Chapitre 4

1446 Words
Chapitre 4 Les semaines passaient doucement au pensionnat. Les cicatrices de Balsamine s’étaient estompées. Elle pouvait enfin relever la tête et ainsi dévoiler sa joue sans crainte qu’on ne lui pose des questions embarrassantes au sujet de son passé. Sa peau redevenait lisse et son teint laiteux. Il lui était cependant impératif d’étaler de la crème une fois par jour pour éviter que les cicatrices ne laissent de disgracieuses marques blanchâtres à l’avenir. Son médecin l’avait mise en garde, elle devait surtout éviter le soleil et ne pas s’exposer l’été prochain sinon, elle risquait de garder des séquelles lui rappelant sans cesse ce mauvais moment. Elle choisit par conséquent de se badigeonner le soir avant d’aller se coucher. Les autres professeurs qui dispensaient les cours de la première S avaient accueilli Balsamine chaleureusement. Monsieur Torrès, son professeur principal qui enseignait le français, madame Carain son professeur d’histoire-géographie et enfin madame Pélin qui enseignait l’anglais. Cette dernière avait été ravie de faire la rencontre avec une élève quasiment bilingue. Balsamine lui avait confié que son passe-temps favori était de traduire les chansons de variété anglaise et qu’elle adorait regarder les films anglophones en version originale. Cela lui avait permis d’améliorer son niveau et de connaître des expressions typiques de la langue de Shakespeare. Ensemble elles avaient ri en évoquant les mauvaises traductions de script dans les films. Elles pensaient notamment à l’expression « to see his house » qui ne se traduisait pas mot à mot par « voir sa maison », mais signifiait « raccompagner ». Afin de rattraper son retard, chacun de ses professeurs avait précisé à Balsamine qu’elle pouvait compter sur l’appui de leur meilleur élément, Ernest de Landois même s’il se distinguait aussi par son côté perturbateur. Chacun, excepté monsieur Immègre, qui lui avait remis des polycopiés, et madame Pélin car l’anglais n’était pas le point fort du jeune homme. Ainsi tous les soirs après son intégration au lycée, les deux adolescents travaillaient ensemble dans une des salles d’étude. Le jeune homme ne pouvait s’empêcher de la provoquer et lui avait trouvé le surnom de Poil de carotte. Sans le savoir Ernest avait posé le doigt sur son point sensible, non pas que Balsamine ait honte de sa rare couleur de cheveux, mais parce que le lien avec le célèbre livre rappelait à la jeune fille, son rapport avec sa propre mère. Les polycopiés de monsieur Immègre répandaient une affreuse odeur d’alcool qu’il utilisait pour dupliquer son cours. Son écriture en patte de mouche, pleine de ratures, ne permettait pas à Balsamine de bien comprendre certaines formules essentielles. ⸺ Tu devrais demander conseil à Chantal, elle m’aide bien pour déchiffrer les hiéroglyphes de ce crétin, suggérait Ernest. Balsamine remarquait que le jeune homme parlait beaucoup avec la dénommée Chantal. Elle en déduisit qu’ils étaient très proches. Ne voulant mettre en froid leur amitié naissante, elle n’osa pas confier au jeune homme qu’elle ne se sentait pas à l’aise en la compagnie de cette jeune fille. En dépit de cela elle suivit son conseil et alla lui demander de l’aide. Après tout, il était probable qu’en apprenant à faire connaissance elle trouverait en elle une amie. Ce soir après les cours, Balsamine alla frapper à sa porte. Chantal, visiblement dérangée par la présence de l’intruse, soupira en levant les yeux au ciel dès qu’elle ouvrit la porte. C’était sa façon de lui faire sentir son impatience d’en finir alors que Balsamine témoignait avoir besoin de son soutien. Elle la suivit dans une salle de travail. Elle lui présenta les ouvrages de la bibliothèque qu’elle pouvait utiliser et déclara de sa voix nasillarde qu’à eux seuls, ils lui suffiraient amplement puisque le professeur les utilisait lui-même pour préparer ses cours. Lorsqu’elle découvrit que Balsamine allait s’asseoir auprès d’Ernest pour étudier, Chantal s’invita à leur table. Assise aux côtés du jeune homme elle jouait de sa chevelure blonde, s’amusant à frôler l’avant-bras du garçon pour le chatouiller. ⸺ Tu sais que je ne peux pas me concentrer si tu joues de cette manière avec tes cheveux Soleil des blés. La jeune fille roula des épaules à l’évocation de son surnom. ⸺ Et c’est quoi ce parfum que tu mets ? ⸺ Patchouli marine, tu aimes ? répondit-elle de sa voix doucereuse. Absolument pas, pensait Balsamine, je ne sais pas si c’est sa façon de m’ignorer sans que je sache pourquoi ou son odeur qui me donne le plus envie de vomir. Elle préféra se replonger dans le livre et poursuivre son rattrapage. ⸺ Mon père l’a fait fabriquer spécialement pour moi, minaudait Chantal de sa voix la plus sucrée. ⸺ Tu en as de la chance, lui répondit Balsamine qui n’en pensait pas un mot. Chantal feignait ne pas l’avoir entendue et poursuivait son numéro de charme. Ernest demandait des précisions au sujet des formules de chimie. ⸺ Tu veux bien nous dire ce qu’il y est écrit ici, je n’arrive pas à relire les ratures. Chantal se pencha sur la feuille. Le jeune homme ne put s’empêcher de lorgner dans son décolleté. Chantal semblait être douée pour comprendre, reformuler et se mettre au niveau de son auditoire pensait Balsamine. Les deux filles vérifiaient les formules complexes lorsque Monique fit son entrée. La jeune fille aux traits aguicheurs pria son amie de la suivre. La situation semblait urgente, Chantal sortit et ne revint plus dans la salle d’étude. Balsamine terminait de mettre au propre les cours de sciences et s’apprêtait à partir lorsqu’Ernest lui demanda la raison de son départ. ⸺ J’ai fini, je m’en vais, déclara-t-elle en haussant les épaules. ⸺ Tu sors ? Je peux t’accompagner ? ⸺ Je pensais retourner dans ma chambre. Il sera bientôt l’heure d’aller à la cantine. ⸺ On s’y retrouve pour manger ensemble ? ⸺ Si tu veux. Jusqu’à présent Ernest était la seule personne avec qui Balsamine avait pris ses repas. Elle hésitait à s’afficher avec lui devant sa grand-mère, mais il était de bonne compagnie lorsqu’il oubliait de la taquiner. Elle pensait que grâce à lui, elle serait rapidement présentée aux autres élèves de l’établissement. Arrivés les premiers devant la porte du réfectoire, l’attention d’Ernest fut attirée par une plume d’oiseau abandonnée sur le sol. Il se baissa pour la ramasser, contempla son parfait état, et caressa le pourtour du visage de la jeune fille avec. ⸺ Qu’est-ce que tu caches Poil de carotte ? ⸺ Rien. Balsamine baissa les yeux, porta la main à sa joue et fit retomber ses cheveux afin de la dissimuler. Ernest dessinait le contour de la plume avec ses doigts. ⸺ Il parait que tu as un très bon niveau en anglais. ⸺ C’est ce que dit madame Pélin. ⸺ Tu m’aiderais à faire mes devoirs ? ⸺ Oui. À une condition. ⸺ Laquelle ? ⸺ Si tu arrêtes de m’appeler Poil de carotte. Le jeune homme lissa la plume sous son nez avant d’en chatouiller celui de la jeune fille. ⸺ J’ai une meilleure idée. Donne-moi des cours particuliers et à chaque fois que la prof m’interrogera et que je ferai monter ma moyenne, tu laisseras glisser ta main qui me cache cette vue. ⸺ Je n’ai absolument rien à gagner puisque tu continueras à m’appeler par ce surnom ridicule. ⸺ Alors laissons la plume décider. Je vais la lancer en l’air et si elle retombe sur moi, on fait comme je viens de dire. Si elle retombe sur toi, je t’appellerai… autrement. Le jeune homme lança la plume au-dessus de leurs têtes. La porte de la cantine s’ouvrit, happant la plume dans un courant d’air et elle disparut de leur vue. ⸺ Dommage, soupira-t-il. Tu me donneras quand même des cours ? ⸺ Oui. Mais c’est seulement en échange des leçons que tu me fais rattraper. Madame Duboquet servait le repas dont le fumet mettait en appétit. Balsamine était intriguée par le marché du jeune homme. ⸺ Comment se fait-il que tu sois le meilleur élève et que tu n’y parviennes pas en anglais ? ⸺ Chacun ses points faibles. J’ai beau m’y mettre, je n’y arrive pas. Ça ne se prononce pas comme ça s’écrit. Dès que je tombe sur un faux-ami je me fais avoir. Sans parler de ces petits mots que l’on place à toute fin de phrase qui donnent un autre sens selon leur tournure. Pour toi ça a l’air si simple. ⸺ Je vais voir ce que je peux faire pour t’aider alors, assura-t-elle tandis que sa grand-mère se manifestait de son regard examinateur. ⸺ Si j’avais eu le choix, j’aurais étudié l’italien, rétorqua-t-il. ⸺ Pourquoi ? Si Ernest avait voulu être honnête, il lui aurait répondu que c’était dans cette langue qu’avaient été écrites les musiques qu’il aimait tant écouter. Parce qu’il préférait la provoquer, il lui répondit avec l’accent italien : ⸺ Palce qué c’est la langué des sédoucteuls. ⸺ Alors pourquoi tu n’as pas pris cette option ? Le ton de la jeune fille reflétait une sincérité qui le décontenança. Il décida d’arrêter son petit manège. ⸺ Parce qu’au début je pensais suivre une filière littéraire et pour me permettre d’avoir les trois langues étrangères à mon actif, je devais attendre la classe de seconde pour choisir l’italien qui était la seule option troisième langue. Alors je me suis rabattu sur l’allemand en attendant. Je dois avouer que je ne suis pas doué pour les langues germaniques. Puis… - Ernest préféra passer sous silence les raisons qui avaient poussé son père à agir de la sorte - mon père a choisi pour moi de me faire passer un BAC C. J’ai laissé tomber et je me suis mis à l’italien en autodidacte. ⸺ Et tu le parles ? ⸺ Je manque de pratique mais je le comprends.
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