Chapitre 7

2957 Words
Chapitre 7 Le mois de décembre s’installait avec un hiver précoce. Le vent glacial soufflait sur les gouttes de rosée donnant ainsi l’aspect du givre à tout ce qu’il caressait. Les branches des arbres dénudés de leur feuillage griffaient le ciel de zébrures torturées. Les panneaux indicateurs Michelin en pierre, peints de bleu et blanc, indiquaient à la voiture la direction à suivre. Balsamine l’avait promis à sa grand-mère. Ce week-end les deux femmes s’apprêtaient pour se rendre à l’hôpital. Afin de ne pas attirer l’attention, elles avaient convenu de se retrouver à quelques rues du lycée privé. Sinon, risquant de compromettre son secret, l’adolescente refusait de monter dans la voiture. Il était très difficile pour Balsamine de rendre visite à sa mère. Depuis sa plus tendre enfance la jeune fille avait été élevée par sa grand-mère, ne voyant sa mère qu’à de rares occasions et toujours sous surveillance médicale. En effet, cette dernière avait été placée en asile psychiatrique. Droguée par les médicaments, elle passait de longs moments de phases catatoniques et connaissait peu d’instants de lucidité. Les conversations étaient de ce fait, très réduites. Si dans les premiers temps de sa jeunesse, Balsamine se faisait une joie de rendre visite à sa mère, une phrase terrible prononcée lorsqu’elle avait dix ans l’avait heurtée, transformant à l’adolescence, ces rendez-vous familiaux en un calvaire dont la jeune fille se serait passée volontiers. Le regard absent par la vitre de la voiture, elle s’en souvenait encore. Toujours intimidée par ces lieux et laissée seule en compagnie de sa mère, la fillette faisait la conversation en évoquant ce qu’elle apprenait à l’école. Quand tout d’un coup, sa mère lâcha cette bombe d’un air des plus formel en la regardant droit dans les yeux : ⸺ Ça ne me fait pas plaisir de te voir. Heurtée au plus profond de son âme d’enfant, et n’ayant aucun témoin pour lui expliquer que sa mère, malade, ne pensait pas ce qu’elle disait, l’enfant garda cette blessure ouverte. Ne sachant quel impact la portée de ces mots aurait sur son avenir, elle n’en parla à personne. Depuis que cette phrase assassine avait été prononcée, le mince fil ténu qui les retenait l’une à l’autre était cassé. Lors d’une visite, alors que madame Duboquet s’entretenait avec l’équipe médicale au sujet de sa fille, Balsamine quitta sa mère pour se poster derrière la porte du bureau du médecin. Les bribes de conversations qui lui parvenaient la laissèrent perplexe. Elle comprenait que sa mère était un danger potentiel pour elle-même, du fait qu’elle ne l’avait jamais désirée. Trop jeune pour comprendre ces mots sortis de leur contexte, elle ne saisissait pas pourquoi on l’autorisait alors à la voir, la laissant parfois seule avec elle. C’était incohérent. De ce jour, elle s’était refermée sur elle-même, là où personne n’avait jamais su aller la rejoindre. Des années plus tard, par esprit de rébellion, et dans le but de ne plus souffrir, l’adolescente se fit la promesse de ne jamais se soumettre à l’autorité si celle-ci ne lui paraissait pas justifiée. Dans ces moments-là, Balsamine se verrouillait telle une huitre. Il était alors impossible de la faire parler. À leur arrivée à l’hôpital, Balsamine et sa grand-mère furent accueillies par l’infirmier qui les conduisit dans la salle où les trois femmes avaient pour habitude de se rencontrer. La jeune fille connaissait ces lieux par cœur. L’éclairage blafard éclaboussait les murs capitonnés, immaculés de blanc. Quelques chaises autour d’une table, une porte vitrée laissant entrer la lumière des néons du couloir d’où l’on pouvait apercevoir les membres du personnel vaquant à leurs occupations. Souvent, Balsamine apercevait les résidents revêtus de leur blouse réglementaire, la jeune fille leur attribuait une attitude sibylline qui l’effrayait. Ceux qu’elle voyait déambuler se tenaient voutés, ou se protégeaient le regard de leurs mains, un filet de bave coulait de leur bouche. Certains psalmodiaient des choses étranges. L’un d’eux la fixait d’un regard perçant en balançant les bras tout en sautillant bizarrement. En aucun cas elle ne leur aurait adressé la parole. ⸺ Ils ne sont pas méchants ni dangereux, affirmait le personnel pour la rassurer. Ils sont simplement différents. Vous n’avez rien à craindre d’eux. Balsamine conservait le silence. Elle espérait déjà la fin de la visite. Elle aurait donné n’importe quoi pour se trouver ailleurs. Elle observait sa grand-mère qui attendait sa fille comme on guettait l’arrivée d’un train sur un quai de gare. Elle semblait s’en faire une telle joie qu’elle laissait apparaitre un visage confiant. Enfin, un homme entra accompagné d’une femme fatiguée qui prenait appui sur son bras. Tous deux habillés de blanc, échangeaient à voix basse. La femme tendait une oreille distraite, puis l’homme prit la parole de façon audible. ⸺ Voici votre mère, vous la reconnaissez ? ⸺ Bonjour madame, répondit la femme le regard lointain. Madame Duboquet alla embrasser sa fille, mais la patiente, indifférente, lui tendait la main. La vieille femme ne s’en formalisa pas. On lui avait affirmé que les visites amélioraient son état de santé. Les pincements au cœur ressentis lors des premières rencontres étaient loin désormais. ⸺ Et cette jeune fille, vous la reconnaissez ? poursuivait l’homme. ⸺ Jeune fille, où ? ⸺ Là, près de votre maman, il s’agit de votre fille. ⸺ Ah oui, j’ai eu mon bébé ? interrogea-t-elle d’un ton désintéressé. Elle regardait Balsamine qui tentait d’afficher un sourire crispé devant les signes de tête d’encouragement de sa grand-mère. ⸺ Non ce n’est pas elle. Ma fille est toute petite. Où est-elle ? Je veux la voir, continuait la malade d’une petite voix d’enfant. ⸺ Ce n’est plus une petite fille, elle a grandi. ⸺ Où est le bébé ? paniquait la femme. ⸺ C’est elle le bébé. Elle est une adolescente maintenant. La femme s’approcha de Balsamine et lui affirma d’une voix de sorcière : ⸺ Toi tu ne peux pas sortir de mon ventre. Cette approche dissipa la volonté que s’était imposée l’adolescente de faire preuve de courage. La grimace que sa mère affichait en la dévisageant, associé au fait qu’elle la reniait à nouveau lui donna raison d’en vouloir au monde entier : l’incohérence des propos de sa mère au sujet de sa maternité ; s’être à nouveau forcée de venir ; cacher son origine à ses camarades de classe. C’en était trop. Elle se sentait prise au cœur d’un typhon dévastateur. Elle s’enfuit la mort dans l’âme. Les mots acerbes de sa mère lui avaient encore brisé le cœur, même si la jeune fille avait fini par se persuader qu’ils étaient involontaires. Dans ces moments-là, Balsamine ne savait pas comment gérer les émotions qui la submergeaient. Elle se demandait comment sa grand-mère, sur qui tout semblait couler, pouvait accepter que sa propre fille soit devenue cet être aussi immonde. Autant de questions restées sans réponses depuis tout ce temps étaient venues à bout de la vivacité de l’adolescente. Elle s’attarda dans le jardin où des pensionnaires se promenaient, errant au milieu des allées sinueuses. Elle s’assit sur un banc à l’ombre d’un saule-pleureur, se prenant à rêvasser à un monde meilleur où il ne serait plus question de souffrance ni d’absence maternelle. Au loin, elle observait un groupe de pensionnaires qui se tenaient accroupis. Ils bêchaient les plates-b****s, les préparant à recevoir les nouvelles fleurs de saison. Sa grand-mère la rejoignit, pleine de remontrances. ⸺ Pourquoi tu as fait ça ? Tu aurais dû lui donner le cadeau qu’on avait apporté. Elle lui prit la main pour l’entraîner avec elle. ⸺ Viens, on y retourne. La jeune fille ne bougeait pas, elle pensait que si elle faisait le moindre geste, elle lâcherait le peu de concentration qui lui restait pour s’empêcher de pleurer. Sa grand-mère baissa les bras, de guerre lasse. ⸺ C’est important enfin. C’est ta mère tout de même, insista-t-elle, sortant un mouchoir pour s’essuyer les yeux. Balsamine ne réagissait pas. Elle se sentait incomprise. Pourquoi minimisait-on sa détresse ? L’écart de génération en était peut-être la cause… De retour à l’internat, Balsamine rageait, seule dans sa chambre. Elle se laissa aller et ses larmes coulèrent, comme autant de questions. Pourquoi lui permettre de voir sa mère si celle-ci si n’était pas en état de la recevoir ? Et surtout pourquoi sa grand-mère ne comprenait-elle pas qu’elle puisse souffrir de cette situation ? La tension devenait si forte qu’elle suffoquait dans sa chambre trop étroite. Elle ressentit le besoin impératif de prendre l’air. Il lui était impossible de sortir par le couloir, Mademoiselle Leclaire la surprendrait et elle serait consignée. La seule solution était de faire le mur. Elle ouvrit la fenêtre et, grâce aux pierres en relief qui ornaient l’encadrement, il lui fut facile de poser ses pieds entre les interstices pour escalader la paroi. Son petit gabarit aidant, il lui fut simple de descendre. Elle se cramponnait aux saillies tout en évaluant la distance à parcourir pour arriver au sol. Se demandant si elle serait capable de remonter car, si descendre en se laissant glisser était une chose aisée, le retour serait une autre affaire. Quelle ne fut pas sa surprise d’entendre la voix de l’occupant de la chambre du dessous qui n’était autre que celle d’Ernest. ⸺ Poil de carotte ! Tu te crois dans un épisode des « Sentinelles de l’Air » ? ⸺ Je fais le mur ! Ça ne se voit pas ? lui répondit-elle d’un ton sec. ⸺ Je le vois bien. Tu me poursuis jusque dans ma chambre, la taquinait-il. ⸺ Arrête avec ça, t’es lourd maintenant. ⸺ Entre, tu vas prendre froid, décida-t-il en la prenant fermement par le bras. Elle se laissa tirer sans protester. Après tout, dehors ou ici, quelle importance, allégua-t-elle. La chambre d’Ernest était en tous points la réplique de la sienne à part quelques posters de motos lancées à pleine vitesse sur des circuits que le jeune garçon avait affichés çà et là sur les murs. Il y avait sur sa table de chevet un tourne-disque et, posé à même le sol, maintenant le meuble bancal, un carton usé par le temps rempli de trente-trois tours. Se rappelant qu’elle était à l’étage réservé à la gent masculine, Balsamine s’interrogea. ⸺ Les filles ont le droit de venir dans le dortoir des garçons ? ⸺ Absolument pas. Donc si quelqu’un te surprend ici, je ne faillirai pas à ma réputation. Assieds-toi, lui proposa-t-il en fermant la fenêtre. Encore une question que j’aurais pu m’abstenir de lui poser à celui-là, se reprocha-t-elle. ⸺ Tu ne dors pas à cette heure-là ? ⸺ Je ne dors que quatre heures par nuit. Plus, c’est de la perte de temps. ⸺ Ouais, à d’autres, se moqua-t-elle. L’endroit n’était pas prévu pour les visites. Comme dans sa chambre, il n’y avait que la chaise pour s’asseoir, ou le lit, sans doute plus confortable. Elle choisit de s’installer sur la chaise. Il ne faillira pas à sa réputation, venait-il de lui affirmer, non mais quelle impertinence, songeait-elle. Pour qui la prenait-il ? Si elle acceptait de venir dans la chambre d’un ami c’était pour trouver une oreille attentive et puis, il faisait si froid dehors. Elle se tenait les bras pour se réchauffer. Ernest s’assit en face d’elle au bord de son lit. Il lui demanda avec intérêt : ⸺ Raconte-moi ce qui ne va pas. Se souvenant de son mensonge, Balsamine resta évasive afin qu’il ne se doutât de rien. ⸺ C’est ma mère, elle passe ses journées à l’hôpital, je ne la vois jamais. ⸺ Ah je vois, pour moi c’est pareil. Mon père est médecin, il a toujours des urgences. ⸺ Non tu ne comprends pas. C’est différent... Elle s’interrompit car elle ne voulait pas qu’il sache la vérité. Si Ernest était fils de médecin, il devait être au courant de détails concernant la vie dans les hôpitaux, donc se taire était le meilleur moyen de ne pas trahir son secret. Son silence était éloquent. Interloqué, Ernest la prit dans ses bras car il sentait comme un écho à sa propre vie. À cause de ce geste, elle ne put s’empêcher de sangloter. Il la sera plus fort en attendant qu’elle se calme. Lorsque Balsamine fut apaisée, elle leva la tête. Ernest la regardait attendri, ses longues mèches châtain enlacées aux siennes. Son visage s’approchait si près du sien qu’elle sentit son souffle sur sa peau. ⸺ Tu veux qu’on en parle ? lui demanda-t-il dans un soupir. ⸺ C’est tellement dur, confia-t-elle en ravalant ses larmes. ⸺ Ça te soulagerait. Balsamine posa la tête sur son épaule, il la souleva en la prenant dans ses bras et ils s’assirent sur son lit. Elle s’inquiéta : ⸺ Et si mademoiselle Leclaire nous surprenait ? ⸺ Après onze heures elle dort, elle ne vient que si elle entend du bruit. Balsamine se cala sur l’épaule d’Ernest. Elle respirait son odeur de chèvrefeuille. Elle pouvait percevoir les battements de son cœur. Elle appréciait la chaleur de son corps alors, elle se blottit en toute confiance. Elle avait besoin d’affection. Tant pis si ce témoignage lui venait de ce garçon qu’elle trouvait trop entreprenant. Il était là. Son épaule chaleureuse l’enveloppait, elle ne demandait rien de plus. Face à son silence, Ernest prit la parole. ⸺ Je n’ai jamais connu ma mère. Elle est morte en me mettant au monde. ⸺ Oh ! Je suis désolée, s’excusa-t-elle en se redressant pour le regarder droit dans les yeux. Le jeune homme cilla simplement, l’invitant à se caler à nouveau au creux de son épaule. ⸺ Ne t’inquiète pas, j’ai fait ma vie sans elle. Mes grands-mères se sont chargées de mon éducation. Tour à tour j’allais chez l’une ensuite chez l’autre. Je ne voyais mon père que très rarement lorsqu’il était de congé. Nous avons été des étrangers tous les deux. En entendant ce témoignage Balsamine pensa qu’ils avaient plus de points de ressemblance qu’elle n’aurait pu le croire. Ernest continuait son récit : ⸺ Je me souviens du jour où j’ai fêté mon huitième anniversaire. Je lui en ai voulu. Il m’avait promis qu’il resterait avec moi. Le téléphone a sonné, il est parti. De colère j’ai cassé le jouet qu’il m’avait offert. Une maquette de bateau je crois. Il ne m’a même pas grondé. J’aurais fait n’importe quoi juste pour avoir son attention. Alors tu vois Poil de carotte, s’il y a quelqu’un qui peut te comprendre, c’est bien moi. ⸺ Pitié ne m’appelle pas comme ça, se lamentait-elle. Les doigts de Balsamine s’étaient crispés sur le pyjama bleu rayé du jeune homme. Ce sobriquet la ramenait à sa douleur. Elle se força à étouffer son mal-être. Aussi orphelin qu’il fut, il n’avait pas l’air de vouloir être pris en pitié et vivait sa vie impassiblement. Quand elle prit une profonde inspiration, elle lui expliqua son tourment. Le fait qu’Ernest se soit dévoilé sur un sujet si intime lui donna confiance. Elle pensait avoir rencontré un confident qui ne la trahirait pas. La tête appuyée sur son épaule, seules ses lèvres remuaient pour raconter son histoire. ⸺ J’ai menti. Enfin, j’ai laissé croire que ma mère travaillait à l’hôpital. C’est vrai qu’elle y passe ses journées mais, elle n’y travaille pas… c’est une patiente. Ernest eut un froncement de sourcil interrogatif. ⸺ Je suis allée la voir aujourd’hui et ça s’est mal passé. Encore une fois. Balsamine fit une pause pour laisser sortir ses suffocations. ⸺ Je suis la fille d’une femme dont la maladie se soigne par les mêmes médicaments que l’on donne aux schizophrènes, mais c’est plus compliqué que ça. Lors de ses rares moments de lucidité, lorsque je vais la voir, elle me fait comprendre qu’elle ne m’a jamais voulue et qu’elle ne m’aime pas. Aujourd’hui elle ne se rappelait même plus que j’étais sa fille et d’autres choses horribles qu’elle a dites. Alors quand tu m’appelles par ce surnom, annonça-t-elle avec plus d’assurance en le regardant droit dans les yeux, tu me ramènes sans cesse à cette femme qui n’éprouve rien pour moi, comme dans le livre. ⸺ Je suis désolé, je ne savais pas. Ernest avait l’air sincère et troublé par ces confidences. ⸺ Maintenant tu sais tout. Je peux compter sur toi pour n’en parler à personne ? Le jeune homme lui caressa la joue, promettant de ne rien dire. Balsamine voulait réagir au sujet de la réaction violente d’Ernest le jour de ses huit ans : ⸺ Quel tempérament, dis-moi ! ⸺ Il m’avait promis d’être là. Tu sais quand j’étais petit j’avais très mauvais caractère, très bagarreur. Tu m’aurais détesté. Puis en grandissant je suis tombé sur plus fort que moi, j’ai pris une bonne raclée. Je peux t’assurer que ça m’a calmé. Cependant je me suis rendu compte que les filles avaient un penchant pour les garçons qui tiennent tête en classe. Puis comme j’aime bien que les filles s’occupent de moi… prononça-t-il de façon plus polissonne. ⸺ Oui j’ai bien vu qu’elles courent toutes après toi, lui reprocha-t-elle presque. ⸺ Tu es jalouse ? lui demanda-t-il sur un ton enjôleur. Balsamine crut qu’Ernest avait inventé cette histoire d’orphelin pour l’amadouer. Elle eut la curieuse impression que le jeune homme ramenait tout à la séduction. Pour toute réponse, elle lui fit une grimace. Ernest recentra la conversation au sujet des parents de la jeune fille. ⸺ Et ton père ? Tu n’en parles jamais. C’est comme pour les Émeraudes, il est toujours en voyage ? ⸺ Ma mère n’a jamais pu dire qui était mon père. Je ne sais pas si elle a aimé mon père ou si… ⸺ Oh, fit Ernest d’un regard horrifié. ⸺ Je pourrais le rencontrer, le croiser dans la rue, je ne saurais pas que c’est lui. ⸺ Qui s’est occupé de toi alors ? ⸺ Ma grand-mère. C’est ma seule famille. Je n’ai qu’elle. ⸺ Elle sait qui est ton père ? Pour toute réponse la jeune fille secoua négativement la tête. Il lissait ses doigts dans ses cheveux. Elle appréciait ce moment et se laissa aller dans ses bras. Ernest se réconfortait aussi au contact de l’étreinte de Balsamine. Ils restèrent ainsi un long moment à écouter le silence rythmé par les battements de leurs cœurs. Ernest finit par rompre le silence. ⸺ Tu sais, avec son absence j’ai dû apprendre à me construire tout seul. J’ai vu des photos, on m’a parlé d’elle. Ça ne m’empêche pas de penser qu’elle ne m’aura jamais connu. C’est la raison pour laquelle je ne ferai jamais de mal à une femme. ⸺ Tu m’en fais avec ce surnom ridicule. ⸺ Je ne t’appellerai plus Poil de carotte. ⸺ Tu promets. Ernest hocha la tête. ⸺ Maintenant il va falloir que je te trouve un autre surnom. ⸺ T’es pénible quand tu t’y mets. ⸺ Mmm… laisse-moi réfléchir. Tu n’es pas très grande, que dirais-tu de Petit pois ? ⸺ Quel besoin as-tu de donner des surnoms à tout le monde ? ⸺ Non, le vert est en contradiction totale avec ta couleur de cheveux. ⸺ Tu me fatigues. Je vais t’appeler l’asperge ! ⸺ Tomate, non… Rouge-gorge ! C’est mignon un petit oiseau. Balsamine bâillait. ⸺ Tu devrais rentrer te coucher, tu tombes de sommeil, lui conseilla-t-il. ⸺ C’est toi qui me fatigues. ⸺ C’est vrai. Tu as des cernes. Ça te fait deux points noirs au milieu de ta chevelure, comme une coccinelle. Je peux t’appeler Coccinelle ? ⸺ J’abandonne, à demain. ⸺ Reviens quand tu veux, je ne ferme jamais mes rideaux, tu tapes et je t’ouvre. ⸺ Tâche de ne pas te faire renvoyer par monsieur Immègre cette fois-ci. ⸺ Ouais, on se voit en cours ma petite coccinelle. Ernest regarda Balsamine escalader la chaine de pierres. Elle avait l’agilité d’un singe. Avant de refermer sa fenêtre, ils se lancèrent un dernier signe d’aurevoir. Comme cette fille lui semblait étrange. Sa simplicité lui redonnait foi en l’existence. Elle était différente des filles qu’il avait eu l’habitude de côtoyer et qu’il séduisait. Celles qu’il considérait être des pimbêches à quelques exceptions près. En tout cas celles qui faisaient mine de s’intéresser à lui. Il avait pris l’habitude de s’amuser de la situation. Mais là, après toutes ces confidences, le jeune homme était déconcerté. Les yeux tournés vers les étoiles qu’il contemplait inlassablement toutes les nuits, il se demandait ce qu’elle détenait de si spécial pour qu’elle l’ait amené aussi facilement à se confier.
Free reading for new users
Scan code to download app
Facebookexpand_more
  • author-avatar
    Writer
  • chap_listContents
  • likeADD