Préface, par Jean-François Thomas-1
PRÉFACE
I
LES RAISONS D’UN CHOIX
UNE ANTHOLOGIE de science-fiction suisse romande. Voilà un projet qui peut sembler bizarre et incongru. Trouverait-on aussi, en nos contrées, des auteurs assez farfelus pour se livrer à l’exploration d’espaces imaginaires sans craindre la mauvaise réputation attachée à ce genre de littérature, dont aucune étude littéraire en Suisse romande ne parle, si ce n’est au détour d’une phrase ou d’une note égarée en bas de page ?
Cette anthologie, qui regroupe dix-huit textes, dont le premier est né en 1884 et le plus récent en 2004 – soit un espace-temps de cent vingt ans –, est là pour le prouver. La science-fiction suisse romande existe bel et bien, sous la plume d’auteurs célèbres, réputés, peu connus voire carrément oubliés.
On ne construit pas sur du sable, sinon l’édifice ne tient pas. Il convient donc d’indiquer ici sur quelles fondations repose cette anthologie.
Ma première pierre angulaire pèse 3 kilos 200. Elle compte 997 pages et se nomme Encyclopédie de l’utopie, des voyages extraordinaires et de la science-fiction. Rédigée par Pierre Versins, cette encyclopédie monumentale a vu le jour en 1972 chez l’Âge d’Homme à Lausanne. Cette œuvre est l’ouvrage essentiel pour qui veut connaître l’histoire, l’évolution et les caractéristiques principales de la science-fiction, notamment d’expression francophone. L’article « Suisse », qui s’étend des pages 840 à 843, recense une belle brochette d’auteurs et d’œuvres.
Ma deuxième pierre angulaire est lourde, massive et célèbre. Elle est aussi due à Pierre Versins. C’est en faisant don à la ville d’Yverdon de toutes ses collections (livres, revues, affiches, jouets, disques) que Pierre Versins est à l’origine de la Maison d’Ailleurs, premier et unique musée-bibliothèque de science-fiction, ouvert en 1976. En plein essor de nos jours, avec l’inauguration d’une nouvelle salle entièrement consacrée à Jules Verne, la Maison d’Ailleurs est connue dans le monde entier.
Ma troisième pierre angulaire est la plus vieille, la plus cachée, la plus difficile à déterrer. Et, comme tous les objets rares, elle est infiniment précieuse…
Le 15 mai 1915, à l’Université de Lausanne, Hubert Matthey, licencié ès lettres, qui sera plus tard lecteur de français à l’Université de Bâle, publie sa thèse sous le titre Essai sur le merveilleux dans la littérature française depuis 1800 : contribution à l’étude des genres. Ce qu’elle a de remarquable ? C’est tout simplement la première thèse jamais consacrée à l’anticipation !
Il faut une quatrième pierre, n’est-ce pas, pour que la maison soit bien solide ? Eh bien quoi de mieux que cette anthologie, qui est justement la quatrième regroupant des nouvelles d’auteurs suisses romands. La quatrième, mais qui présente deux importantes particularités.
En premier lieu, c’est une anthologie historique : elle ne recense que des textes qui ont déjà été publiés, gage de qualité. En second lieu, c’est la première dont le tirage ne soit pas confidentiel et réservé à un cercle d’initiés. Pour les lecteurs amateurs de précision, voici la liste des trois autres anthologies.
1.
L’Empire du milieu : Suisse-fictions, Édition NECTAR, 1982. Regroupe onze nouvelles et quatre articles de fond.
2.
Imagine, No 63, mars 1993. Revue canadienne qui contient cinq nouvelles, deux articles et deux port-folios.
3.
Îles sur le toit du monde : une anthologie romande de science-fiction. Université de Lausanne, revue Archipel, novembre 2003, No 24. Regroupe onze nouvelles et un article.
II
UN PEU D’HISTOIRE
Historiquement, c’est au XVIIIe siècle que l’on voit apparaître les premiers auteurs de science-fiction en Suisse. Le Neuchâtelois Emmerich de Vattel (1714-1767) a publié trois recueils qui contiennent des éléments conjecturaux : Pièces diverses, avec quelques lettres de morale et d’amusement (1746) ; Poliergie, ou Mélange de littérature et de poésies (1757) ; Mélanges de littérature, de morale et de politique (1760). Grâce à un élixir inventé par un philosophe indien, le narrateur parvient à s’introduire dans l’esprit d’animaux. Puis c’est au tour du célèbre savant universel Albrecht von Haller (1708-1777) de rédiger, au milieu de sa vaste production scientifique et littéraire, trois utopies : Usong, histoire orientale (1771) ; Alfred, roi des Anglo-Saxons (1773) et Fabius et Caton, fragment de l’histoire romaine
(1774). Le plus fameux directeur des Salines de Bex (de 1758 à 1764) étudie dans ses ouvrages les avantages respectifs du pouvoir absolu, de la monarchie éclairée et du gouvernement républicain.
Le troisième précurseur vit au début du XIXe siècle. Le Genevois Rodolphe Toepffer (1799-1846) invente non seulement la b***e dessinée, mais aussi la b***e dessinée de science-fiction avec Le Docteur Festus (1830) et Voyages et Aventures du docteur Festus (1833). Dans ces albums, suite à des mésaventures, le docteur Festus gravite par deux fois autour de la Terre, tel un satellite artificiel !
L’Histoire de la prise de Berne et de l’annexion de la Suisse à l’Allemagne est le premier véritable livre de science-fiction suisse. C’est aussi une superbe supercherie littéraire. On peut lire 1921 sur la page de couverture. En réalité, cette brochure anonyme a été publiée en 1872. Elle est due à Samuel Bury, autrefois juge cantonal genevois. C’est l’histoire d’une guerre imaginaire – une uchronie – qui voit la Suisse balayée par la puissance voisine. L’Allemagne veut en effet récupérer l’argent qu’elle a prêté à la Suisse pour la construction de la ligne du Gothard. Et comme la Suisse est incapable de rembourser… C’est, bien sûr, un livre de combat, un v*****t réquisitoire contre la centralisation, contre la révision de la Constitution fédérale de 1848, qui sera repoussée par le peuple en 1872, puis acceptée en 1874 après quelques allégements.
Ce thème de la guerre imaginaire sera repris plus tard par Willy-A. Prestre. Tocsins dans la nuit (1934) est un livre dur, alarmiste, haineux, qui vise à mettre en garde la Suisse contre une possible agression des armées hitlériennes. Ou par Pierre Dudan, qui n’a pas seulement bu le café au lait au lit, mais aussi rédigé L’Écume des passions (1982), véritable pamphlet de politique-fiction de droite.
Fort heureusement il existe un antidote à ces récits déprimants qui vont de l’avertissement à la xénophobie : l’humour. C’est ainsi que Léon Bopp, dans Drôle de monde (1940), démontre par l’absurde l’absurdité de toute guerre. Hilarantes et non conformistes, ces nouvelles rappellent que la science-fiction a aussi une origine satirique, n’est-ce pas Monsieur Voltaire ? De Léon Bopp, on lira Une fable dans cette anthologie.
L’utopie, la description d’un monde meilleur, est un des courants anciens de la science-fiction. La Suisse n’est pas prodigue en la matière. Haller, bien sûr, mais aussi Charles Secrétan, qui publie en 1892 Mon utopie, nouvelles études morales et sociales. Il s’y montre particulièrement novateur en réclamant l’égalité entre l’homme et la femme, n’y voyant que des avantages. On citera aussi Tefri, pseudonyme de Thérèse Frisch, qui publiera deux utopies nommées Au Gravitor : fantaisie (1960) et Au Piladoc : fantaisie (1963), planètes sur lesquelles de jeunes héros terriens confrontent leurs idées avec des extraterrestres chrétiens.
L’anti-utopie, dite aussi contre-utopie ou encore dystopie, est la description d’un monde pire que le nôtre. La science-fiction suisse a en revanche beaucoup produit d’anti-utopies. La Suisse est une île au milieu de l’Europe qui n’aime pas voir sa tranquillité perturbée.
Voici Pierre Girard, célèbre auteur genevois, un peu oublié maintenant, qui évoque une révolution à Genève à la fin de Monsieur Stark (1943). Le philosophe Jérôme Deshusses qui, avec Sodome-ouest (1966) puis Le Grand Soir (1971), raconte la même histoire sous deux formes différentes : un jour, les citoyens se croisent les bras et décident de tout arrêter. La Vermine (1970), d’Anne Cuneo, décrit l’arrivée au pouvoir d’un gouvernement communiste provisoire en Italie suite à une révolution et la rentrée au pays de tous les immigrés italiens, plongeant la Suisse dans le chaos. Véritable manifeste anti-xénophobe, cet ouvrage revu et corrigé par l’auteur vient, par le plus grand des hasards, d’être réédité dans la même collection que ce livre-ci, tant il est vrai que la xénophobie fait encore des ravages aujourd’hui. Le chanteur Michel Bühler, avec Avril 1990 (1973), raconte à son tour une révolution en Suisse. Plus humoristique, François Bonnet et La Montagne de beurre (1979). Plus cynique, Jean-Bernard Vuillème et La Tour intérieure (1979).
Ce courant anti-utopique a produit en tout cas un excellent roman et un chef-d’œuvre. Les Panneaux (1978), de Jean-Claude Fontanet, est l’excellent roman. Le pays entier est envahi par des panneaux de topon, matériau mystérieux que l’on ne sait comment détruire, à l’instar des déchets atomiques. La vie de Joseph Clot, paisible retraité, va virer au cauchemar et le pays se transformer en camp retranché.
Le chef-d’œuvre, c’est Soft goulag (1977), d’Yves Velan. Réactualisation du mythe du paradis perdu, ce livre conte les avatars d’Ad et Ev qui ont gagné le droit de faire un enfant dans un monde surpeuplé et saturé où le gaspillage est un véritable crime. Les citoyens, tenus par leur dette, vivent en réalité dans un véritable enfer, dans un goulag mou, où même les sentiments sont abolis. Mais c’est aussi, par son écriture, une réflexion sur la littérature. Pas d’odeurs, dans Soft goulag. Toute l’histoire est racontée par un narrateur comme s’il la regardait défiler sur un écran, entrecoupée d’interruptions publicitaires. N’en déplaise à ses contradicteurs, la science-fiction produit ainsi parfois des monuments littéraires !
D’autres auteurs classifiés « littéraires » justement ont rédigé des romans que Pierre Versins qualifie de « contre-utopies étouffantes ». Des récits, issus de Kafka, qui ont pour caractéristique de rester énigmatique. Dans cette veine, on citera Jean-Michel Junod, Archipel (1970) ; Claude Delarue, La Lagune (1974) ; Jean-Marc Lovay, Les Régions céréalières (1976) ; ou Maurice Schneuwly, L’Épopée de Soxana (1980).
Revenons à l’uchronie. Car l’une des plus fameuses histoires parallèles de la science-fiction mondiale est due à la plume de Léon Bopp, quantitativement l’auteur suisse qui a le plus produit de pages d’anticipation. Son livre, Liaisons du monde (1938-1944), est unique en son genre.
L’histoire commence en 1929 et, jusqu’à la page 110, Léon Bopp se fait le chroniqueur de son temps et ne semble pas avoir eu l’idée d’écrire une uchronie. Au bas de la page 110, on trouve cette note : « Après avoir esquissé, jusqu’ici, l’état du monde et de la France d’une manière assez conforme à la “ réalité ” ou à la “ vérité ” de l’histoire, nous allons faire, de plus en plus grande, dans notre récit, la part de la fiction. Mais nous voulions que cette fiction s’insère dans un cadre à peu près historique. »
N’importe quel écrivain voulant rapporter l’histoire de son temps, voyant que cette histoire était en train de s’accélérer – nous sommes en 1935 – pour partir dans une direction abominable, se serait fait historien ou se serait arrêté. Mais pas Léon Bopp. Il continue, de 1935 à 1944, à rédiger une histoire parallèle à celle qui se déroule dans la réalité. C’est certainement la seule uchronie au monde à avoir été écrite en même temps que l’époque qu’elle décrit !
La première édition, en partie censurée, compte 1947 pages en quatre volumes. La seconde, 1173 pages sur deux colonnes (1949). Léon Bopp a entrepris de rédiger le roman cosmique, mettant en scène des milliers de personnages, où interviennent aussi bien les hommes que les animaux, les végétaux, les microbes, etc. Catalogue d’inventivité, fourmillant d’idées neuves ou folles, Léon Bopp pousse chaque élément jusqu’à la démesure, montrant que toute action entraîne une infinité de réactions dont certaines sont imprévisibles. Le roman de la démesure.
L’autre auteur majeur de la science-fiction helvétique est Noëlle Roger, qui figure aussi dans cette anthologie et dont on trouvera plus de détail sous la notice qui lui est consacrée à la fin du volume.
Autre auteur prolifique, Jules Pittard, qui sous le pseudonyme de Charles de l’Andelyn a publié six romans de science-fiction. Son premier roman, Les Derniers Jours du monde (1931), est probablement le meilleur. Elle n’est certes pas dénuée d’une grandeur tragique, cette histoire d’amour entre le dernier homme et la dernière femme d’une humanité éradiquée de la Terre par le froid. Le reste de l’œuvre de l’Andelyn est à citer, sans plus, tant la psychologie des personnages y est faible et les péripéties invraisemblables. La Prodigieuse Découverte de Georges Lefranc (1935), c’est l’immortalité. Nara le conquérant (1936), un roman préhistorique. Entre la vie et le rêve (1943), au titre suffisamment explicite. « Quant au Voyage à la lune et au-delà (1959) et Il ne faut pas badiner avec le temps (1964), ils font montre d’une méconnaissance totale de ce qui a pu se passer au point de vue scientifique depuis le temps où Héraclite jouait aux billes. » Le jugement de Pierre Versins est sans appel.
Qu’en est-il des voyages dans l’espace ? Les auteurs de science-fiction suisses sont-ils de joyeux conquérants qui repoussent de plus en plus loin les limites de l’univers connu ? Les fans de « Star Wars » vont être déçus.
En effet, en matière de voyage dans l’espace, les auteurs de science-fiction suisses sont particulièrement frileux. Ils se contentent, tout au plus, d’une virée en banlieue. Gine Victor clame, Je suis allé dans la Lune (1969). Son récit décrit une fusée qui tourne trois fois autour de la Lune pour prendre des photos. Bien. Faut-il rappeler que, la même année, un certain Neil Armstrong… Roque Da Silva se rend Sur la planète Mars (1919), qui est « habitée par des hommes qui me ressemblaient comme des frères et qui parlaient la même langue que moi ». Bien pratique. Alfred Chapuis joue sur les mots avec L’Homme dans la Lune (1929), dans lequel une femme rusée fait revenir à elle son mari volage en lui faisant croire qu’il se trouve sur notre satellite. L’auteur de science-fiction suisse n’est pas un conquérant galactique.
Mais il y a des exceptions. Et de fort belles ! En premier lieu Anthéa ou l’étrange planète (1923), de Michel Epuy, qui figure dans cette anthologie. Une petite merveille en son genre. Blaise Cendrars conte aussi les péripéties d’un voyage spatial avec L’Eubage (1926), sorte de science-fiction poétique, en étroite relation avec les signes du zodiaque. Enfin Jean Hercourt, poète genevois, et son vertigineux récit Astrolabe (1949), longue poésie en prose qui conte le voyage à travers les espaces sidéraux d’un homme volant engoncé dans un scaphandre autonome, vaisseau-mère et nourricier. Astrolabe voyage dans l’infiniment grand en compagnie des nébuleuses galactiques et il évoque la grandeur de l’univers, la petitesse de l’homme, la beauté de la création en un puissant délire d’imagination.
Et le voyage dans le temps, alors ? Il y a bien Jean-Claude Froehlich, qui écrit pour la jeunesse des récits préhistoriques comme Voyage au pays de la pierre ancienne (1962) ou Naufrage dans le temps (1965) et La Horde de Gor (1967). L’illustre savant Auguste Piccard s’y est aussi essayé, avec une nouvelle intitulée César, Cléopâtre et Einstein (1957), dans laquelle il joue avec la théorie de la relativité. C’est à peu près tout. En Suisse, le temps, on le mesure avec des montres ; c’est du sérieux, on ne joue pas avec.
Une exception, cependant : les mondes perdus. Il en existe un certain nombre, dont les meilleurs sont peut-être La Vallée perdue (1940) et Le Soleil enseveli (1928) de Noëlle Roger. Dans ce registre, on peut citer aussi le premier roman de Jacques Chenevière, L’Île déserte (1917). Résolument conjectural à ses débuts, Jacques Chenevière consacre son deuxième roman, Jouvence ou la chimère (1922), à l’immortalité.
Le problème de la mort, qui préoccupe tant les philosophes depuis l’aube de l’humanité, interpelle aussi les écrivains. Édouard Rod décrit par le détail L’Autopsie du docteur Z*** (1884) dans le récit qui ouvre ce recueil. Roger Farney raconte l’étrange destin d’un homme qui vit deux fois dans La Double Formule (1931). Noëlle Roger rapporte les tourments du Nouveau Lazarre (1933). Maurice Sandoz parle d’un homme à l’étrange longévité dans Le Labyrinthe (1941).
Et les robots, androïdes, clones et autres machines copiant l’être humain ? Ces thèmes intéressent-ils les auteurs de science-fiction suisses ? Pas vraiment. Des androïdes, peut-être ? Comme La Créature
(1984), d’Étienne Barilier, dont on ignore la vraie nature à la fin. Ou le héros de L’Étalon-or (1984), de Daniel Wehrli, seul roman de science-fiction érotique helvétique, dans lequel le héros a la fâcheuse, et lucrative faculté, de transformer ses partenaires lors du c**t en statues d’or.
Alors, il se cache où, le thème favori de nos défricheurs d’imaginaire ?
Nous avons déjà constaté le succès de l’anti-utopie. Dans la même ligne, ce sont les récits catastrophes qui ont la préférence des auteurs de science-fiction suisses : fins du monde, hécatombes cosmiques, cataclysmes naturels et autres accidents atomiques.
Tout commence avec un chef-d’œuvre d’humour, qui n’a jamais été publié en volume. C’est dans deux livraisons successives de la Bibliothèque populaire de la Suisse romande que paraît, en septembre et octobre 1882, l’Histoire de la fin du monde ou la comète de 1904. Personne n’a encore découvert le véritable patronyme de son auteur, dissimulé sous le pseudonyme de Verniculus (hommage appuyé à Jules Verne qui intervient d’ailleurs en tant que personnage dans le récit). Dans ce roman, une comète va croiser la trajectoire de la Terre. Entièrement composée d’hydrogène carboné, autrement dit de grisou, il faudra éviter toute flamme sur la planète pendant quatre jours, sinon la Terre explosera. Pas facile de tenir la gageure, surtout lorsque des nihilistes russes ont décidé de tout faire péter ! Merveilleuse satire politique, chargée de clins d’œil et d’humour léger, l’Histoire de la fin du monde ou la comète de 1904 est une franche réussite. Blaise Cendrars a rédigé un scénario de film, La Fin du monde filmée par l’Ange N.D. (1916), interprétation surréaliste du Jugement Dernier. Charles Ferdinand Ramuz à son tour décrit l’Apocalypse. Présence de la mort (1922) raconte par le menu la fin du monde sur les bords du Léman. La Terre est en train de tomber dans le soleil ; la chaleur augmente sans cesse ; la société perd de plus en plus sa cohésion, on pille les banques à Lausanne, on se livre à des orgies, on m******e les gens de passage. Le Léman et ses alentours, refuge des vraies valeurs, ont souvent permis à Ramuz de montrer le caractère privilégié de ce lieu, sa capacité à atteindre l’universel. Même dans la fin de tout. Noëlle Roger raconte Le Nouveau Déluge (1922), dans lequel il y a quelques survivants et où le bien triomphera du mal. Nous avons déjà rencontré Charles de l’Andelyn avec Les Derniers Jours du monde (1931). Odette Renaud-Vernet passe aussi par là. Sa nouvelle Ce jour-là, publiée dans Xannt : contes fantastiques (1979), est si originale qu’elle méritait bien de figurer dans ce recueil.
La fin du monde n’est pas toujours due à des causes extérieures. Une de nos grandes craintes, c’est qu’elle provienne de la main de l’homme lui-même.
Charles-Albert Reichen nous promet que La fin du monde est pour demain… (1949), dans un curieux ouvrage qui mélange des chapitres de science et d’autres de fiction. Claude Pearson, pseudonyme de Jean Denoréaz, a écrit un livre étonnant sur le péril atomique, La Mort atomique
(1947). Véritable réquisitoire contre les dangers de la science atomique, ce livre apparaît aujourd’hui comme étrangement prophétique avec une description des effets d’une bombe à neutrons, bien avant que cette arme soit inventée. La science-fiction, parfois, peut se révéler prémonitoire. Comme Verniculus en 1882, dans l’ouvrage déjà cité, qui prévoit le téléphone dans tous les ménages et le développement économique du Japon !
Et après la fin du monde ? Il arrive en effet que quelques êtres survivent. Comme chez Eugène Pénard, dans Le Déluge de feu (1912). Edmond Pidoux, dans Une île nommée Newbegin (1977), sauve d’une guerre nucléaire quelques passagers d’un avion pour leur faire tout recommencer. Les vieux essayent bien d’inculquer leur savoir aux jeunes, mais ceux-ci n’écoutent pas… Les primitifs du futur de La Chronique, nouvelle de Jacques-Michel Pittier, in La Corde raide (1980), jouent malencontreusement avec des déchets radioactifs…
Depuis sa création, la Maison d’Ailleurs a focalisé autour d’elle les amateurs de science-fiction. Un certain nombre d’écrivains se sont retrouvés au sein de l’Association des amis de la Maison d’Ailleurs (AMDA). Parmi ceux-ci on peut citer François Rouiller, Georges Panchard, Wildy Petoud, Pascal Ducommun et l’auteur de ces lignes.