Chapitre 1

925 Words
Chapitre 1 : Le désespoir est un poison lent qui s’infiltre sans qu’on le voie venir. Il s’installe au fond de l’âme, comme une m********e qu’on tente de nier, qu’on cache sous des sourires fatigués. On accumule les blessures, les regrets, les rancunes, jusqu’à ce que le cœur, saturé, éclate. Et quand il éclate, ce n’est pas une détonation héroïque, non — juste un petit craquement sec, celui d’un vase trop fêlé pour contenir encore le silence. Arnold tenait une bouteille vide entre ses doigts, la fixant comme s’il pouvait y trouver une réponse. Le verre reflétait la lumière blafarde de son appartement, une clarté froide qui ressemblait à celle d’un hôpital. Il espéra y dénicher une dernière gorgée, mais le fond était sec. Comme tout le reste. Un rire s’échappa de sa gorge, sans joie, grinçant, presque douloureux. Le son se perdit contre les murs jaunis. Autour de lui, la pièce ressemblait à un cimetière domestique : des cartons de pizza en équilibre précaire, des chaussettes abandonnées, un ordinateur dont l’écran pâlissait dans la pénombre. Et sur cet écran, figé dans un monde trop lisse pour être vrai : *Lara’s Romance Chronicles*. Une princesse virtuelle, auréolée de bonheur, venait de confesser son amour à son demi-frère, sourire angélique, regard plein de promesses. Arnold, hébété, cliquait mécaniquement sur *suivant*, incapable de détourner les yeux de cette parodie de tendresse. — Comment des gens peuvent-ils avaler ça sans vomir ? marmonna-t-il. Il ouvrit une nouvelle bière, la dernière. La capsule sauta comme un soupir. Ce matin encore, il travaillait. Quelques heures plus tôt, il se tenait dans une salle de réunion glaciale où son supérieur, tout en costume et en compassion mécanique, lui annonçait la fin de son contrat. « Réduction d’effectifs », « restructuration », les mots habituels. Il n’avait pas attendu la fin du discours. Juste pris ses affaires, claqué la porte, et disparu. Personne ne l’avait rattrapé. Personne ne l’aurait fait. Puis, le message de Claire. Sa fiancée — ou ce qu’il en restait. « J’ai appris pour ton boulot. Tu tiens le coup ? » Il avait répondu : « Ouais. » Un mot sec, inutile. Et plus tard, sa réponse à elle, froide, chirurgicale : « Je crois qu’on devrait faire une pause. » Deux phrases, et toute une vie qui s’effondre sans bruit. La soirée tomba, et avec elle, le Nouvel An. Sa famille faisait la fête quelque part, sans lui. Ses demi-sœurs postaient des photos scintillantes, les bras levés, les visages heureux. Il n’y figurait pas, évidemment. Alors, il avait bu. Encore et encore. Le carrelage lui sembla tanguer lorsqu’il se leva pour chercher une autre bière. Son pied heurta un tesson, le sol se déroba, et sa tête frappa violemment le bord de la table. Un éclat de lumière, puis la douleur. Le sang coula lentement le long de sa tempe. Il essaya d’attraper son téléphone. Ses doigts glissèrent sur l’écran. Il composa le numéro des secours, mais n’appuya pas. Une pensée, simple, vint percer le tumulte : *à quoi bon ?* Le combiné retomba. Allongé là, le visage tourné vers le plafond fissuré, il sentit la panique refluer, remplacée par une étrange sérénité. Des images affluaient — l’enfance passée dans l’ombre des autres, les anniversaires oubliés, les amitiés avortées, les rires qu’il observait sans y participer. La conclusion s’imposa, calme, glaciale : la vie n’avait jamais eu l’intention d’être juste. Un souffle lui échappa, à peine un murmure : — Assez. Ses paupières se fermèrent. Le noir l’enveloppa. [Votre souhait a été enregistré.] [Décès confirmé.] [Système de transfert activé.] [Transfert d’âme : en cours.] [Erreur : mémoire de l’hôte toujours présente.] [Tentative de suppression : échec.] [Nouvelle tentative…] [Échec.] [Échec.] [Échec répété.] [Ajout de privilèges supplémentaires pour compensation.] [Chargement… 100 %.] [Bienvenue, nouvel hôte.] Une voix cristalline résonna dans le néant, douce et mécanique à la fois. Arnold émergea lentement, la tête bourdonnante. Une odeur sucrée flottait dans l’air, un parfum de fleurs et de richesse. Lorsqu’il ouvrit les yeux, il crut d’abord rêver : les murs étincelaient d’argent, des rideaux de soie coulaient jusqu’au sol, et au plafond, des lustres jetaient mille reflets dorés. — C’est quoi, cet endroit ? marmonna-t-il, la gorge sèche. Il se redressa sur un lit d’un moelleux absurde. Chaque coussin semblait fait de nuages. Il tira les rideaux, et la lumière inonda la pièce. Ce n’était pas la ville, ni même le monde qu’il connaissait : au loin s’étendaient des champs verdoyants, des châteaux, des chevaliers en armure, des paysans minuscule fourmillant à leurs pieds. Le souffle coupé, Arnold se pinça violemment. Rien ne changea. Puis il aperçut le miroir, grand, encadré d’or. Il s’approcha, lentement. Et resta figé. Le reflet n’était pas le sien. Des traits étrangers le fixaient : un visage anguleux, des yeux d’ambre, des cheveux noirs mal disciplinés. Ce visage, il le connaissait. Atlas. Le héros du jeu. — Non… non, c’est une blague. Une mauvaise blague. Il se toucha le visage, la poitrine, la gorge. Tout était réel. Trop réel. Un bruit derrière lui le fit sursauter. Une jeune femme en uniforme venait d’entrer, un plateau dans les mains. À sa vue, elle blêmit, laissa tomber la vaisselle, et recula d’un bond. — Vous… vous ne devriez pas être en vie ! balbutia-t-elle, les yeux agrandis par la terreur. Arnold, médusé, ouvrit la bouche sans trouver un mot. — Pardon ? Qui exactement a dit que j’étais mort ? Son cœur battait à tout rompre. La question résonna dans l’air doré, suspendue comme une promesse d’orage.
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