Chapitre 5 :
— L’harmonie, c’est une invention de faibles, déclara Kury, sa voix roulant comme un tonnerre contenu. Un mot poli pour maquiller la peur. Les forts ne cherchent pas l’équilibre. Ils consument tout, jusqu’à ce qu’il ne reste que la force nue, dépouillée de tout mensonge.
Elle marchait en cercle autour de lui, l’épée d’entraînement reposant sur son épaule comme un prolongement de son bras. Ses bottes soulevaient un nuage de poussière à chaque pas.
— Le yin, le yang, la lumière et l’obscurité ? foutaises ! lança-t-elle en s’arrêtant net. La vraie voie, c’est la guerre. Rien d’autre ne façonne un guerrier. Pas la méditation, pas la paix — la guerre, et le sang qu’elle exige.
Atlas gisait au sol, brisé, la poitrine soulevée par des halètements douloureux. Ses paumes saignaient, entaillées par les échardes de son arme fendue. Il avait cessé de sentir la douleur proprement dite — ce n’était plus qu’un bourdonnement continu, une vibration brûlante dans ses nerfs.
Kury le toisa, silhouette hérissée de lumière et de menace.
— Ton père l’avait compris, lui. Avant qu’il ne s’enchaîne à ses trônes et à ses lois. Henry parlait le premier langage du monde : celui de la violence. Avant les royaumes, avant les pactes, il n’y avait que ça. Des hommes qui survivaient en détruisant tout sur leur passage. C’est de là que naissent les rois, pas des traités.
Les mots tombaient sur Atlas comme des coups supplémentaires. Son esprit voulait suivre, mais son corps hurlait qu’il avait atteint sa limite. La sueur et la poussière se mêlaient sur sa peau en une croûte sale. Ses bras tremblaient, ses genoux fléchissaient, et pourtant, il s’efforça de se redresser.
— Debout, ordonna Kury, la voix acérée. Regarde-moi, Prince. Regarde-moi comme tu veux regarder la mort.
Atlas leva la tête, la vision brouillée par la fatigue.
— Oublie ta sœur, reprit-elle en crachant au sol. Elle cherche à équilibrer ce monde comme une acrobate sur un fil. Toi, tu n’as pas cette chance. Si tu veux la rattraper, tu dois devenir le chaos même.
Il sentit la colère monter — non pas contre elle, mais contre lui-même, contre son incapacité à être autre chose qu’un reflet terni de Lara.
Ses jambes fléchirent, mais il se remit debout, lentement, le souffle saccadé.
Dans une autre vie, il aurait abandonné. Il aurait trouvé mille excuses : la douleur, l’humiliation, l’injustice. Aujourd’hui, il se souvenait de ce que son père lui avait dit jadis, dans un rare moment d’humanité :
*Se relever n’est pas un acte de courage, c’est une habitude à prendre.*
Alors il se redressa.
Kury esquissa un sourire, féroce, presque maternel dans sa cruauté.
— Là, murmura-t-elle. Là, je te reconnais.
Puis elle frappa. Sans sommation, sans retenue. L’épée de bois s’abattit avec la force d’un ouragan. Atlas intercepta le coup, leurs armes claquant l’une contre l’autre dans un son mat. La secousse lui remonta le long des bras, fit vibrer ses os, mais il tint bon.
— Tu apprends ! cria-t-elle, avant d’enchaîner une pluie de coups.
Atlas recula sous la tempête, bloquant, esquivant, trébuchant. Chaque impact faisait jaillir des éclairs de douleur, mais à travers cette souffrance, quelque chose d’autre prenait forme : une concentration pure, brute, sans pensée.
— Ressens ! hurla Kury. Ne retiens pas ta peur — avale-la ! Ta rage, ton désespoir, ton envie de survivre : forge-les en arme !
Il comprit. La peur n’était pas un poison, mais un carburant. Elle faisait battre le cœur, maintenait les yeux ouverts, forçait les muscles à refuser la mort.
Kury leva à nouveau son épée.
— Encore !
Atlas para.
— Encore !
Elle revint à la charge, et lui suivit le rythme.
— ENCORE !
La cour d’entraînement devint un théâtre de fracas et de poussière. Les coups s’entrechoquaient dans une symphonie de bois et de souffle.
Au bord du terrain, Sansa observait. Discrète, immobile, les doigts tordant le tissu de son tablier. Ses yeux suivaient chaque mouvement d’Atlas, chaque chute, chaque reprise. Elle le voyait chanceler, tomber, se relever encore, et quelque chose en elle vibrait d’un respect muet.
Depuis neuf ans, elle servait cet homme que tous méprisaient. On riait d’elle, on murmurait qu’elle gaspillait sa vie auprès d’un prince sans avenir. Mais elle savait ce que les autres ignoraient : il y avait dans le regard d’Atlas une noirceur indomptable, une douleur qui refusait de mourir.
Elle serra les dents, émue.
— Bientôt, Votre Altesse, souffla-t-elle. Bientôt, je serai là, à vos côtés.
Puis elle se détourna, un sourire aux lèvres. Elle avait encore une soupe à préparer… et quelques vérités à maquiller. Les rois, pensait-elle, ne survivent pas à la vérité nue. Parfois, il faut mentir pour leur donner la force de continuer.
Trois jours passèrent.
L’air vibrait de chaleur et de tension. Atlas, transpirant jusqu’à la moelle, affrontait Kury dans un duel d’une intensité presque irréelle. Ses bras étaient lourds, ses poumons brûlaient, mais sous la fatigue s’était éveillé quelque chose de neuf : une lucidité froide, presque enivrante.
Et soudain — il le sentit. Une pulsation intérieure, un écho venu du plus profond de lui-même.
[Compétence acquise : *Décomposition de la Mort.*]
[Bonus : vous avez surpassé le héros principal. +15 points.]
Le monde sembla se figer. Atlas resta immobile, l’arme levée, haletant, les yeux écarquillés d’incrédulité. Puis un rire éclata de sa poitrine, sauvage, triomphal.
— HAHAHA ! OUI !
Son cri fit s’envoler les oiseaux perchés sur les remparts.
Une fraction de seconde plus tard, le pied de Kury s’enfonça dans ses côtes.
— Silence, imbécile ! pesta-t-elle. Tes hurlements me percent les oreilles. Repose-toi avant que je t’achève pour de bon.
Elle s’éloigna en marmonnant, sa silhouette disparaissant dans la poussière.
Atlas, allongé, riait encore. Chaque respiration lui arrachait la poitrine, mais il riait. Il avait réussi. Il avait arraché au monde une victoire que personne n’avait prévue.
Et pour la première fois, il comprit vraiment ce que Kury avait voulu dire. La violence n’était pas un langage qu’on apprenait — c’était une vérité qu’on embrassait.
Il ferma les yeux, goûtant à la brûlure de ses blessures comme à une bénédiction.
*Le désespoir n’était pas une fin. C’était le feu qui forgeait la grandeur.*