Chapitre 2
Des bénévoles nous distribuent des couvertures ainsi que de la nourriture mais je ne dois absolument pas tarder. Un homme, avec lequel j'ai voyagé m'a annoncé que si je compte rejoindre la France, je ne dois pas laisser mes empruntes aux autorités. Sinon, si je dépose une demande d'asile en France les autorités françaises retrouveront mon passage en Espagne et m'expulseront. Tandis que la plupart compte sur une demande d'asile, moi j'organisais mon départ pour Paris. Grâce à une des bénévoles, j'ai pu me procurer un téléphone avec lequel j'ai contacté mon oncle.
J'appréhendais mon voyage, mon arrivée dans ce pays inconnu, dans une famille qui est également la mienne mais que je ne connais pas. Je suis tout de même confiante. Après l'épisode en mer, je me sens plus forte que jamais. J'avais hâte de quitter le centre pour me sentir en sécurité.
[...]
Mon billet de train enfin entre les mains, je prends le bus jusqu'au foyer, la forte affluence m'a permis de me fondre dans la masse durant un jour. Demain, ils vont recueillir les empruntes afin de constituer les dossiers de demandes d'asile. Une fois dans la chambre que je partage avec quatre femmes, je le cache précieusement avant de faire mon sac. Je n'ai créé de relation avec personne ici. Il m'est arrivé de temps en temps de parler avec l'une des filles qui partageaient ma chambre, mais rien de bien intime. J'ai uniquement dit au revoir à la femme qui était à mes côtés dans le bateau. Je savais que je ne la reverrai plus, alors nous avons prié ensemble.
Je suis arrivée avec un peu de retard à la gare et surtout très affamée. Je voulais m'acheter à manger par peur de rater mon train, j'ai finalement abandonné l'idée. Une fois sur le quai, le haut-parleur a annoncé le départ du train, une demi-heure d'attente. Je prendre de quoi grignoter pendant le voyage. Les contrôleurs font plusieurs rondes, vérifiant les billets de chacun jusqu'à ce que vient enfin mon tour.
« - Votre billet madame, me dit le plus vieux d'entre eux un air sévère sur le visage.
- Le voilà, dis-je en lui tendant le billet. »
Il me demande également mes papiers d'identités et se dirige vers un autre collègue. Je sens mes mains devenir moites et la même peur que j'ai ressentie en Turquie. Il s'approche alors de moi, seul et me rend les documents.
« - Veuillez m'excuser pour l'attente, je vous souhaite un bon voyage madame.
- Merci. »
La pression redescend j'y suis presque, bientôt tout cela sera derrière moi.
[...]
Lorsque le train s'arrête, je suis la dernière à sortir du wagon. Je suis totalement perdue, j'erre dans la gare sans réelle destination. Les gens ne me prêtent pas attention, tout le monde se presse, se bouscule. Avant mon arrivée en Turquie, je n'avais jamais vu autant de monde courir dans les rues. Tout cela me donne le tournis, je vois au loin un jardin d'intérieur avec des sièges j'en profite pour aller m'asseoir.
Mon oncle, m'a dit au téléphone qu'un de mes cousins viendrait me chercher. Pour ne pas le faire attendre, je me relève et décide de demander mon chemin à des agents en gare et très rapidement, je trouve la sortie. Il fait froid, je referme mon gilet et me frotte les mains en attendant qu'on vienne me chercher.
« - Azhar ? »
Je me retourne à l'entente de mon nom, c'est une jeune homme qui doit avoir le même âge que moi. Il est grand, une carrure assez imposante. Avec hésitation, je me dirige vers lui.
« - Oui, c'est moi.
- Je suis Amine, ton cousin, dit-il en m'embrassant sur les deux joues.
- On y va ?
- Oui, donne-moi tes affaires. »
Il prend mon sac de sport, je garde mon sac à dos. Je sens qu'il me lâche des regards en biais par moment, mais ça ne me gêne pas car je fais la même chose. Il doit être aussi curieux à mon sujet autant que je le suis. Il ne pose pas de question et moi non plus. Il ouvre la portière puis me laisse m'installer à l'arrière. Le trajet se déroule en silence, hormis le bruit de la radio.
J'observe le paysage gris, les passants sur les trottoirs, les affiches publicitaires. Tout ici est différent de chez moi. Mon pays me manque. J'y retournerai un jour, je l'espère et je retrouverai ma mère. Nous arrivons très vite dans une cour géante entourée d'immeubles en béton long de plusieurs étages.
Amine arrête la voiture et sort. Je fais de même, tentant de ne pas paraître trop étrangère. Malgré le froid, il y a du monde dehors. Nous entrons dans un de ces immeubles toujours en silence et prenons les escaliers jusqu'au sixième étage. Arrivée sur le palier, je suis complètement essoufflée.
Il s'arrête devant une porte et je retiens ma respiration. Il frappe trois coups avant que celle-ci ne s'ouvre sur une femme d'une cinquantaine d'années, qui nous accueille chaleureusement. Elle embrasse son fils, avant de me serrer fort dans ses bras, je tremble sous son étreinte. Elle me rappelle beaucoup ma mère, et tout d'un coup mes larmes coulent. Elle me regarde longuement, m'essuie les joues avant de me laisser entrer.
Amine est toujours là mais à présent, il détourne le regard. Sûrement gêné et peu habitué aux marques d'affections. Je pénètre dans l'appartement, assez petit mais très bien décoré. On se croirait dans une série libanaise ou égyptienne. J'aime l'odeur, elle est rassurante et familiale, je me sens bien ici. Ma tante s'approche de moi et me débarrasse de mon sac à dos.
« - Viens installes-toi. Tu n'es pas fatigué ?
- Non, ça va merci. Je suis heureuse d'être enfin arrivé.
- Le voyage a été difficile.
- Oui, mais al hamdulillah tout va bien maintenant.
- Tu dois avoir faim.
- Non, merci.
- Ne dis rien, Amine vas chercher à manger à Azhar !
- Je suis occupé, cria-t-il depuis le bout du couloir. »
Elle se lève et quitte la pièce, j'en profite pour retirer mon gilet et déposer mon sac au sol, j'ai chaud maintenant je suis à l'intérieur. Ils reviennent tous les deux et Amine sort directement. Ma tante s'installe à mes côtés, elle s'installe et elle me pose des questions sur le voyage. Ma tante étant algérienne nous ne parlons pas le même dialecte. C'est pourquoi, nous préférons parler français.
« - Tu n'as plus à t'inquiéter, nous sommes ta famille et moi je suis comme ta mère. Tu verras tu seras très heureuse ici. »
Je le sens, je sens que je serai très heureuse ici. Je vais y construire une nouvelle vie. Peut-être même que je pourrai travailler, me marier et avoir des enfants, je l'espère tellement.
Quelques minutes après son départ , Amine revient avec un kebab. Je pensais ne pas avoir faim jusqu'à ce que l'odeur éveil mon estomac et mes papilles. Il le dépose devant moi sur la table et je le remercie. Je n'ai pas pu tout avaler car à chaque bouchée je ne pouvais m'empêcher de penser aux millions de syriens qui meurent de faim et de froid. Je suis une privilégiée. J'en ai pleinement conscience maintenant que je suis ici, entourée de ces gens. Je pense à ma mère et immédiatement je n'ai plus faim. Je sens le regard inquiet de ma tante alors je la rassure du mieux que je peux.
« Tu n'as pas faim ? Il faut bien manger.
- Vraiment je n'ai plus faim. J'irai me servir à manger si j'ai encore faim dans la journée. Je peux aller prendre une douche ?
- Oui, ensuite tu iras te reposer. »
Elle m'entraîne avec elle jusqu'à la salle de bain. Pendant qu'elle me montre où se trouvent les serviettes et les vêtements propres je lui pose des questions.
« Tu as d'autres enfants ? Demandai-je à ma tante ?
- Oui, ma fille aînée Azra vit avec son mari, ils viendront te rencontrer ce soir. Il y a Mounir il est marié à Yousra. Kaina, Sofia, Amine et Ibrahim sont les seuls à vivre ici.»
Après ma douche, je me rends dans la chambre que m'a tante m'a dit d'utiliser. Très vite, je constate que je suis dans un univers masculin, sûrement la chambre d'Amine. Je préfère garder mon voile au cas où. Les draps sont frais et ils sentent très bon, je me sens comme dans un cocon. Je ferme les yeux et m'endors aussitôt.
Je suis réveillée par du bruit autour de moi. Les yeux fermés, je change de position et me tourne dos à la porte. Il y a du mouvement autour de moi, il s'agit surement de ma tante. Mais très vite je comprends que ce n'est pas elle puisque cette personne n'a pas dû apprendre qu'il ne faut pas faire de bruit lorsque quelqu'un dort. J'ouvre difficilement les yeux et me redresse rapidement en apercevant la silhouette masculine se trouvant en face de moi.
« Tu t'es enfin réveillée. Je déteste qu'on dorme dans mon lit.
- Désolée, je ne savais pas que c'était ton lit. »
Je ne pouvais le regarder dans les yeux. Avec Amine c'est différent, car il ressemblait plus à un enfant qu'à un adulte. Mais lui, si adulte et immense on aurait dit un géant, je ne pouvais pas. Il semblait plus vieux que moi, il approchait surement de la trentaine. Un géant aux yeux sombres. Sa présence me met mal à l'aise. Heureusement j'avais toujours mon voile mais j'avais retiré ma tunique et à présent j'était en teeshirt. Bien qu'il soit assez long, il ne couvre pas entièrement les bras.
Lui, n'a pas du tout l'air gêné par ma tenue. Mais sentant mon mal-être, il quitte la pièce quelques secondes, le temps pour moi de me rhabiller en une vitesse éclair. Je m'apprête à refaire le lit lorsqu'il entra à nouveau.
« Laisse, ça ne sert à rien.
- J'ai déjà commencé, ça ne prendra que quelques secondes. »
Il était désagréable. Il ne s'est même pas présenté et de plus son regard me gênait. Ne lui a-t-on jamais appris à baisser le regard ?
« Au faite, tu es qui ?
- Azhar.
- Ah c'est toi. »
Oui c'est moi, idiot.
« Laisse tomber je te dis, je n'aime pas qu'on touche à mes affaires.
- Ce sont les enfants, qui ont des réactions pareilles. Tu n'es plus un enfant. »
Il semble surpris par ma répartie. Après avoir remis l'oreiller en place je quitte la pièce sous son regard inquisiteur, quel grossier personnage. J'espère ne pas le croiser de sitôt. J'espère qu'ils ne sont pas tous comme lui, à sa place j'aurai honte de me comporter de la sorte. Je suis allée m'installer au salon, et j'ai pris un livre posé sur la bibliothèque. J'ai appris à lire et à écrire, j'ai même obtenue mon diplôme de fin d'année. Je voulais aller étudier au Liban avant la guerre.
L'appartement est vide. Je comprends que nous sommes seul. Il entre dans le salon, je tente de me concentrer sur mon livre, mais je n'y arrive pas. Sa présence me stress, il parle au téléphone de sa voix grave.
« Non, j'arriverai vers minuit. Ma mère organise un repas pour ma cousine qui vient du bled. »
Je ne lui ai jamais interdit de sortir, j'ignorais qu'elle préparait quelque chose. Mais, ça ne m'étonne pas, elle a le cœur sur la main, et je me sens honteuse de m'être endormie alors qu'elle est surement occupée à cuisiner pour moi. La télévision s'allume, il y a un match de foot. Il s'installe sur le canapé en face de moi et je sens son regard glisser de ma tête jusqu'à mes pieds que je cache sous le plaid.
« Tu es arrivé quand ? »
Je n'étais pas sûre qu'il s'adressait à moi, alors je continue de lire.
« Et en plus elle m'ignore !
- Pardon ? Je ne savais pas que tu me parlais.
- Je t'ai posé une question.
- Excuse-moi, j'étais ailleurs.
- Alors, tu es arrivée quand ?
- Ce matin.
- Qui est allé te chercher ?
- Ton frère, Amine. »
Une longue réflexion semble occuper son esprit, j'en profite pour poser le livre et fait mine de suivre le match. Je ne comprends pas grand-chose au foot, et pendant un instant, je crois voir l'ombre d'un sourire sur son visage, mais très rapidement il disparaît.
« Tu as quel âge ?
- J'ai vingt ans. »
Il semble surpris, il est vrai que je suis petite et que mon visage me donne l'air d'être encore adolescente. La porte s'ouvre à nouveau sur une jeune fille, semblant avoir le même âge que moi.
« - Salut !
- Salam Aleykûm, lui dis-je. »
Elle me regarde de travers avant de continuer, décidément, je suis vraiment mal tombé. Heureusement que ma tante est là, je ne sais pas comment une femme aussi gentille a pu avoir des enfants pareils. Mais je me rattrape, je juge beaucoup trop vite, ce n'est pas correct. L'heure de la prière approche, je pars faire mes ablutions dans la salle de bain avant de prier. Ma tante arrive au moment où je sors de la salle de bain.
« Tu es déjà réveillée ?
- Oui, je me suis bien reposée.
- Ibrahim ! Il t'a réveillé ?
- Non. »
Ibrahim, c'est donc lui. La jeune fille, qui est donc Sofia salue sa mère avant de s'enfermer dans la salle de bain sous le regard désolé de ma tante.
« Je vais t'aider dans la cuisine.
- Non, c'est moi qui vais faire la cuisine. Tu peux discuter avec Ibrahim. »
Je ne dis rien, mais mon regard lui fait comprendre que je n'ai aucune envie de passer du temps avec son fils. Elle me sourit, compréhensive surement consciente de son mauvais caractère.
« Sofia va m'aider.
- Maman, je suis occupée, dit Sofia en sortant de la salle de bain.
- Occuper à quoi ? Elle a besoin d'aide tu l'aides, dit son frère. »
Il pourrait se lever lui, mais je garde mon commentaire pour moi. J'ai le droit à un nouveau regard de travers de la part de Sofia. Finalement, les choses vont sûrement être plus difficile que je ne l'avais imaginé.
[...]
L'ambiance autour de la table est conviviale. Heureusement les autres membres de la famille ne sont pas comme Ibrahim et Sofia. Je me suis très bien entendue avec Azra et Kaina, même si ce sont des vraies pipelettes. Mounir aussi a été très gentil avec moi et sa femme Yousra également. Hatem le mari d'Azra semble avoir le même tempérament silencieux qu'Ibrahim, mais il s'est montré très poli. Mon oncle, me traitait comme une enfant, je n'ai pas l'habitude d'être le centre de l'attention, mais ça ne me dérangeait pas.
J'évite de parler, de peur de dire une bêtise, mais j'ai pu en apprendre plus sur chacun d'entre eux. Mounir est le plus âgé, il a trente ans et est assez autoritaire, mais il à également un côté très protecteur. Il travail dans le BTP. Azra à deux ans de moins que lui, soit vingt-huit ans. Elle est sage-femme et m'a beaucoup parlé de son métier. Elle parle beaucoup, mais ce n'est pas gênant. Ibrahim, qui a vingt-sept ans, Kaina à vingt-quatre ans et elle termine ses études de droit. Elle est très féminine et coquette. Amine, malgré ses vingt-deux ans, a gardé son âme d'enfant. Sofia la plus jeune, est tout juste majeure. Elle n'a pas participé aux conversations.
La soirée, dans l'ensemble s'est bien passée et pour la première fois depuis longtemps, je m'endors sans crainte du lendemain.
À Suivre ....