Chapitre 5 : Le niveau supérieur
Leçon de terrain appliquée aux extractions sur les planétoïdes : « La maîtrise des éruptions provenant d’un puits, nécessite un bloc d’obturation consistant en un système de vannes élaboré. »
Après un passage obligé vers l’aire des vestiaires afin de récupérer l’accoutrement vestimentaire dont une combinaison suffisamment proche du corps pour ne pas être encombrante, ultralégère et souple pour permettre une fluidité et une amplitude des mouvements appréciables, on les initia hâtivement à son maniement. Bien sûr, la plupart d’entre eux n’en étaient pas à leur première expérience, mais les règles de sécurité imposaient cette étape.
La jeune femme frappa du pied pour tester la solidité des chaussures montantes qu’elle venait d’enfiler. Souples également et résistantes, faites d’un matériau à l’épreuve des projections, à l’instar de la combinaison dont la texture de tressage polymérisé empilait les couches de fibres isolantes. Là-haut, les risques qu’ils côtoieraient deviendraient leur lot quotidien dans le cadre des sorties hors des Communs, même si ces sorties, à ce qu’on lui avait affirmé, s’effectuaient généralement en intérieur par des passages édifiés, à l’origine, pour éviter les extra-bases.
De véritables structures alvéolées, en dur, recouvraient les sites de production tout en étant elles-mêmes enveloppées d’un champ plasmatique pulsé et maintenu par de gros générateurs à plasma dont une infime partie provenait du plasma extrait sur le Nadh à partir des puits de mine. Puits de mine que les nouvelles recrues allaient, elles-mêmes, contribuer à entretenir. Ces architectures novatrices amenuisaient les expositions aux conditions du Nadh, en tout cas les limitaient le plus possible et réduisaient l’occurrence des incidents à un taux acceptable, si tant est qu’un seul d’entre eux pût être acceptable.
Ils avaient quitté le niveau zéro de SolAs, là où s’intriquaient, dans le roc de l’astéroïde, les espaces de vie de leur communauté, pour atteindre à l’aide de navettes-bulle ascensionnelles glissant au sein de couloirs translucides, le niveau supérieur sur lequel se dressaient les hangars aux silos de ce qu’ils nommaient le « plasma nadhien », et leurs blocs et leur puits. Là où dorénavant, se déroulerait leur besogne de fourmis au sein de la fourmilière géante, à plus de deux mille mètres du niveau zéro et du complexe.
À l’intérieur de ces hangars pressurisés, réalisés à partir de la roche même, si particulière à cet astéroïde, ils avaient été séparés en unités de six binômes de technoS pour un binôme d’ingénieurs censés chacun se remplacer en fonction des impératifs de service et des circonstances ponctuelles, comme dans le cas d’un accident toujours envisageable.
Les superviseurs les firent déambuler dans chacun des six blocs constituant ce qu’ils baptisaient un silo. Un jargon approprié à cet endroit perdu au-dessus d’Origine. Dans ce secteur, le corps stellaire se criblait de ces puits sans fond dont chaque bloc extrayait son quota journalier de minerai sans que le puits central du groupe de six blocs semble se tarir d’une quelconque façon. De certains de ces puits centraux, excavés par les toutes premières équipes de technoS ayant posé les pieds sur SolAs, et autour desquels s’étaient édifiés les silos, dépendait un puits secondaire. Certains blocs, suffisamment bien appareillés, avaient été aménagés autour de l’un de ces puits secondaires. La partie du corps spatial sujette à ces extractions intensives exhibait ces sortes de vasques ou de nasses d’où, à tout moment, pouvait jaillir la substance précieuse autant que létale, arrachée au minerai ou bien giclant en même temps que ledit minerai, voire même le devançant. À l’instar d’une bête enragée, pressée de se dépêtrer de sa fange, l’essence plasmatique brute, canalisée par un phénomène insondable, s’extirpait d’elle-même du minerai en leur facilitant la tâche, d’une certaine manière, et en la leur compliquant d’une autre. Ils avaient été prévenus ; ils devaient se méfier des caprices de l’Aster et de son essence vitale qu’ils auraient à retraiter in situ.
Maylis et ses compagnons écoutaient religieusement les explications des superviseurs. La manipulation du plasma stellaire s’avérait délicate et le métal imprévisible, laborieux à juguler, impossible à maîtriser dans certains cas. Ils devaient apprendre les gestes sécuritaires qui pouvaient les sauver d’un débordement plasmatique. Si l’accident survenait, il allait de la survie des équipes en place de réagir promptement afin de générer un flot plus soutenu de prélèvement. On leur enseignerait les manipulations de secours en temps voulu. Quand ? songea Maylis, que la présentation du contexte déconcertait. Si l’appréhension était loin d’être chez elle une seconde nature, elle n’en répugnait pas moins à ne pas contrôler son environnement. Au cours des quelques expériences passées dans d’autres secteurs de l’espace, ses connaissances lui avaient souvent valu d’avoir la vie sauve. Elle avait soif que l’on aborde les conditions de leur survie.
Dans le silo principal qu’ils entreprirent de visiter ensuite, le puits paraissait monstrueux et régurgitait à intervalle des sons lourds et visqueux, des bouillonnements troublants et détestables. Les superviseurs, attachés à leur groupe, les emmenèrent dans chacun des blocs successifs entourant le puits majeur. L’équipement de certains équivalait, voire surpassait celui des plus illustres laboratoires industriels et chimiques dans lesquels Maylis avait eu l’occasion de pénétrer, d’autres ne possédaient que quelques tuyères poussives.
Comme la jeune femme scrutait avec plus d’attention l’un de ces blocs, un superviseur lui fit remarquer :
– Le magma qui pisse de celui-ci ne pulse qu’à faible pression, d’où ces tuyères sous-dimensionnées. Nous ne connaissons pas la raison de ces différences d’un bloc à l’autre en dehors, peut-être, d’un champ magnétique dont nous avons suspecté la présence à plusieurs reprises, et qui apparaîtrait de manière tout à fait aléatoire, mais que nos équipes n’ont que très rarement pu calibrer l’ampleur par manque de matériel adéquat. Tout juste avons-nous pu obtenir une approximation.
Il les entraîna un peu plus loin, et spécifia :
– Dans ce bloc-ci, ce qui semble être de l’essence métalloïdique est prépondérant ; seuls, d’infimes résidus de minerai sont encore mesurés à ce stade, bien que le bloc tire son essence du même puits qui alimente les cinq autres blocs qui y sont associés. On pourrait presque avancer que ce foutu plasma abrite des fantômes de volonté.
– Habité d’une entité ? suggéra Maylis en s’amusant, tout en songeant que l’homme n’avait pas paru sûr de lui en parlant de l’essence métalloïdique.
Y avait-il des nuances qu’elle n’avait pas saisies ? Elle garda pour elle sa question qu’elle replacerait plus tard, à un moment plus propice. Le superviseur riva un œil surpris sur la technoS, avant de rétorquer :
– Certains l’insinuent, mais n’allez pas dans leur sens ni n’allez nourrir leurs compulsions. Ce ne sont que des inepties dignes des moins performants d’entre nous.
– Ce n’est pas moi qui ai mentionné ces « fantômes de volonté ».
Crispé, il l’examina, il n’aimait pas que l’on joue avec lui.
– Occupez-vous de retenir les modes opératoires que nous vous fournirons aujourd’hui, et tout au long des jours à venir. Après, chacun d’entre vous sera lâché dans ces fosses. Et croyez-moi, au début, cela vous fera tout drôle ; vous aurez la perception d’être isolés du reste du monde, de vous noyer dans une mer de ce métalloïde dont on apprend à se méfier, dont on devient l’ennemi sans l’avoir cherché.
Mouchée, Maylis se retourna, discernant dans son dos le sourire méchant de la femme ingénieure ayant déjeuné à leur table, le matin même ; Annielhe Loch. Celle-ci allait œuvrer à leurs côtés. Cela promet, songea la technoS.
Comme ils pénétraient dans le bloc de production le plus conséquent du silo Un, Maylis, impressionnée, étudia les panneaux composites occupant chaque surface des parois. Les tuyères, ici énormes, reliaient des secteurs mystérieux pour eux. Elles plongeaient dans l’un de ces puits secondaires dont les superviseurs leur avaient parlé un peu plus tôt, pour aller extraire le fameux minerai, le séparer de son essence métalloïdique quand c’était encore nécessaire, et propulser cette dernière vers d’autres secteurs, au-delà des parois auxquelles ces tuyères se raccordaient. Le minerai était quant à lui emporté dans une direction différente pour subir un traitement approprié. Certaines des tuyères s’articulaient autour d’axes. Pour permettre d’orienter l’axe de poussée, songea Maylis qui les étudia avec intérêt.
– C’est ici que vous et votre binôme débuterez, lança le superviseur le plus proche, en s’adressant à Maylis et à son compagnon d’infortune. Mais à plus ou moins court terme, vous aurez à tourner sur tous les blocs. Celui-ci n’est pas ce que l’on pourrait juger comme le moyen le plus aisé pour un apprentissage digne de ce nom, mais vous vous y ferez. Il s’évertuait déjà à la mater. Maylis frémit, et retint un commentaire acerbe. Commencer par ça ou autre chose ! De toute manière, il fallait en passer par là et elle était là pour ça, pour plonger au cœur de l’expérience du terrain et apprendre vite. C’était l’un de ses leitmotivs : apprendre vite, et apprendre le plus possible. L’une de ses sources d’inspiration dans cette existence. Pour infiltrer l’obscur, en noyauter les zones d’ombre et atteindre à la maîtrise.