Chapitre 2 : Sélection

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Chapitre 2 : Sélection Études des Sciences Humaines : « La sélection n’est qu’un leurre pour les bien-pensants. Dans les faits, ceux qui doivent être aux commandes le deviennent un jour. Le destin, le futur ne sont que des mots sans fondement, comme tant d’autres. Le temps n’existe pas, seul est l’instant présent, encore et encore. L’élu n’a que le choix de cet instant, qu’il soit passé ou à venir. Il n’a que son intention pour lui, l’unique juge de ses décisions. » Les sphères ascensionnelles les avaient déposés sur le sol de l’entité mouvante. Aujourd’hui, Maylis pénétrait en même temps que tous les technospaces sur ce monde authentique en dépit de sa taille extrêmement modeste en définitive. L’énorme sas d’un noir profond s’était ouvert sur son personnage, à l’instar d’une bouche colossale qui les avalerait pour les mener le long d’interminables couloirs vers des bâtiments secondaires leur évitant tout contact hostile avec l’astéroïde lui-même. Maylis possédait une certaine expérience des astéroïdes et de la sélection que l’on y pratiquait. Celle-ci ratifiait les candidats finalistes à y demeurer et y être acceptés en tant que membres à part entière des équipes en place, pourtant, à cet instant, la jeune femme se sentait insignifiante parmi la masse grouillante de ces spécimens humains qui avançaient vers les hangars du niveau zéro, en même temps qu’elle. Trop insignifiante et trop commune pour être repérée par l’un des ingénieurs en place. Mais c’était une étape préliminaire et elle s’était juré de les franchir une à une, quand bien même cela nécessiterait une existence entière. Qu’était-ce qu’une destinée humaine quand il existait de tels phénomènes dans l’univers ? À l’écoute des sons de ce nouvel habitat, regardant alentour pour mieux s’imprégner de cet environnement, elle s’était intégrée sans y prendre garde à l’un des groupes que les superviseurs agençaient en ce moment même. On les guidait jusqu’à une pièce aveugle, dénuée de tout accessoire, vers une console où deux agents de sécurité commencèrent à les instruire des différents protocoles, du règlement, des comportements escomptés, avant d’entreprendre la constitution des binômes. Intimidée, Maylis conserva un silence prudent tout en se tenant bien droite derrière une recrue masculine qui la dépassait d’une tête, comme si ce simple fait la déroberait et lui offrirait une chance de passer inaperçue. C’était stupide, alors qu’elle était exactement à l’endroit où l’avait conduite le moindre de ses objectifs. Ce fut cet homme qui fut désigné pour être ce compagnon de labeur pour la routine à venir. Elle ne se leurrait pas ; là, en bas, sur Origine, on l’avait instruite des diverses tâches à accomplir sur le corps en orbite. Aucune ne l’effarouchait ; elle était téméraire et endurante, et elle savait surtout ce qu’elle voulait. Ses précédents voyages, au fin fond de systèmes où les conditions d’existence s’avéraient loin d’être une panacée, l’avaient aguerrie intérieurement aussi bien qu’extérieurement. Sa préparation allait bien au-delà de l’attendu et malgré cela, elle se figurait toute dérisoire au sein d’une machinerie humaine plus effrayante que toutes les mécaniques et les engins de mort que la science inventait régulièrement. Sous son vernis de jeune femme civilisée se dissimulaient un corps et un esprit aussi durs que les métaux rares extraits des sous-sols de cet astéroïde. Le discours des officiers se clôtura sur les présentations individuelles. La première étape était achevée, la suivante débutait, celle de l’évaluation approfondie de leur personnalité propre. Elle n’admettait pas l’importance d’une telle exigence. En quoi son tempérament les inciterait à retenir sa candidature, alors qu’il y avait tant à faire ici, tant à faire et tant à perdre. Elle ne se leurrait pas non plus sur la flopée de disparitions dont faisait subrepticement, mais invariablement, mention « le livre des manquants », comme si le corps stellaire et son précieux métal pouvaient absorber autant d’individus sans que personne, pas même le personnel des services de sécurité, ou de santé, ne s’en aperçoivent. Pourtant, elle fut tout comme les autres passée au crible, jusqu’à son choix de monter jusqu’ici, jusqu’à son choix des études d’astrophysique, jusqu’à ses motivations et les divers entraînements physiques endurés tout au long de ses expériences antérieures. En dépit de son jeune âge, elle avait cumulé quelques missions astreignantes qui les intéressaient. Pourquoi vouloir connaître ce qui était une évidence, vouloir présager de l’insaisissable ? Comme si Maylis l’avait pigé elle-même ! Elle ne se comprenait pas, ne s’était jamais comprise. Ils amorcèrent ensuite l’analyse ; elle aurait employé le terme de dissection, de ses états de santé. Elle dut tolérer leurs regards fouineurs, leurs contacts de pâte à modeler – c’est ainsi qu’elle envisageait les choses –, leurs vaccins et leur soi-disant antidote dont elle suspectait qu’ils ne lui feraient pas le bien dont on la serinait. Elle supporta tout ce qu’il fallait, et elle fut sélectionnée ; ainsi que son binôme. Sur la centaine qu’ils étaient en ce début de processus, quinze furent évincés pour des raisons dont elle ne sut rien pour la plupart. On les guida ensuite vers des appareillages occultes au moyen desquels leur résistance à l’effort, leur endurance, leur niveau d’énergie immédiate et à plus long terme furent de nouveau quantifiés, enregistrés, reportés sur des unités de mémoire. Elle se retint de rire quand elle prit soudain du recul et qu’elle considéra elle-même la situation, se promettant tout à coup d’écrire un jour l’un de ces bouquins où le personnage principal ne serait que son propre reflet. Elle n’aurait pas même à trop imaginer ; tout, ici, étant au-delà du quotidien de tous, là, en bas, sur SolO. Enfin, les superviseurs leur tendirent un badge, un uniforme, et les accessoires de base pour la toilette ; le lendemain, on leur fournirait une combinaison protectrice lestée de toute la technologie nécessaire à une sortie hors du cocon sécurisé des bâtiments. Les superviseurs s’effacèrent au profit d’un énergumène un peu plus souriant qui les encouragea à le suivre vers les « Communs », un corps de bâtisses pourvu de deux bâti-sphères reliées ensemble sur un même niveau et comportant, notamment, les dortoirs, les douches, deux réfectoires et le collectif. Ce dernier, sorte de vaste pièce assez confortable derrière la zone cantine, proposait des coins isolés, des remparts de plantes et des renfoncements électroniques, de quoi se détendre et évacuer la tension instillée par le quotidien au sein des ateliers de SolAs, comme les surnommaient les générations de tournants passés avant eux. On leur octroya une pause qui leur permit quelques brefs et superficiels échanges. Maylis nota encore les rumeurs courant sur l’équipe en place, qui aurait rencontré quelques incidents sérieux ; un accident était également incriminé dans les coursives qu’empruntaient les technoS et leurs affiliés pour se rendre sur les lieux de production. Elle se ferma aux indiscrétions et bavardages, et, après s’être désaltérée d’un jus de fruits insipide, s’isola vers l’une de ces zones à l’écart, hélas escortée de cet étranger qui avait à cœur de jouer son nouveau rôle. Et pourquoi pas ? – Vous êtes toute jeune, vous êtes passée par quelle école ? l’interrogea-t-il d’emblée, alors qu’il la jaugeait depuis un moment. – L’école des Hautes Astrophysiques, dans les monts alpins d’Origine, en Eurafrique. Il patienta et comme son interlocutrice ne rebondissait pas, il précisa : – Pour moi, c’est l’institut des Sciences Fondamentales sur Laefin. Le plus gros satellite en orbite autour de SolO. Un trou perdu pour Maylis, mais pour la plupart une opportunité. Elle y avait fait un bout de spécialisation, là-bas. Elle acquiesça, marquant un intérêt tout artificiel. Il en redemanda : – Quelle orientation majeure pour vous ? – Un certain nombre, en fait. – Ah… Ce vaste ensemble de connaissances s’avérait impossible à assimiler dans sa globalité. Ce bout de femme, tout juste sortie de l’adolescence, n’allait pas lui en compter longtemps. Il attendit qu’elle fasse l’effort de revenir vers lui. Ce qu’elle fit, manifestement agacée par son intrusion. – Dans les premières années, l’instrumentation et les exoplanètes, puis l’ingénierie spatiale. – C’est déjà beaucoup, vous savez. Elle eut un petit sourire en biais. Elle allait lui faire plaisir, ou démonter sa complaisance pour sa personne, au choix : – J’ai néanmoins parachevé cette éducation par une formation complémentaire et, notamment plusieurs stages expérimentaux. Et comme il allait encore vouloir poursuivre la communication, elle enchérit spontanément : – La physique des plasmas denses, des exo métaux ; la matière noire, bien que ce soit de l’histoire ancienne. Le concept est désormais dépassé, vous le savez. Ébahi, il quémanda presque : – Vous avez pratiqué ? – Bien sûr. Je vous l’ai dit ; mes stages. Mais ma vraie spécialité concerne les astéroïdes. – Vous êtes beaucoup trop jeune pour avoir réalisé ce parcours. Elle sourit plus largement et plaisanta : – On m’a toujours affirmé que je ne faisais pas mon âge. Mais de votre côté ? Troublé, il atermoya d’abord, avant de répondre vaguement : – Je ne dispose pas d’un cursus complet ; c’est pourquoi je rapplique sur ce morceau de caillou volant. Mais pourquoi ce choix de mission, ici, pour vous-même, alors que vous pourriez être n’importe où ailleurs ? – Je ne souhaite pas finir ma vie dans un laboratoire, à conceptualiser à l’infini. Je veux entrer en profondeur dans le métier, en embarquer toutes les subtilités… trouver un sens que d’autres n’appréhenderaient pas. Seul un apprentissage intensif pourra me le permettre. Ce corps étranger recèle des messages qu’il n’a pas encore livrés aux scientifiques, comme aux profanes. – Mais en tant que technoS… – Eh bien, oui, cet angle d’approche me paraît judicieux. Un technospace est le meilleur instrument pour sonder la matière… – À coups de burin et d’acide… – Pourquoi pas ? – Pour une femme, il y a mieux, non ? – Pas nécessairement. Apparemment, je n’ai pas la même vision que vous, à la fois sur le statut de femme et sur celui de technoS. Mais cette mission-ci est un peu particulière, non ? Elle n’attendit pas qu’il réagisse et s’enquit : – Quel est votre nom, déjà ? – Jhano. Jhano Pan. Elle lui tendit la main, un sourire à peine esquissé sur ses lèvres. – Maylis Lhan. Il soupesa leurs chances de s’entendre. Leur tempérament ne se complétait visiblement pas, ni leurs aspirations. Mais on les avait réunis ; il s’interrogea sur la compétence des recruteurs qui venaient de les examiner sous toutes les coutures. Mais elle était mignonne avec sa frimousse en cœur, ses boucles châtaines qui l’encadraient et ses prunelles grises. Il n’allait pas se plaindre ; qui sait ce qui pouvait en découler ? Il se détendit et lui offrit à son tour sa main qui faisait deux fois la sienne. Maylis ne cilla pas, mais n’apprécia pas l’expression du visage de l’homme ni les pensées qu’elle devinait trotter dans sa tête. Elle soupira avant de s’éloigner de leur coin à l’écart, et entreprit de rejoindre les équipes au centre de la salle. Elle et son binôme furent momentanément séparés par la foule des technoS et des ingénieurs qui refoulaient vers l’un des couloirs s’enfonçant dans les profondeurs de leur nouvel habitat. Bientôt, ils atteignirent un embranchement qui menait à d’autres couloirs. Les dortoirs, leur précisa-t-on. Destinés uniquement aux membres féminins dans l’une des ailes, et aux membres masculins dans une autre. Ringards ! songea Maylis que cette différence n’ennuyait pas. C’était tout aussi bien. Non pas qu’elle ne recherchait pas, parfois, une relation masculine, mais elle n’avait pas d’expérience sur le sujet, en dehors des problèmes que ces mêmes timides relations avaient ensuite générés. Elle ne s’attachait pas, voilà tout. Quelques-uns de ces gros mâles avaient tenté de s’accrocher, mais elle les avait rapidement mis au fait de son manque d’intérêt pour leur masculinité tout apparente. Eh bien, ce n’est certainement pas dans ces lieux qu’elle débusquerait l’âme sœur. Et cette perspective lui convenait parfaitement.
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