Chapitre 3— Tu as retrouvé le manteau ? répéta-t-elle. Mais alors, où est le problème ?
Elle questionna :
— Il n’était pas endommagé ?
— Non, il était nickel.
Le soleil se couchait sur les bateaux de ce port de plaisance qui touchait au cœur de la ville. Elle contempla son camarade d’un œil critique. Il lui rendit son regard comme s’il redoutait ce qu’elle allait dire. Déjà à l’école de police, elle était connue et crainte pour sa langue acérée. Elle n’aimait pas qu’on la mène par le bout du nez. N’était-ce pas ce que Perrin venait de faire ? Sa réaction hors sujet le laissa sans voix :
— Tu as pris du poids, toi !
Il hocha la tête.
Elle précisa sa demande :
— Combien ?
Il ne comprenait pas. Elle répéta :
— Combien ? Quatre, cinq kilos ?
— Quatre kilos cinq, exactement. Tu as l’œil !
Elle posa quelques pièces de monnaie sur le guéridon mais il protesta :
— Laisse donc !
Elle ne l’écouta pas, abandonna ses pièces et ramassa ses emplettes.
— À un de ces jours, Frank !
Il se leva et lui prit ses sacs des mains :
— Mais attends… Tu es donc si pressée ?
— Pas du tout, je te l’ai dit, je suis en congé.
— Alors…
— Alors, je ne déteste pas qu’on me raconte des histoires, surtout quand elles finissent bien, comme la tienne.
— Qui te dit qu’elle finit bien ?
— Mais toi ! On a piqué un manteau hors de prix dans un magasin que tu es chargé de surveiller, et tu l’as récupéré de manière aussi mystérieuse qu’il avait disparu. Bravo ! L’affaire s’arrête là, je suppose ?
Il protesta :
— Hélas non.
Elle se rassit :
— Ah bon… Qu’est-ce que tu veux de plus ? Pour peu que tu l’aies découvert, tu veux qu’on traduise le voleur devant les assises ?
Il siffla entre ses dents, agacé :
— Surtout pas. D’ailleurs, c’est une voleuse.
— Je ne vois pas ce que ça change…
— Alors, je vais te l’expliquer. Tu reprends quelque chose ?
Sans attendre sa réponse, il commanda un autre café et une autre bière à la jeune serveuse.
La curiosité de Mary était piquée.
Elle laissa Perrin reposer ses sacs et reprit place sur son siège tandis qu’il la considérait d’un petit air ironique.
Cela l’agaça et quand ils furent servis, elle demanda un peu sèchement :
— Où veux-tu en venir ?
— Je t’ai parlé tout à l’heure d’un certain Borrigneau…
— En effet, un commandant de police de tes amis qu’un de ses collègues jaloux a dans le nez… Rien de nouveau là-dedans, mon vieux Perrin, c’est un grand classique qui se joue dans tous les commissariats, voire dans toutes les entreprises et administrations de France et de Navarre. D’abord, quelles sont les raisons de l’antagonisme entre Ponchon et ce commandant ?
— Borrigneau est un type qui ne s’en laisse pas conter… Son dernier exploit est d’avoir fait tomber un trafiquant, un jeune homme bien sous tous rapports, brillant étudiant, qui a appliqué l’excellent enseignement qui lui avait été prodigué dans une école de commerce privée et fort onéreuse, en créant un réseau de petits dealers qui sévissaient dans les écoles.
— Joli coup ! approuva Mary.
Le visage de Perrin se plissa :
— Joli coup, si on veut.
Mary attendait la suite.
— Pourquoi si on veut ?
— Parce que cet excellent garçon n’était autre que le fils de Verdurin, un influent vice-président du Conseil régional.
— Je vois… Il y a eu des pressions ?
— Et comment ! Chasségnac a essayé de faire comprendre à Borrigneau qu’il serait prudent de fermer les yeux mais, comme je te l’ai dit, ce n’est pas le genre de Borrigneau.
— C’est tout à son honneur, apprécia Mary.
— Certes, mais pas à son avantage, souffla Perrin.
— Le fils Verdurin a-t-il été jugé ?
— Pas encore. Le dossier est en instance, ses avocats font traîner l’affaire.
— Cependant il ne perd rien pour attendre, marmonna Mary, à moins… à moins qu’il n’y ait un fait nouveau…
— Exactement ! Et ce fait nouveau serait l’inculpation de la femme de Borrigneau dans un vol. Tu piges maintenant ? demanda Perrin.
Si elle pigeait ! La manœuvre déloyale dans toute sa splendeur ! On allait proposer un marché au commandant : ou tu laisses tomber tes accusations, ou les indélicatesses de ta femme seront révélées en plein tribunal.
Après un silence, Mary demanda :
— Je suppose que lorsque tu as récupéré ce fameux manteau, tu n’as pas manqué de demander quelques explications à madame Borrigneau ?
— Évidemment ! dit Perrin.
— Et que dit-elle pour sa défense ?
— Rien. Elle pleure…
— Quel est ton sentiment ?
— À mon avis, il y a quelque chose qu’elle ne veut pas ou ne peut pas dire. Quelque chose qui s’est passé il y a peu mais qu’elle ne veut même pas évoquer.
— A-t-elle des enfants ?
— Non. Il faut te dire que la différence d’âge entre Borrigneau et sa femme est importante. Il court sur les quarante ans et elle n’en a pas trente…
Mary minimisa :
— Dix ans, qu’est-ce là ? Ils sont mariés depuis longtemps ?
— Même pas deux ans… Ils se sont rencontrés au commissariat. Louise, c’est son prénom, était venue en piteux état porter plainte contre un mari v*****t. C’est Borrigneau qui avait enregistré la plainte. Lui-même sortait d’une douloureuse épreuve : son fils unique, âgé de dix-sept ans, venait de mourir d’une overdose et sa femme, qui n’avait pas pu surmonter son chagrin, s’était suicidée.
— Et alors ?
— Louise a obtenu le divorce et le mari brutal a été condamné à six mois de prison ferme. Quand il est sorti de taule, il a recommencé à la harceler et Borrigneau a pris Louise sous sa protection. Ils ont donc continué à se voir, régulièrement, et ils ont fini par se marier. Cette affaire est particulièrement dégueulasse car Borrigneau est un écorché vif, et une telle révélation lui serait fatale.
— Eh, dit Mary, tu n’exagères pas un peu ?
— Non, dit Perrin d’une voix assurée, je connais bien mon Paul, sous des abords rugueux, c’est un hypersensible.
Mary soupira :
— Alors, que voudrais-tu que je fasse ?