Beverly
J'étais assise dans un bar avec Virginie, et nous attendions Frédéric, son copain.
- Il est là, me chuchota Virginie en m’indiquant un homme de grande taille qui franchissait le seuil du local.
Virginia leva la main pour lui signifier notre présence. Ce dernier plissa brièvement les yeux en s'approchant de nous.
- Bonjour chéri, lança Virginie en se levant pour échanger une bise avec lui.
Il se tourna vers moi, m'observa un bref moment et me tendit la main. Mon cœur manqua un battement quand mon regard se posa sur sa main suspendue. Une alliance ornait son annulaire, scintillant de mille feux, comme pour affirmer sa présence.
Sa main resta suspendue pendant que je tournais un regard chargé d'incompréhension vers Virginie. Je m'aperçus qu'elle avait les yeux fixés sur la main de son copain. Elle releva enfin la tête et me lança un regard plein d'embarras.
- Veuillez nous excuser un moment, dis-je rudement en saisissant fermement ma sœur par le coude.
Elle me suivit sans brocher jusqu'à l'extérieur.
- Virginie, Frédéric est-il marié ? demandai-je d'une voix stupéfaite.
Virginie baissa la tête sans répondre.
- Je t'ai posé une question madame ! m'exclamai-je d'une voix altérée.
Virginie releva enfin la tête et me regarda d'un air féroce.
- Oui, il est marié, répondit-elle enfin.
Je posai immédiatement mes mains sur ma tête, submergée par le désespoir.
- Virginie, que fais-tu avec un homme marié, à ton jeune-âge, en plus !
- Beverly, c'est arrivé ! répondit-elle d'une voix très calme. Je ne savais pas au départ qu'il était marié. Lorsque je l'ai découvert, il était déjà trop tard...
Je la regardais comme si elle débarquait d'une autre planète.
- Trop tard pour quoi exactement Virginie ? Tu veux me faire croire que tu l'aimes peut-être ?
- Mais c'est le cas, s'exclama Virginie d'une voix impétueuse.
- Ne me fait pas rire, s'il te plaît, répliquai-je d'une voix désabusée. Tu penses que je ne vois pas clair dans ton jeu ? Tu crois vraiment que je suis assez sotte pour ne pas comprendre tes réelles intentions ?
Virginie croisa simplement les bras sur sa poitrine et me regarda d'un air fermé.
- Que faisons-nous ? demanda-t-elle en lançant un regard vers la table sur laquelle était installé Frederic.
Je ne savais que répondre. Je n'avais absolument aucune intention de m'installer à table avec ce malotru. Je soupirai longuement, l'esprit en ébullition.
Connaissant Virginie, elle ne mettra pas facilement un terme à cette relation, et l'abandonner maintenant équivaudrait simplement à la laisser à la merci totale de cet homme.
Toute petite, Virginie avait toujours eu un comportement intéressé. Si nous recevions la visite d'un membre de la famille habitué à nous donner un peu d'argent à son départ, Virginie se montrait très aimable, disponible, et s'arrangeait pour être vue sous son meilleur jour. Par contre, si un oncle avare venait, elle restait carrément enfermée dans la chambre jusqu'au départ de ce dernier, ne prenant même pas la peine de sortir le saluer.
- Vas-y, je te rejoins tout à l'heure. Je fais un saut rapide aux toilettes, dis-je finalement.
- D'accord, répondit-elle simplement en retournant dans le restaurant.
Je rentrai à mon tour dans le restaurant et cherchai des yeux une porte indiquant les toilettes. Je la repérai finalement, à quelques mètres de la table sur laquelle nous étions installés.
Au fond, je n'avais aucun besoin pressant. J'avais simplement besoin de prendre quelques instants pour souffler et surtout, décider de la conduite à tenir.
J'entrai dans les toilettes et m'arrêtai devant un miroir, fixant mon reflet. Était-il possible que je sois aussi différente de ma sœur ?
J'y suis restée un petit moment avant de me décider à en sortir. Je poussai la porte et étais sur le point d'entrer dans la salle quand la voix altérée de Virginie me fit m'arrêter brusquement.
- Je t'avais pourtant demandé d’ôter ton alliance ! s'exclama-t-elle d'une voix furieuse.
- Virginie, cela ne t'a jamais posé de problème. Je ne cache pas le fait que je sois marié, et il serait préférable que ta sœur le sache dès maintenant plutôt qu'elle ne le découvre plus tard.
- C'était à moi de lui faire savoir, riposta sèchement Virginie...
Je comprenais mieux pourquoi elle avait mis autant de temps à organiser cette rencontre. Elle m’avait semblé très réceptive quand nous en avions parlé, mais par la suite, j’avais dû insister à maintes reprises pour que nous puissions nous rencontrer. Cela avait certainement été dû au fait qu’elle essayait de le convaincre de se présenter sans alliance. Il avait certainement accepté, mais n’en avait fait qu’à sa tête en fin de compte.
Je fis quelques pas en arrière et décidai de faire remarquer ma présence en marchant de manière un peu bruyante.
Je les rejoignis ensuite à la table et m'y installai.
- Bonsoir, dis-je froidement en prenant place.
- Euh... euh... Frédéric, je te présente ma sœur Beverly, Beverly, Frédéric, dit mollement Virginie.
- Bonsoir Beverly, enchanté, lança Frédéric d'une voix calme.
Un lourd silence s'installa un long moment à notre table.
- Euh... en fait, je suis assez embarrassée, je vous avoue. Je découvre à l'instant que vous êtes un homme marié...
- Je vois. Je ne l'ai jamais caché à Virginie et cela n'a jamais semblé l'embarrasser.
Je tournai brusquement la tête vers Virginie et cette dernière baissa brusquement la sienne. Je ne savais sincèrement que dire. Lui demander ses intentions ? Quelles intentions pouvaient avoir un homme marié envers une jeune-fille comme elle ? Lui demander de la traiter avec respect ? Si elle-même à la base, ne se respectait pas...
On resta un autre moment en silence. Je pense qu'au fond, il valait mieux mettre un terme à cette mascarade. Cette rencontre n'avait plus lieu d'être.
- Hum... nous allons devoir y aller, dis-je en tournant un regard sévère vers Virginie.
- D'accord, répondit simplement Frédéric.
Je me levai donc et Virginie en fit de même.
- Euh... on se parle plus tard, balbutia-t-elle à l'endroit de Frédéric avant de me suivre.
- Au revoir Frédéric, lançai-je en m'éloignant.
J'étais meurtrie de découvrir jusqu'où ma sœur pouvait aller. Quel problème avait-elle pour accepter une relation avec un homme marié ? Je réalisais alors que je me tuais à la tâche pour leur garantir le minimum… pour rien, en fin de compte.
Je secouai vivement la tête pour éloigner ces pensées obscures de mon esprit. Je devais bosser d'ici une heure et il me fallait être concentrée pour accomplir ma tâche au mieux. Travailler dans un bar pour une jeune-fille comme moi était vraiment une entreprise de titan.
Debout en bordure de route, nous attendions un taxi. Virginie rentrerait à la maison, tandis que moi, je devais rejoindre mon lieu de service.
- Euh... Beverly, je voulais... commença Virginie d'une petite voix.
- On en parlera ce soir à la maison, la coupai-je sèchement.
Un taxi s’arrêta devant nous et je lui donnai l'adresse de la maison. Il fit un coup de klaxon pour nous donner son accord et Virginie y monta prestement. Après quelques minutes d'attente, je trouvai enfin un taxi qui me conduirait au boulot.