Chapitre 5

1331 Words
Chapitre 5 L’attitude antipathique de Chantal laissait Balsamine perplexe et cette dernière ne la comptait pas parmi son cercle d’amis. Balsamine s’en moquait car elle ne tarderait pas à s’en faire, mais quelque chose d’autre la tracassait. Il s’agissait d’une réflexion que Chantal avait émise à son encontre. Si les garçons portaient des costumes trois-pièces et les filles des tailleurs, la chose qui sautait aux yeux était que chacun portait des vêtements neufs et de marque. Un matin, tandis que les élèves se regroupaient devant la porte en attendant leur professeur de français, Balsamine entendit cette moquerie. ⸺ En ce qui concerne la gagnante de la mode Tati, je te décerne la palme d’or, avait lancé la voix nasillarde. Non mais où t’es allée dégoter ça ? Balsamine portait un col roulé bleu pétrole assorti à une jupe en biais à carreaux, relevée d’une veste dans le même tissu que sa jupe. Vu de loin, l’ensemble passait pour correct à la demande du règlement intérieur. Certes, elle n’était pas non plus la seule à se vêtir de la sorte puisque les critères de la mode l’imposaient. Cependant, la couleur passée par les nombreux lavages, quelques bouloches et l’état détendu des manches laissaient deviner la piètre qualité de ses vêtements. Les autres élèves ricanaient. Comment pouvait-elle expliquer que sa grand-mère malgré toute sa bonne volonté, n’avait pas d’autres moyens que d’aller s’approvisionner au bazar bon marché ou lui faire porter des vêtements de seconde main récupérés chez des connaissances bienveillantes ? ⸺ Mais vous êtes habillées pareil, avait rétorqué Ernest sous le regard inquisiteur de Chantal. ⸺ Tu veux l’adresse de mon détaillant, lui avait répondu Balsamine vexée, coupant la parole à Ernest. ⸺ Le jour où je chercherai un déguisement… Mouais, réfléchissait Chantal. Non en fait, je connais des créateurs qui savent couper à mes mesures. Merci mais vraiment… nan ! Elle partit plus loin en riant accompagnée de Monique. Ernest les suivait. ⸺ Je te croyais plus gentille que ça Soleil des blés. ⸺ Tu n’as qu’à la snober comme moi je fais. C’est tout ce qu’elle mérite. ⸺ Tu sais bien qu’il ne résiste à aucune fille, ironisait Monique. ⸺ Intéressée ma douce ? ⸺ Non ! C’est moi qui l’intéresse, s’exclamait Chantal sur un ton plus doucereux. Nous n’allons pas laisser cette Miss Tati gâcher ce qu’il y a entre nous. Chantal tentait vainement de lui attraper la main. Ernest croisait les bras et regardait les deux filles d’un air amusé. ⸺ Et, je peux savoir ce qu’il y a entre nous ? narguait-il. ⸺ Tu étais plus entreprenant l’autre soir, lui reprocha-t-elle. ⸺ Mouais, la jaugeait-il en se grattant le menton. J’aime bien les filles gentilles, pensait-il. Tu crois sincèrement qu’on va reconduire ça ? ⸺ Quand tu veux, où tu veux, lui répondit-elle en déhanchant subtilement, faisant virevolter sa jupe évasée. On se rejoint après les cours. ⸺ Tu sais qu’en ce moment je remets Poil de carotte à niveau. ⸺ Donne-lui tes cours, elle se débrouillera bien toute seule. ⸺ Elle me met à niveau en anglais. ⸺ Tu y mets de la mauvaise volonté. Ernest pesait le pour et le contre, d’un côté une fille timide et gentille, de l’autre une fille peu farouche et serviable différemment. Aussi belle l’une que l’autre. Il était comblé. Pourquoi choisir ? Tandis que le jeune homme luttait intérieurement avec ses hormones, Chantal ne tarissait pas de critiques acerbes au sujet de Balsamine et se gaussait avec son amie aux traits grossiers. La mode n’était pas l’affaire du jeune homme. Il ne comprenait pas cette importance des plus capitales que Chantal pointait du doigt. De son côté Balsamine s’était éloignée pour cacher son ressentiment. Elle repensait à l’époque où sa façon de s’habiller ne posait pas tant de problèmes. En effet, si cela ne dérangeait personne dans l’enseignement public, là où toutes les classes sociales se côtoyaient, dans ce lycée privé, elle se sentait mise à l’écart. Le règlement intérieur était strict, la tenue correcte était exigée, et le renvoi d’Ernest lui avait prouvé qu’ici on ne badinait pas avec le règlement. Cette cassure sociale ramenait Balsamine à une condition inférieure. Si Chantal avait tenté de la rabaisser parce que d’après elle les roux puaient, les vêtements désuets que portaient Balsamine laissaient entendre de façon implicite qu’elle n’appartenait pas au même milieu social que tous ces privilégiés. Dans un sens, cette image la faisait sourire, car dans son ancien lycée, ceux qui s’affichaient comme les premiers de la classe et arboraient un statut social supérieur étaient mal vus. Elle pensait néanmoins que grâce à son bon niveau, elle se distinguerait. Il lui serait possible alors de se faire de nouveaux amis parmi ceux que l’on espérait être l’élite de demain. Pour pallier à ce qu’elle pensait être un handicap, elle avait prétendu que ses parents étaient de savants médecins et se félicitait d’avoir pris soin de cacher son lien de parenté avec la cantinière. Paradoxalement lorsqu’elle remplissait les papiers demandant de décliner l’identité de son père, elle répondait qu’il était décédé. Quelque part elle aurait souhaité que ce fusse vrai. Or, malgré ses mensonges, Balsamine ne s’y trompait pas. Elle avait été mise en quarantaine par la plupart des autres élèves. La plupart car, outre Ernest qui travaillait avec elle dans une humeur badine, le soir même où Chantal lui avait décerné le prix de la mode Tati, des élèves frappèrent à la porte de sa chambre dans le but de faire sa connaissance. Il s’agissait de Keiko et Midori Préjean, des jumelles de sa classe. Elles étaient françaises et portaient des prénoms nippons, ce qui surprenait d’autant plus avec un nom de famille bien franchouillard. C’était une fantaisie de leurs parents qui, tombés amoureux du Japon décidèrent de rendre hommage à ce pays qu’ils aimaient tant. Elles se ressemblaient en tous points, et riaient joyeusement sans raison apparente, leur complicité de jumelles en étant certainement la cause. Dans le but de correspondre aux stéréotypes des jeunes filles japonaises, leurs longs cheveux noirs et lisses s’étiraient en baguette, des yeux verts en amande et des pommettes roses complétaient leurs portraits. Physiquement rien ne les distinguait l’une de l’autre et elles s’en amusaient. Elles poussaient le vice en portant des tenues identiques à la mode nippone. Seul leur tempérament les différenciait. Si Midori semblait être le caractère dominant de ce couple utérin et se voyait offrir les faveurs de tous par sa vivacité d’esprit, Keiko n’était pas en reste. Elle était dotée d’une certaine candeur relevée par un profond charisme. Leur père travaillait au Japon et revenait rarement en France. Leur mère œuvrait en partenariat avec son époux en France avec des horaires décalés afin d’assurer le télétravail avec le Japon et, hormis les week-ends, elle ne pouvait donner toute son attention à ses deux filles adorées. C’était ainsi que les trois adolescentes se lièrent d’amitié. Elles avaient pris le parti de se donner rendez-vous tous les soirs au foyer et regardaient les émissions destinées à la jeunesse avant de rejoindre l’une des salles de travail pour rédiger leurs devoirs. Il n’en fallait pas moins à Balsamine pour se sentir à l’aise au milieu d’une joyeuse b***e si ce n’était un sujet dont les jeunes filles adoraient parler et que Balsamine voulait éviter à tout prix : les garçons. Midori avait un petit ami Philippe. Elle le voyait le week-end car il suivait ses cours dans une autre école privée. D’ailleurs elle préférait que les choses se passent ainsi. Ne pas côtoyer à longueur de journée son amoureux, pour ne pas être perturbée dans ses études et avoir un tas de choses à lui raconter lors de leurs retrouvailles. Keiko aimait en cachette un garçon du lycée mais d’une autre classe : Éric. Toutes deux avaient été immanquablement courtisées par Ernest dès leur arrivée, comme toutes les filles du lycée. Il les avait surnommées les Émeraudes à cause de la couleur et de la brillance de leurs yeux. Puisqu’elles avaient toutes les deux déclaré avoir un amoureux, il s’était montré plus distant envers elles et, les courtisait avec moins d’empressement. Bien sûr, il leur avait laissé entendre que le jour ou l’une des deux serait disponible, rien ne le rendrait plus heureux que d’obtenir un rendez-vous galant. Les deux sœurs voulaient en savoir plus au sujet de l’état amoureux de Balsamine, mais cette dernière préférait garder pour elle son souvenir. Elle aurait aimé se confier à des amies de son âge mais la douleur du passé encore trop présente réveillait en elle des traumatismes qu’elle préférait taire. Elle déclara n’aimer personne et éludait quand on lui demandait si elle avait déjà été amoureuse. Elle s’en sortait en expliquant qu’à son âge, elle n’avait sans doute pas encore la maturité pour penser à ces choses-là.
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