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512 Words
2 Villepinte, Hôpital Robert Ballanger. 9 h 07. Blancheur aseptisée, cliquetis métalliques des brancards qu’on déplace, personnel affairé. En ce début de matinée, les couloirs du service des Urgences grondaient déjà des plaintes des patients en attente. Traversant la cohue tel un canoë dominant des rapides, le docteur Yann Kessler entamait sa vingt-deuxième heure de garde consécutive avec l’énergie d’un interne de première année. Et pour cause. Le cas qu’on venait de lui soumettre avait de quoi attiser bien des questionnements. Déjà, devant la porte de la chambre, une demi-douzaine de curieux se pressait pour tenter d’apercevoir « le patient X », ainsi que l’avaient surnommé les agents hospitaliers. Il était arrivé dans le service au beau milieu de la nuit, encadré de deux officiers de la police des douanes. Un clandestin, arrêté alors qu’il tentait de prendre la fuite sur le tarmac de Roissy Charles de Gaule. Un Chilien, à ce qu’on racontait. De ce qu’on savait de lui, l’homme avait fait un malaise quelques heures seulement après son arrestation, alors qu’on le soumettait à l’interrogatoire d’usage. Très vite, la rumeur s’était répandue dans les couloirs : l’inconnu n’avait rien d’ordinaire, rien, en tout cas, de ce qu’on pouvait attendre d’un jeune homme de type sud-américain. Ce qui frappait avant toute chose, c’était ses yeux, des yeux d’un bleu très pâle, presque translucides, qui conféraient à son regard quelque chose d’hypnotique. S’y ajoutaient des cheveux d’une blondeur étrange, ainsi qu’une peau parsemée de taches blanchâtres, à l’image d’un reptile dont on aurait interrompu la mue. Malgré les traits authentiquement amérindiens de son visage, le « patient X » semblait tout droit débarquer d’une autre planète. Même la langue dans laquelle il s’exprimait ne concordait pas avec ses origines supposées. Un étrange mélange d’allemand et d’espagnol, proprement incompréhensible. Plus encore que ces traits singuliers, les radiographies avaient en outre révélé la présence d’anciennes fractures et de différents traumatismes, témoignant de sévices manifestes, pour ne pas dire d’actes de torture. Le clandestin souffrait enfin de carences diverses et d’une déshydratation sévère, symptômes auxquels s’adjoignait une paranoïa aiguë. Ce n’était pourtant pas tant ces particularités physiques, psychiques ou langagières qui attisaient la curiosité de Yann Kessler, que les résultats des analyses sanguines qu’il tenait entre ses mains. Il avait d’abord cru à une erreur du labo, une confusion entre deux tubes de prélèvement. Après tout, ce genre de chose pouvait toujours arriver. Une seconde analyse avait pourtant livré des conclusions strictement identiques : l’inconnu possédait deux groupes sanguins différents. Médicalement impossible, avait-il pensé aussitôt, jusqu’à ce qu’une plongée approfondie dans ses manuels de médecines fasse ressurgir l’existence d’une pathologie particulièrement rare, dont il existait un moyen simple et rapide de prouver la présence. Armé d’une lampe à ultraviolet, le médecin débarqua avec hâte dans la chambre du clandestin, fit sortir tous ceux qui s’y trouvaient et tira les rideaux. Puis il gagna la confiance du patient, le fit mettre debout, souleva sa chemise et passa la lampe dans son dos. Apparurent alors d’étranges marbrures sous-cutanées prenant la forme d’un V aligné sur l’axe de la colonne vertébrale. Cette fois, plus de doute possible. Kessler éteignit la lampe et empoigna son portable. Avant d’en référer à ses supérieurs, un coup de fil à son mentor, un ancien ponte de l’Institut Pasteur, s’imposait. L’hypothèse se voulait suffisamment singulière pour qu’elle nécessite d’être avalisée avant même de se voir consignée au dossier. Après tout, ça n’était pas tous les jours qu’on croisait une chimère. ***
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