le sang de la lune

Le ciel était d’un noir d’encre, troué seulement par la pleine lune suspendue au-dessus des arbres. Une lueur pâle glissait entre les branches nues de la forêt, dessinant des ombres inquiétantes sur le sol humide. Éléa resserra les bras autour de son manteau, priant pour que ce fichu raccourci la ramène vite à la route. Elle n’aurait jamais dû s’attarder à la bibliothèque. Ni oublier que la forêt devenait étrange les soirs de pleine lune. Son téléphone n’avait plus de réseau. La batterie était presque morte. Et maintenant, ses pas l’avaient menée bien plus loin qu’elle ne le pensait. Les arbres étaient plus denses, l’air plus lourd. Une brume légère rampait entre les racines comme si la forêt respirait. Elle jeta un coup d’œil derrière elle. Rien. Pourtant, depuis cinq minutes, elle avait l’impression d’être suivie. Un craquement. Puis un autre. Des bruits de pas ? Non… trop lourds, trop lents. Comme si… quelque chose la traquait. Elle accéléra. Les feuilles mortes crissaient sous ses bottes, et son cœur tambourinait contre sa poitrine. Elle n’était pas peureuse d’habitude. Mais ce soir, elle sentait… autre chose. Une présence. — Du calme, Éléa… Tu psychotes, murmura-t-elle pour se rassurer. Un souffle glacé lui frôla la nuque. Elle se retourna d’un coup. Personne. Juste le silence pesant des arbres. Et pourtant… elle n’était pas seule. Elle le sentait. Un grondement sourd résonna dans l’air, grave, guttural, comme sorti d’une gorge animale. Ses mains tremblaient. Et c’est là qu’elle le vit. Deux yeux dorés, brillants dans l’obscurité, la fixaient sans cligner. Une bête massive, plus grande qu’un loup normal. Son pelage noir semblait avaler la lumière, et ses crocs luisaient sous la lune. Éléa recula lentement, mais son pied heurta une racine. Elle trébucha, tomba à genoux, trop terrifiée pour crier. La créature s’avança, chaque pas pesait comme un coup de tonnerre dans son esprit figé de peur. Et puis… un sifflement dans l’air. Une ombre bondit sur la bête. Le choc fut brutal. Des grognements, des griffes, un bruit d’os brisés. Tout alla trop vite. Quand elle leva enfin les yeux, la bête noire était au sol, immobile. Et debout devant elle, haletant, un garçon. Il paraissait à peine plus âgé qu’elle, 18 ou 19 ans peut-être. Mais son regard… ces mêmes yeux dorés. Intenses. Inhumains. — Ça va ? demanda-t-il d’une voix grave mais calme. Elle hocha la tête, incapable de parler. Il s’approcha lentement, tendit la main pour l’aider à se relever. Sa peau était chaude, malgré la nuit glaciale. Et dans ce contact, Éléa sentit… autre chose. Une énergie. Comme une vibration dans son sang. — Qui… qui es-tu ? demanda-t-elle enfin, la voix rauque. Le garçon hésita, ses yeux toujours rivés aux siens. — Quelqu’un qui te connaît mieux que tu ne le crois. — Tu viens de me sauver. Je… je te dois la vie. Pourquoi ? Il se détourna, l’air soudain plus sombre. — Parce que ta vie a plus de valeur que tu ne le sais. — Attends ! cria-t-elle en avançant d’un pas. Mais il s’était déjà volatilisé entre les arbres, comme s’il n’avait jamais été là. Elle resta seule dans la forêt, tremblante, les yeux fixés sur l’endroit où il avait disparu. Elle ne connaissait pas encore son nom. Mais cette nuit, elle le sentait : sa vie venait de basculer