III

1551 Words
IIIOui, Magali était orgueilleuse, les soubresauts de son amour-propre blessé amenaient de terribles crises morales... Et Mlle Amélie se vit en face d’un tâche difficile, consistant à faire pénétrer dans ce cœur d’enfant le principes d’humilité qui pouvaient seuls sauver cette petite créature, destinée à une vie dépendante, vraisemblablement obligée, toujours, de se soumettre à l’autorité d’étrangers et d’accepter en silence l’oubli et la pauvreté. Mlle Nouey et ses pupilles avaient accompagné à Londres la duchesse de Staldiff et ses enfants, ils avaient tous, l’été suivant, gagné Hawker-Park, la magnifique résidence d’été des ducs de Staldiff. Mlle Amélie occupant un appartement indépendant, les enfants se trouvaient fort rarement en contact avec la noble famille dont ils étaient les obligés... De temps à autre, ils étaient amenés par Mlle Amélie chez la duchesse qui leur faisait quelques bienveillantes questions, leur distribuait des friandises et garnissait leur petite bourse, ce qui assombrissait Magali pour toute la journée. Lady Ophélia affectait de les ignorer totalement. Quant à lord Gérald, ils ne le voyaient que de loin, passant à cheval le long des allées du parc, ou traversant, entouré d’une brillante jeunesse, les magnifiques jardins d’Hawker-Park. Lady Isabel, tout au contraire, réclamait sans cesse la présence de Magali. Elle avait une petite tête de linotte, mais un bon cœur, et se trouvait dépourvue de cette morgue naturelle à son frère et à sa cousine. Magali lui plaisait beaucoup par sa vive intelligence, ses manières empreintes d’une distinction innée, et cette grâce caressante que la petite fille savait mettre dans son regard et dans son geste lorsque rien ne venait blesser sa susceptibilité. Cette crainte des moindres piqûres d’amour-propre la portait à éviter tout ce qui pouvait la rapprocher de ses nobles hôtes. Elle ne céda qu’avec quelque peine au désir exprimé par lady Isabel, sur l’autorisation maternelle, de l’avoir pour compagne d’études et de jeux, comme l’avait été jadis Mlle Amélie pour lady Juliane... Mlle Nouey avait appuyé la demande de son élève, jugeant ce contact utile pour accoutumer la fière Magali aux intimes petites blessures inhérentes à sa position, en même temps que pour lui rendre, dans la société de l’aimable Isabel, cette gaieté que la mort de sa mère semblait avoir presque anéantie. Mais quelle tendre patience fut nécessaire à Mlle Amélie pour calmer les soubresauts de cette nature altière, d’un côté ardemment portée vers le bien, de l’autre tourmentée par cet orgueil dont l’excessive sensibilité lui était un martyre continuel ! Les considérations religieuses avaient seules quelque pouvoir sur cette petite âme, et Mlle Nouey n’espérait qu’en elles pour transformer Magali, « le petit démon », comme elle l’appelait parfois, avec une sévérité triste qui faisait abondamment pleurer l’enfant. Car Magali aimait Mlle Amélie avec la passion qu’elle mettait dans ses affections comme dans ses antipathies. De son origine méridionale, elle tenait une nature ardente, enthousiaste, qu’elle concentrait souvent, mais qui se manifestait parfois soit avec une sorte de violence, soit, beaucoup plus souvent, dans des actes de délicatesse tout à fait charmants. Mlle Nouey était frappée des trésors contenus dans ce cœur d’enfant, mais aussi un peu effrayée en constatant cette imagination ardente et cette volonté si vite cabrée devant l’obstacle. Le petit Freddy, lui, s’éleva tout seul. Il faisait le bonheur d’Isabel, et, parfois, on l’appelait au salon, pour l’entendre dire, avec les petites mines charmantes qui lui étaient naturelle : les fables et les poésies que lui apprenait Mlle Nouey. Il revenait tout joyeux, les poches pleines de bonbons qu’il offrait aussitôt à sa sœur, « sa Magali chérie », en lui racontant que lady Ophélia avait dit qu’il était très gentil, que lord Gérald s’était montré tout à fait bon et lui avait promis une jolie montre pour sa première communion. Et Magali, refusant les bonbons, demeurait longtemps songeuse, les sourcils froncés... Peut-être l’étrange petite-fille était-elle blessée de cette idée que son frère servait à l’amusement de lord Gérald et de sa cousine, – de « lui » surtout, contre lequel elle gardait l’antipathie éclose dès le premier instant – antipathie réciproque, qui se manifestait chez le jeune duc par une indifférence dédaigneuse, chez Magali par un mutisme presque absolu dans les rares occasions où elle se trouvait en sa présence. * Un matin d’août, – il y avait alors plus d’un an que les orphelins se trouvaient sous la tendre tutelle de Mlle Nouey, – lady Isabel entra comme une trombe dans la petite salle où Magali faisait réciter une leçon à son frère. – Je viens chercher Freddy... Nous allons à la cascare, Gérald et moi, Gérald veut bien que nous emmenions le petit. Sans empressement, Magali rectifia la tenue de son frère, refit le nœud de sa petite cravate... – Dépêchez-vous, chère, Gérald va s’impatienter, Freddy est très bien ainsi... Je ne peux pas vous offrir de nous accompagner, il y a tout juste la place pour Freddy dans le poney-chaise. Mais venez nous conduire, Magali, vous verrez mes nouveaux poneys, un cadeau de Gérald. Il est si bon ! Comme tous les trois traversaient le hall pour gagner la cour d’honneur, les éclats d’une voix irritée parvinrent tout à coup à leurs oreilles. – C’est Gérald qui se fâche ! murmura Isabel. Ils s’avancèrent vers le grand perron. Au bas des degrés était arrêté le poney-chaise. Et, tout près, lord Gérald était debout, ses grands yeux bruns étincelant de colère, sa main droite agitant une canne légère au-dessus de la tête d’un petit groom tout courbé et tremblant. À quelques pas de là, lady Ophélia, en coquette tenue du matin, regardait tranquillement, tout en jouant avec une fleur cueillie tout à l’heure dans les jardins. Le cœur compatissant de Magali bondit à cette vue. Ce groom était un bon petit enfant, un peu étourdi, mais absolument dévoué à ses maîtres. Sans doute avait-il commis quelque faute légère, et lord Gérald, « si bon », s’apprêtait à l’en punir impitoyablement, dans un de ces accès de colère dont il était assez coutumier. – Oh ! empêchez-le... empêchez-le ! dit Magali à Isabel en lui saisissant le bras. – Mais je ne peux pas... Il se fâchera davantage. À ce moment, le stick s’abattit sur les épaules de l’enfant. Alors Magali, n’écoutant que l’impulsion de son cœur, s’élança au bas du perron, et se jeta devant le petit garçon... – Assez milord ! Ne le frappez plus ! s’écria-t-elle d’un ton suppliant. – De quoi vous mêlez-vous ?... Reculez ! dit-il avec violence. Allons, vite ! Mais Magali, surexcitée, s’écria avec indignation véhémente : – Non, je ne bougerai pas ! C’est affreux, ce que vous faites là !... Vous êtes un lâche de frapper ainsi ce pauvre petit ! Une lueur jaillit sous les longs cils blonds du jeune homme, les veines de son front se gonflèrent. Le stick, soulevé par sa main nerveuse, tomba avec violence, cinglant le poignet que Magali avait élevé instinctivement pour protéger son visage. L’enfant eut un gémissement. D’un geste brusque, lord Gérald jeta la canne au loin. Très pâle, il se rapprocha de Magali vers qui accouraient Isabel et Freddy. Mais la petite fille leva les yeux vers lui, et ce regard exprimait une telle intensité de mépris et d’indignation que le jeune homme s’arrêta, la physionomie contractée, en laissant retomber la main qu’il étendait vers elle. – Ma pauvre chérie ! dit Isabel d’une voix tremblante, en lui entourant le cou de son bras, tandis que Freddy, tout pâle, s’emparait de la main de sa sœur. Montrez-moi... Mais cela saigne ! Oh ! Gérald ! – À qui la faute ! dit-il, les dents serrées, en détournant son regard du visage altéré et des grands yeux sombres de Magali. Si elle m’avait obéi... – Oui, cela lui apprendra à se mêler de ce qui la regarde, ajouta lady Ophélia en levant les épaules. Ne faites pas cette tête éplorée, Isabel, il n’y a là qu’une petite éraflure sans importance. Lord Gérald prit le stick que venait de ramasser un domestique, et dit froidement : – Venez-vous, Isabel ? L’heure est déjà avancée, nous serons à peine de retour pour l’heure du lunch. Isabel regarda Magali d’un air un peu perplexe. – Allez vite trouver Mlle Amélie, ma pauvre chérie, elle vous donnera quelque chose pour vous remettre, dit-elle en l’embrassant affectueusement. Venez-vous, Freddy ? Mais le petit garçon secoua énergiquement la tête. – Non, je reste avec Magali... ma pauvre Magali, répondit-il en appuyant tendrement sa joue sur la main de sa sœur. – Allons, dépêchez-vous, Isabel ! dit lord Gérald d’un ton d’impatience irritée, qui fit se hâter la fillette. Quelques instants plus tard, la légère voiture s’éloignait, Ophélia rentrait au château, et Magali restait seule dans la cour avec Freddy et le groom. – Oh ! miss Magali, c’est pour moi !... pour moi ! dit l’enfant en pleurant. Elle eut un léger mouvement d’épaules, ses traits crispés se détendirent un peu. – Ce n’est rien du tout... Qu’aviez-vous donc fait, Jem ? – J’avais oublié une commission que m’avait donnée Sa Grâce... Oh ! miss Magali, quelle marque vous avez ! dit-il d’un ton désolé. Vous auriez dû me laisser battre, j’y suis habitué... – Comment, cela vous arrive souvent ! – Oui, quand Sa Grâce est en colère... Oh ! miss Magali, ce n’est pas bien terrible, allez, j’y suis habitué, je vous dis, et autrement je suis très bien ici... J’en voyais bien d’autres à la maison. – Je ne croyais pas lord Gérald si méchant, dit pensivement Freddy en regagnant avec sa sœur l’appartement de Mlle Nouey. Magali ne répondit pas... Un travail commençait dans son cerveau, il se continua toute la soirée, et, lorsque Mlle Amélie vint l’embrasser dans son lit, l’enfant lui noua les bras autour du cou en disant : – Écoutez, mademoiselle, je ne veux plus me mettre en colère. J’ai vu lord Gérald... Et il bat souvent ce pauvre Jem !... Oh ! ne me dites plus qu’il est bon ! Je le déteste ! fit-elle dans une explosion de rancune. – Magali, Magali, que dites-vous là ! Le duc de Staldiff, si v*****t, si dur qu’il puisse être parfois, n’en demeure pas moins votre prochain... Magali, vous cédez en ce moment au ressentiment causé par l’humiliation qui vient de vous être infligée. Magali cacha son visage entre ses mains et pleura longtemps. Enfin, relevant la tête, elle dit d’un petit ton ferme. – J’essayerai de lui pardonner, d’oublier... mais ne me dites jamais qu’il est bon !
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