Chapitre 8

1275 Words
Chapitre 8 Bientôt Noël, pensaient les élèves du lycée privé. Encore une semaine avant les vacances, répétait chacun comme un but ultime. Le fond de l’air était glacial. Les élèves s’emmitouflaient sous de grosses écharpes de laine et des bonnets tricotés avec des moufles assorties. La semaine touchait à sa fin. La météo annonçait de la neige pour les fêtes. Ce vendredi matin les élèves commençaient la journée par le cours de mathématiques. Balsamine arrivait juste à temps, avant que madame Larend n’ouvre la porte. Lorsqu’elle aperçut Ernest qui, coiffé d’un bonnet de père Noël et portant un gros sac de toile rouge, distribuant des surprises. Toutes les filles étaient ravies. Chantal lui tenait le bras d’une main tout en arborant un nounours bleu de l’autre. Monique se pavanait à côté, câlinant un nounours vert. Charles-Édouard, un garçon de la classe aux verres fumés et au visage recouvert d’acné, demandait s’il y avait droit lui aussi. Ernest le toisa. ⸺ Non, tu n’es pas une fille. Puis, apercevant Balsamine, le visage du jeune homme s’éclaira. Et le meilleur pour la fin, sers-toi, c’est le dernier qui me reste. ⸺ Le dernier quoi ? demanda la jeune fille intriguée. Ernest, le sourire jusqu’aux oreilles, lui tendit son sac. Elle y plongea la main et ressortit un nounours rose. Elle le remercia, radieuse. ⸺ Comme récompense, je peux avoir un petit bisou ? Ernest lui tendit sa joue en la pointant du doigt. Au moment où Balsamine tendait ses lèvres, il tourna la tête, espérant qu’elles atterrissent sur les siennes. Balsamine se recula vivement et l’évita de justesse. Ses joues avaient viré au cramoisi. ⸺ Bon j’aurai essayé, déclara le jeune homme en pliant son sac. ⸺ Mais je ne t’ai pas remercié, renchérit Chantal qui le tirant vers elle, lui donna un bécot sur les lèvres. Surpris, l’adolescent se laissa néanmoins faire. Il remarqua le goût subtil de la banane qu’elle venait d’avaler afin de masquer l’odeur de sa cigarette. ⸺ Oh Soleil des blés quelle audace. Et toi ma douce, se pencha-t-il vers la jeune fille aux traits grossiers, un petit bisou aussi ? Monique lui tient le visage entre ses deux mains et l’embrassa avec tendresse sur le front. Midori et Keiko s’étaient rapprochées de leur amie pour la saluer et se prirent au petit jeu d’Ernest. Chacune brandissait une peluche, un nounours blanc et un rouge. En riant, elles l’embrassèrent en même temps. Les autres filles de la classe allèrent le remercier en faisant de même. Le jeune homme fit mine de s’évanouir de bonheur sous la marée féminine. Dans une ultime tentative de rapprochement, il revint vers Balsamine réclamer un petit merci. Elle étouffa un rire en baissant la tête. Quand elle la releva, elle embrassa le bout de ses doigts et souffla dessus en direction du jeune homme. Se laissant tomber à genoux devant elle, il déclara avoir été touché en plein cœur par Cupidon et qu’il était amoureux. Madame Larend n’ayant vu que la dernière partie de la scène, demanda de son sourire maternel la raison de ce remue-ménage. Charles-Édouard se chargea de l’informer. Se prenant au jeu, madame Larend plaisanta avec son meilleur élève, le plus turbulent aussi. ⸺ Et moi alors, je suis une fille et je n’ai rien ? ⸺ Oh mais si maitresse, tenez. Ernest se délesta de son couvre-chef pour le glisser dans sa hotte et la tendit à son professeur. Amusée, madame Larend ouvrit le sac et feignant la surprise posa le bonnet sur ses cheveux gris, puis ouvrant la porte, elle laissa les élèves prendre place excepté Ernest qu’elle entraîna en aparté. ⸺ Je sais que tout le monde est surexcité de partir ce soir en vacances mais, je me dois de vous rappeler qu’il reste encore toute une longue journée de cours avant dix-huit heures. Vous me promettez de ne pas faire le pitre aujourd’hui ? ⸺ D’accord je vais être sage, soupira-t-il. ⸺ Non seulement à mon cours, mais aussi à ceux des autres professeurs ? ⸺ Vous me connaissez, je ne peux rien refuser à une femme. ⸺ C’est la raison pour laquelle je vous le demande. ⸺ Il vous va très bien ce petit chapeau, affirma-t-il pour plaisanter en lui redressant une boucle. ⸺ Alors au travail. Entrez. Madame Larend s’était permis cette remarque envers Ernest parce que la veille, monsieur Immègre avait à nouveau eu des mots avec lui. Le jeune homme se souvenait : ⸺ Monsieur de Landois, au tableau, avait-il ordonné. ⸺ Je n’ai pas appris mon cours, répondit mollement Ernest. ⸺ Et pourquoi je vous prie ? La voix du professeur montait dans les aigus. ⸺ Parce que vous passez votre temps à me mettre à la porte. ⸺ Et c’est comme cela que vous allez faire médecine ? Le jeune homme s’amusa de la façon dont son professeur réajustait ses lunettes d’un air sévère. ⸺ Ce n’est pas moi qui veux devenir médecin, c’est mon père. ⸺ Peu m’importe, votre travail est d’apprendre vos leçons pour être en mesure de me les réciter. Donnez-moi je vous prie la définition de la cellule. En lui posant cette question, le professeur souhaitait, avant les vacances, lui donner une chance de se rattraper. ⸺ Une chambre de prisonniers. ⸺ Bon ça suffit, je vous mets un zéro ! s’empressa monsieur Immègre pour clore le débat devant l’ensemble de la classe hilare. Ernest fut le seul à ne pas rire. ⸺ Ça fait une différence ? s’énerva-t-il. ⸺ Une différence avec quoi ? ⸺ La moyenne que j’aurai à la fin de l’année. Que vous me mettiez un zéro de plus ou de moins. Déjà que vous me sous-notez systématiquement. Ça ne sert à rien de manifester tout seul dans votre coin vous savez. Vous devriez passer le mot à vos collègues pour qu’ils me collent des zéros aussi. Et surtout leur apprendre à noter avant même d’interroger. Il lui revenait en mémoire, le jour où, comparant sa copie avec celle de Chantal dont les résultats étaient similaires, seule la note différait, et le jeune homme ne se l’expliquait pas. ⸺ Qu’insinuez-vous par-là monsieur de Landois ? ⸺ Que le zéro je l’avais déjà avant de donner ma réponse ! ⸺ Petit insolent, rugit-il en lissant en sa mèche pour cacher sa calvitie. Monsieur Immègre s’approcha et gifla Ernest parce qu’il se maintenait renversé en équilibre sur sa chaise. S’en était suivie une violente dispute. Les insultes se mirent à pleuvoir devant les visages médusés et effarés des autres élèves. Les éclats de voix avaient attiré les élèves des classes voisines que leurs professeurs avaient du mal à rappeler à l’ordre. Monsieur Torrès, un homme de carrure robuste, arriva trop tard pour séparer les deux protagonistes qui en étaient venus aux poings. Ernest, saignant du nez, fut convoqué chez la directrice qui le sermonna vertement de sa voix caverneuse et lui signifia une exclusion de huit jours au retour des vacances. Ernest connaissait assez le règlement intérieur pour avoir été collé depuis son enfance, et dut copier pour la énième fois ces règles qu’il transgressait dans le seul espoir de faire réagir son père. Il se rappelait encore de l’époque où, la plume trempée dans l’encrier de porcelaine blanche, il s’appliquait à étirer l’encre violette tout en respirant l’odeur qui s’en dégageait. Ernest aimait écrire rien que pour sentir cette odeur caractéristique. Il revoyait encore les longues pages manuscrites de son écriture fine et fluide qu’il recouvrait de papier buvard rose afin d’éviter les tâches sur ses doigts en pensant qu’un jour son père viendrait le prendre par la main. Il avait déjà été convoqué une fois cette année dans le bureau de madame Beck. Ernest ne cherchait pas à se faire renvoyer. Ce qu’il voulait en se faisant remarquer de la sorte, c’était que son père lui témoignât de l’intérêt. Il imaginait la scène. Depuis tout petit il repassait dans sa tête le scénario idéal. Les motifs pour le faire réagir n’étaient que des prétextes bien entendu. Cependant l’idée restait toujours la même. Il imaginait son père lui demander pourquoi il agissait ainsi et Ernest lui répondrait qu’il avait besoin de lui, tout simplement. Le temps passant, ce ne fut plus pour faire réagir son père qu’il provoquait, mais tout simplement par habitude. Dès lors, il avait remarqué que les fortes têtes attiraient les filles. Il s’en donnait alors à cœur joie, surtout lorsqu’il s’agissait de toucher le cœur d’une jeune fille en particulier.
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