Chapitre 12
Au milieu de ses camarades de classe, Ernest excellait avec ses fanfaronnades envers les filles, provoquait délibérément monsieur Immègre, puis servait les cafés durant les récréations, pour le défier encore. Comme si la conversation qu’ils avaient échangée cette nuit-là à propos de l’opéra n’avait pas eu lieu, Ernest et Balsamine n’en reparlèrent plus. La vie continuait au sein du lycée, rythmée au son de la machine à écrire et des pas de mademoiselle Leclaire, qui arpentait sans relâche les couloirs du lycée. Balsamine ne sachant pas comment nommer ce qu’elle ressentait envers Ernest, se trouva bien prise au dépourvue face aux évènements qui suivirent.
Le mois de février était entamé. Le vent balayait le ciel de ses nuages, pour en déplacer de nouveaux, qui prenaient place devant le gris de l’hiver. Seule dans sa chambre, Balsamine se demandait pourquoi elle ressentait ces frissons lorsqu’elle était en présence d’Ernest. La dernière fois qu’elle avait éprouvé ces sentiments, c’était pour Sébastien. L’irruption des jumelles la tirèrent de ses rêveries.
⸺ Balsamine, s’écria Midori, pourquoi tu n’es pas au foyer ?
⸺ Viens c’est l’heure de nos émissions, insista Keiko devant la jeune fille qui restait muette.
⸺ Tu vas bien ?
⸺ Tu es toute songeuse.
⸺ Allez, viens avec nous.
⸺ Oui, il faut s’amuser.
Balsamine regarda ses amies, allant de l’une à l’autre, dans cette partie de tennis verbale.
⸺ Pourquoi êtes-vous si pressées de regarder la télé avec moi ? Ma présence n’est pas nécessaire.
⸺ Oh mais si !
⸺ Viens, on te dit.
⸺ Puisque vous insistez je vous suis, mais vous ne m’ôterez pas de l’idée que vous mijotez quelque chose de louche.
⸺ Nous ? Non ! s’exclamèrent-elles en chœur.
Une fois l’émission terminée, et que le foyer se désertait, les jumelles tinrent une banale conversation devant Balsamine.
⸺ Tu fais quoi ce week-end, demanda Keiko à sa sœur ?
⸺ Avec la Saint Valentin qui aura lieu lundi, nous allons fêter ça ce week-end, répondit Midori. Et toi, avec Éric ?
⸺ Oh y’a des hauts y’a des bas, par moment je le trouve un peu dans la lune. Mais nous aussi nous allons célébrer cet évènement dignement. Il m’offre le restaurant.
⸺ Et toi Balsamine, demandèrent-elles tout en se tournant vers leur amie ?
⸺ Moi ? Ben, vous savez ! Je n’ai personne.
⸺ Même pas un soupirant en vue, souriait malicieusement Midori ?
⸺ Si oui, ce serait le moment de te déclarer, continua Keiko.
⸺ Non absolument personne qui en vaille la peine, affirmait Balsamine.
⸺ Même pas Ernest ?
⸺ Oui tu sais un beau brun avec des cheveux longs…
⸺ D’immenses yeux bleus…
⸺ Te fixant fréquemment…
⸺ Un peu taquin…
⸺ Toujours à te suivre, partout où tu vas…
⸺ Ou toi, à chercher sa présence…
⸺ Arrêtez de dire ça, je ne le suis pas partout, on travaille ensemble c’est tout, réfutait Balsamine en rougissant.
⸺ Comme si vous aviez besoin de travailler !
⸺ Vous avez une moyenne de vingt !
⸺ Avoue, il se passe un truc entre vous.
⸺ Non je vous répète que non, affirmait Balsamine.
⸺ Qu’est-ce qu’il a qui ne te convient pas ?
⸺ Ne me dis pas que tu préfères Charles-Édouard !
⸺ Toutes les filles sont sous le charme d’Ernest.
⸺ Dépêche-toi sinon Chantal va te le piquer.
⸺ Oui Chantal, tu as vu comme elle se colle à lui dès qu’elle en a l’occasion.
Balsamine ne comprenait pas pourquoi les jumelles insistaient autant au sujet de la fille à la silhouette dentelée et à la voix nasillarde. Ce qu’elle ignorait, c’était qu’avant son arrivée en cours d’année, Chantal avait manifesté son béguin envers Ernest qui, comme avec toutes les nouvelles filles, n’avait pu s’empêcher de la courtiser. L’arrivée soudaine de la petite rousse avait ébranlé leur petit jeu du chat et de la souris, qu’ils avaient débuté depuis la rentrée scolaire.
⸺ Eh bien, expliqua Balsamine, je reconnais qu’il a beaucoup de qualités, mais il me semble être un vrai cœur d’artichaut. Vous ne trouvez pas ?
⸺ Oh c’est une façade.
⸺ Mais oui, je suis persuadée qu’il te provoque.
⸺ Il fait ça pour s’amuser.
⸺ Et puis Ernest ne serait pas Ernest….
⸺ S’il avait un autre comportement.
⸺ C’est ce qui fait son charme.
⸺ Mais Chantal n’y est pas insensible.
⸺ Eh bien je ne trouve pas ça honnête de sa part ! bouda Balsamine en croisant les bras. Si j’avais une chance avec lui, comme vous semblez l’insinuer, il repousserait Chantal.
Un ange passa. Balsamine savait pourquoi le jeune homme se montrait sous ce masque. Cependant elle estimait légitime que s’il souhaitait passer la barrière de l’amitié, son attitude devrait changer envers les autres filles, et ne témoigner d’intérêt qu’envers elle.
⸺ Avant qu’il te rencontre, il n’en faisait pas autant pour séduire.
⸺ Ça va faire deux ans que nous sommes dans la même classe que lui.
⸺ Même avec Chantal, il ne se comporte pas comme ça.
⸺ Le jeu s’arrêtait là sans que ça n’aille plus loin.
⸺ Regarde avec nous.
⸺ Il nous taquine mais puisque nous avons chacune un petit ami, il nous laisse tranquilles.
⸺ D’accord, alors admettons qu’il ne t’aime pas.
⸺ Mais alors dans ce cas, toi quels sont tes sentiments envers lui ?
⸺ Oui est-ce que tu l’aimes ?
⸺ À vrai dire je ne sais pas, songeait tout haut Balsamine.
Si les jumelles ne l’avaient pas interrompue, elle aurait poursuivi en déclarant : La seule chose que je sache, c’est que ce qui m’importe, c’est de vivre une histoire durable. Cependant, ses amies pressées de les réunir suite aux confidences du jeune homme, poursuivaient leur interrogatoire.
⸺ Il te plait ?
⸺ Tu rêves de flirter avec lui ?
⸺ Mais pourquoi insistez-vous ? C’est lui qui vous a envoyées pour me poser toutes ces questions ?
⸺ Oui c’est vrai…
⸺ Que nous sommes très indiscrètes !
Elles se turent, se regardèrent d’un air complice, avant d’étouffer un rire. Elles attendirent la réaction de Balsamine, qui bien embarrassée, avait besoin de temps pour mettre au clair ses sentiments. Elle finit par déclarer :
⸺ Ernest est un garçon que j’apprécie. Dernièrement nous nous sommes beaucoup rapprochés, mais je crois que j’ai besoin d’une preuve de sa part pour y penser sérieusement.
Les sœurs se regardèrent comme dans un miroir, un sourire au coin des lèvres.
⸺ C’est tout ce que nous voulions savoir, rirent-elles en chœur.