie qui n’est pas la mienne en somme. J’ai le droit à autre chose. Je reprends ma liberté. Toute ma liberté. Plus de famille. Plus de travail. Je recommence. Mais une dernière fois, je revois mon Pierrick, mon doux Pierrick. Je le visualise avec les enfants, s’occupant d’eux. Je l’imagine avec André, inquiet. Mon petit Tom est là. Avec ses beaux yeux d’amoureux. Et ma Juju, son regard qui vous lance un défi à chaque seconde. Je lui laisse la place. Je les aime tous les trois d’un grand amour, d’un bel amour. Je ne veux pas gâcher ça. J’ai donné tout ce que je pouvais. J’ai grandi avec Pierrick. Mais je ne veux plus. Je ne peux pas grandir plus. Vieillir avec lui ? Non. Je vais renaître à présent. Je la vois ma vie avec eux. Judith qui va prendre de plus en plus de place. Tommy qui va voir que sa mère n’est pas l’idéal qu’il en a construit. Et les disputes avec Pierrick qui vont être de plus en plus fréquentes. Pierrick que je ne désire plus. Je l’aime tendrement, ça oui. J’ai mon pierrot pour le sexe. Une vieille histoire, Pierrot. Une histoire de gosse. De gosses malheureux. Je pars avant de tout gâcher. Ils garderont dans leur tête la belle Anouk. Je les imagine m’attendre, me chercher. Mes parents aussi qui tout à coup perçoivent que j’existe. Et Milène, même pas inquiète ! Elle ne l’est jamais. Elle n’a jamais rien compris ma Milou. Pour la première fois sans doute mes parents me voient. Ils me voient parce que je suis absente. Ils s’agitent tous et je m’en fous. Mes enfants vont grandir et je m’en fous. Pierrick va pleurer et c’est tant mieux. Et mon boss, alors là, il peut aller se faire foutre ! Je les vois tous et mon corps s’apaise. Anouk va mourir. Dans la grandeur, dans la beauté, dans l’absence. Anouk Gabier, nom de jeune fille : Magnier. C’est fini. Je vais m’appeler… Voyons, mélangeons les lettres. Bon, ça colle pas. J’écris avec mon doigt sur la tablette ouverte devant moi, Gabrielle Rémi. Allez, c’est pas mal. Plus d’Anouk. Jamais. Anouk aura vécu 35 ans, aura été aimé, aura mis au monde deux beaux enfants. On s’en passera d’Anouk. Je vais m’appeler Gaby maintenant. Une vraie fille libre. Je vais tracer ma route. J’irai où le vent me mène. Fini l’amour, les gosses, la carrière, plaire à tout le monde. Plus rien à foutre. Gaby, elle est libre, elle est belle.
Free reading for new users
Scan code to download app
Facebookexpand_more
  • author-avatar
    Writer
  • chap_listContents
  • likeADD