Chapitre 2

515 Words
2.Louvain-la-Neuve. Sortie de terre en 1971, la benjamine des villes belges trouvait son origine dans un conflit communautaire, dû à des divergences linguistiques. Le campus avait pris forme en quelques années pour accueillir les étudiants francophones de l’université catholique de Louvain, une institution bilingue située en territoire flamand. Sur ces champs vierges, les responsables avaient formé l’idée d’une ville à échelle humaine, où les voitures seraient bannies. Un projet ambitieux, presqu’une utopie. Du haut de ses 21 ans, Chloé avait déjà sillonné de nombreux pays, mais nulle part ailleurs elle ne se sentait chez elle comme ici. Ce lieu était façonné pour épouser la vie estudiantine, son cœur battait au rythme du calendrier académique. Une cité de briques et de béton, où l’histoire était encore à écrire, où les rêves pouvaient grandir. Ici, les étudiants n’étaient que de passage, juste le temps d’obtenir un diplôme. Pendant ces quelques années, ils pouvaient refaire le monde et laisser émerger leurs projets les plus audacieux. La ville devenait alors le théâtre de soirées à thème, spectacles, manifestations et débats en tout genre. Des dizaines d’associations y militaient pour un monde plus juste. La jeune fille vivait là depuis un an et demi, dans un des nombreux kots de la ville – ces logements que les étudiants partageaient la semaine et désertaient le week-end pour regagner le cocon familial. Elle s’était habituée à ce rythme de pendule, entre Louvain-la-Neuve et Dinant. Elle apprenait à voler seule, sans tout à fait quitter le nid. Elle chérissait son émancipation inachevée : être indépendante, libre, mais joliment insouciante. En ce début du mois de novembre, les étudiants commençaient à fréquenter les bibliothèques. Le jour déclinait de plus en plus vite et les arbres pointaient leurs branches nues à travers le brouillard matinal. Chloé adorait ce moment de l’année, qu’elle faisait rimer avec la douceur des plaids et du chocolat chaud. C’était la neuvième des quatorze semaines de cours que comptait le quadrimestre. Il n’était plus question de pique-n****r sur les pavés de la Grand-Place ou de se prélasser à la terrasse d’un bar. Toutefois, les examens pouvaient encore patienter. Il restait trois semaines de sorties, sans compter celle-ci, et Chloé comptait bien en profiter. Chaque nuit, du lundi au jeudi, les soirées fleurissaient dans Louvain-la-Neuve. La Casa, le CESEC, la MDS, la Lux, toute une nomenclature avec laquelle Chloé avait appris à jongler. On distinguait les cercles, qui regroupaient les étudiants par faculté, et les régionales, où l’on se rassemblait selon sa ville d’origine. Toutefois, partout, la même ambiance emportait les fêtards, et la bière coulait à flot, à 1€ le verre. Toutes les entrées étaient libres et on prenait plaisir à passer d’un endroit à l’autre. Lorsqu’on lui avait dépeint pour la première fois ces soirées, au sol si sale que beaucoup enfilaient des bottes en caoutchouc pour s’y rendre, Chloé avait ouvert de grands yeux incrédules et s’était promis de ne jamais y mettre les pieds. De plus, il lui semblait peu raisonnable de sortir en pleine semaine. Elle comptait bien adopter une hygiène de vie saine et se lever de bonne heure le matin, même quand elle n’avait pas cours à 8h30. Pourtant, quelques mois après la rentrée, elle ne pouvait déjà plus imaginer son quotidien sans cette vie nocturne.
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