Chapitre 4

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venait beaucoup chez les Malhoure : c’était d’abord un centre de réunion pour les anciens élèves du grand professeur, séparés par la vie ; on y intriguait aussi derrière les portes avec des personnages importants de l’Académie des Sciences ; enfin on s’y amusait, à cause de la jeunesse des trois demoiselles et de la bonhomie du père, dont l’aspect, légendaire à l’École, était à lui seul un élément de gaieté. Il était énorme et court, avec des yeux perdus derrière des lunettes bleues, un collier de barbe d’un blanc verdâtre, des habits d’une coupe extraordinaire et un dodelinement continuel de la tête. Ainsi bâti, le vieil homme avait été jadis, prétendait-on, un vert-galant, un chaud-de-la-pince, disaient les élèves en bouffonnant. A vingtdeux ans il avait découvert un théorème qui portait son nom, et multiplié depuis lors les mémoires après les mémoires. Quand, fatigué de quatorze heures de travail, il sortait, le soir, il lui arrivait de suivre les jeunes ouvrières du quartier de l’Observatoire où il habitait alors. Il accumulait, pour les séduire, les offres engageantes ; mais il était si laid, si laid, qu’elles lui riaient au nez, impudemment ; le savant regardait autour de lui pour s’assurer qu’on ne l’entendait pas, et, comme suprême argument, il murmurait : « Je suis Malhoure, l’auteur du théorème… » Avec le mariage, il était devenu un peu dévot, mais il était resté très gai, surtout quand il avait trouvé dans la journée quelque formule bien élégante. C’était sans doute le cas, ce soir-là, car il se tenait sur le pas de la porte, recevant les invités avec son plus cordial sourire, quoiqu’il ne reconnût pas une personne sur dix ; il n’avait aucune mémoire des visages. Auprès de lui bougonnait son ami intime, le professeur Moreau, un maigre et long calculateur, pessimiste autant que le père Malhoure était optimiste. Au moment où Mme Chazel arrivait sur le palier, et tandis qu'elle laissait sa fourrure aux mains du domestique, les deux savants parlaient d’une dame qui venait de passer, aussi outrageusement décolletée que flétrie, et le père Malhoure disait à son ami : « La géométrie ne vieillit pas, elle… Le carré de l’hypoténuse est toujours jeune… » — « Quant à moi, » répondit Moreau, » je vois bien si une femme est borgne ou bossue, si elle marche droit ou si elle boite. Mais la différence qu’il y a entre la laideur et la beauté, je n’ai jamais pu m’en faire une idée… » Le piano jouait un quadrille, le brouhaha du bal remplissait l’appartement, Malhoure serrait les deux mains à Chazel qu’il prenait pour un autre, en l’appelant : « Mon cher, mon très cher Arthur… » Hélène regardait les savants, dont elle venait de surprendre l’entretien, avec une étrange envie. Ceux-là du moins ne connaîtraient jamais cette torture continue et fixe qui rend incapable d’une pensée étrangère, d’une étude, d’une lecture, d’une conversation ! — Mais déjà elle était aux mains de Mme Malhoure et de ses trois filles, quatre personnes aussi déraisonnables les unes que les autres, et dont l’unique affaire était de se divertir. La mère était costumée en Catherine de Médicis, et les trois filles en bohémienne, en laitière et en paysanne cauchoise. Ces costumes sentaient le travail fait à la maison d'après des gravures de journaux illustrés, avec des étoffes de hasard, et il en était de même des toilettes portées par les amies de ces dames. Les hommes, de leur côté, semblaient gênés dans l’habit noir. Plusieurs avaient la mine de gens qui devront se lever le lendemain matin de bonne heure, et qui supputent que chaque appel du piano leur enlève un peu de leur sommeil. Les propos qui volaient dans l’atmosphère chaude étonnaient par le contraste. Des bouts de phrases frivoles alternaient avec des bouts de conversations à idées : « Ne me parlez pas de ces nouvelles théories sur l'espace à plus de trois dimensions… — Mademoiselle, avez-vous beaucoup dansé cet hiver ?… — Ah ! le génie de Cauchy, sa puissance d’analyse !… — Maman, est-ce que tu me permettras de rester pour le cotillon ?… » Alfred Chazel était tombé sur un de ses anciens camarades et il lui communiquait un projet caressé depuis longtemps, d’une algèbre nouvelle, celle de l’ordre, — et Hélène, assaillie par les effusions des dames Malhoure, se disait que ce n’était guère la peine de s’être mise en frais de toilette. Grâce à l’éducation donnée par sa belle-mère et aussi à ses causeries avec M. de Querne, elle avait acquis des idées assez exactes sur la société. Elle comprenait la différence qui sépare les réunions véritablement mondaines, de ces carnavals de la bourgeoisie tels que celui où elle se trouvait. Néanmoins, comme elle était délicieuse dans son costume bleu pâle et rose clair, comme elle lisait le triomphe de sa beauté dans le regard envieux de plusieurs femmes et dans le regard admiratif des hommes, elle s’abandonna de parti-pris à cette sensation du succès, si grisante pour l’amour-propre féminin, même lorsque c’est un succès qu’on méprise ; et elle se mit à danser toutes les danses, afin d’user par l'activité physique la torture intérieure, et elle s’interrompait seulement pour aller jusqu’au buffet boire deux doigts de champagne. Ce vin lui mettait un peu de mousse légère et pétillante dans sa tête, si fatiguée d’avoir trop pensé. Elle était ainsi debout auprès de la table du buffet, s’éventant d’une main et tenant de l’autre la coupe où blondissaient les dernières gouttes de cette boisson dont elle aimait le vague énervement ; son cavalier, un jeune homme insignifiant et assez correct, tout fier de l’avoir promenée à son bras, essayait de causer ; il lui parlait de la pièce nouvelle, une comédie bourgeoise, dont M. de Querne s’était cruellement moqué un soir, et Hélène répondait en vantant cette œuvre qu’elle avait trouvée jadis détestable sur la foi de son amant. Elle se voyait, rien qu’au nom des acteurs et au titre de la pièce, dans une loge auprès de lui, et une flamme courait dans son sang, lorsqu’elle entendit soudain auprès d’elle une voix qui mit le comble à son émotion… cette voix ?… — mais c’était celle de M. de Varades, de l’homme qui avait exercé une si fatale influence sur la destinée de son amour, la voix de celui dont Armand lui avait jeté le nom au visage, comme une insulte, dans leur explication de rupture. Par quel mystère cruel du sort l’officier se trouvait-il là, presque à deux pas d’elle, qui causait sans paraître la voir ? Si elle avait pu réfléchir une minute, elle aurait jugé la présence de cet ancien élève du père Malhoure aussi naturelle que la sienne propre. N’était-elle pas à ce bal comme la femme d’un ancien condisciple de Varades ? Elle aurait songé aussi que, vivant depuis des mois et des mois à l’écart du monde de son mari, elle ignorait les mutations des camarades d’Alfred. Mais dans l’état de surexcitation morbide où elle se trouvait, cette rencontre soudaine la frappa d’une sorte de stupeur presque épouvantée, qui céda aussitôt la place à un nouveau passage de sa douleur intime, de cette affolante douleur qui lui donnait envie de crier à l’injustice comme on crie : « Au feu ! » et : « Au meurtre ! » Sans plus faire attention à ce que lui disait son cavalier, elle regardait Varades avec une curiosité dévorante, comme si elle ne l’eût pas connu depuis des années. C'était un joli garçon, à la taille mince et tout en muscles. L’opposition de couleur entre ses cheveux devenus presque blancs et sa moustache demeurée très noire, donnait à sa tète fine une physionomie singulière. Un front bas, un nez busqué, des yeux un peu trop petits et rapprochés, l’éclat d’un regard où se lisaient à la fois la bravoure et l’effronterie, rappelaient vaguement dans ce visage le profil de l’oiseau de proie. Les raideurs d'uniforme que prenait sur cet officier l'habit de soirée, porté militairement, achevaient d'en faire, dans cette assemblée où prédominait la race fatiguée des hommes d’étude et de bureau, quelqu'un à part et qu’il fallait remarquer. Depuis l’audacieuse tentative de Bourges, Hélène n’avait jamais vu cet inquiétant personnage venir vers elle sans ressentir un obscur malaise, tant elle devinait en lui un ennemi capable de tout. Maintenant elle aurait voulu, au contraire, que cet homme s’approchât d'elle, qu’il lui fît la cour comme autrefois. — Oui, qu’il lui fît la cour, et elle ne serait pas, comme autrefois, naïve et niaise. La malheureuse, l’insensée, elle allait jusqu’à regretter sa conduite d’alors ! Elle avait été une femme loyale, à quoi cela lui avait-il servi ? A en arriver à cette heure où il ne lui restait plus rien au monde qu’une inguérissable plaie, là, dans la partie la plus sensible de son cœur. Elle but quelques gouttes de champagne encore, pour s’étourdir, et Varades, qu’elle ne quittait pas des yeux, se tourna de son côté. La voyait-il pour la première fois ou bien avait-il affecté de ne point la remarquer ? Il s’inclina et vint la saluer avec cette expression à la fois ironique, respectueuse et glacée par laquelle il l’abordait à Bourges, et au lieu d’y répondre, comme alors, par une froideur égale, elle eut un éclair dans les yeux, un sourire sur la bouche ; elle lui tendit la main, et, tout de suite, après les premières formules de politesse : — « Vous êtes de passage à Paris? » demanda-t-elle. — « Non, madame, à demeure, » réponditil, « voilà quatre mois que j'ai été nommé professeur à l’École de guerre. » — « Quatre mois, et vous n’êtes pas venu nous voir ? » fit-elle sur un ton coquet de reproche. — « Mais j’ai eu de vos nouvelles… » répliqua le jeune homme, et en lui-même : « Comme Paris l’a changée !… » Il la détestait profondément,d’abord parce qu’elle lui avait infligé une blessure d’amour-propre, et puis à cause de l’infamie dont il s’était rendu coupable envers elle. Il s’était vanté d’avoir été son amant, avec détails à l’appui, et ce n’était pas vrai, et il ne lui pardonnait pas, à elle, le tort irréparable qu’il lui avait fait. Ah ! si cette calomnie-là était comme les autres qui se formulent tout haut et qu’on peut étreindre ! Mais non, elle court d’oreille à oreille et de bouche en bouche, jusqu’à ce qu’elle arrive à un homme qui eût aimé cette femme, et dont le cœur s’arrête, soudain paralysé par cette atroce incertitude : « At-elle cela dans son passé ?… » Le jeune officier, il faut le dire à sa louange, n’y avait pas vu si loin. Il avait cédé à la hideuse rancune de la vanité masculine, et ce fut encore cette vanité qui, devant l’accueil inattendu d’Hélène, lui fit prononcer tout bas un « Tiens ?… » interrogatif, et recommencer aussitôt la comédie d'amour jouée autrefois. Une valse résonnait, celle de Faust, car la seconde des demoiselles Malhoure était au piano, et celle-là, l’artiste de la famille, aimait que l’on dansât sur des motifs de maîtres, tandis que l’aînée et la dernière, qui se piquaient d’être des Parisiennes renforcées, raffolaient de la musique canaille, des airs d’opérettes et de cafés-concerts. — « Me ferez-vous l’honneur, madame, de m’accorder cette valse ? » demanda Varades à Hélène. — « Étais-je ou n’étais-je pas engagée ? » dit celle-ci. « Tant pis !… Je vous rends votre liberté, » ajouta-t-elle en s’adressant au jeune homme qui l’avait accompagnée au buffet, mais qui, par timidité, n’osa rappeler la promesse qu’elle lui avait faite de danser avec lui, et déjà elle tournait dans le grand salon, entre les bras de Varades. Elle tournait, plus jolie encore avec le rose de la fièvre qui lui colorait les joues et leur donnait une nuance pareille à celle de ses bas, de sa jupe et de son corsage. Les deux mouches du coin de sa joue, ses yeux noirs et ses cheveux poudrés la revêtaient d’une grâce souveraine qui remuait dans le cœur du jeune homme, et à côté de l’amour-propre, d'anciens désirs. Il lui parlait tout en dansant. Elle l’écoutait, contraste étrange, avec l’image d’Armand devant sa pensée. « S’il me voyait, » se disaitelle, « il n’aurait plus de doutes, il triompherait… Hé bien ! qu’est-ce que cela me fait ?… » Cette singulière soif d'agir exactement à rebours de son être intime, qui, léger et superficiel, se nomme le dépit, s’exaltait dans cette âme malade jusqu’à l’égarement, et elle écoutait avec un sourire de complaisance les discours que lui tenait Varades. Ce dernier, assez habile pour deviner qu’il se passait quelque chose d’extraordinaire dans l’esprit de Mme Chazel, et trop désireux d’une revanche pour ne pas profiter de l’occasion, d’où qu’elle vînt, s’était remis à lui parler de ses sentiments. Il lui peignait en termes passionnés son désespoir à Bourges quand il lui avait déplu, ses vains efforts pour se consoler, et qu’il n’avait pas voulu se marier à cause d’elle ; il lui laissait entendre qu’elle était la seule femme qu'il eût aimée, et qu’il avait demandé une nomination à Paris uniquement pour la retrouver. Jamais il n’avait osé lui en dire autant à l’époque de leurs premières relations, et avant son assaut brutal. Mais à tous ces mensonges, pris et repris durant cette première valse, puis dans les contredanses qui suivirent et dans les repos du cotillon qu'ils dansèrent ensemble, elle répondait par ces petites interjections de doute qui encouragent aux aveux. Elle avait comme un délire de coquetterie ; elle appliquait à ce flirt d’une soirée la fièvre qui la dévorait. Aussi, quelques heures plus tard, l’officier, revenu dans le petit logement qu’il habitait rue Saint-Dominique, — une suite de chambres dont deux seulement étaient meublées, et les autres remplies d’uniformes, d’armes et de grandes bottes, — se jurait, en se déshabillant, de mener cette affaire tambour battant. De son grand-père, qui avait servi sous l’Empereur, Varades tenait cette maxime, qu’il faut toujours tout oser avec les femmes, dans toutes les circonstances. Aussi, quand il posa sa tête sur son oreiller avant de s’endormir, sa résolution étaitelle prise d’essayer d'avoir Mme Chazel n’importe où, fût-ce sur le canapé de son salon, au risque de l’entrée d’un domestique. — « Et cette fois elle n’échappera pas !… Elle est toujours à la maison, m’a-t-elle dit, de deux heures à quatre. — A demain, » ajouta-t-il, et il ferma ses yeux sur ce doux espoir de réparer l’ancien outrage. Oh ! la pauvre, la pauvre Hélène, tandis que cet homme, au-devant de l’audace duquel la folie de l’injustice subie l’avait jetée, s’endormait sur ce dangereux projet, elle veillait, elle, en proie à ces souvenirs dont chacun la précipitait vers quelque action de démence. Son mari avait eu la malheureuse idée de lui dire, en rentrant rue de La Rochefoucauld, au sortir de la soirée des Malhoure : — « Je croyais que Varades t’était si antipathique, et tu n’as guère dansé qu’avec lui… » — « Est-ce que tu en es jaloux ? » avait-elle demandé brusquement. — « Non, » avait-il répondu, « mais comment peut-on changer ainsi d’humeur envers les personnes ? » — « Je suis comme il me plaît d’être… » avait-elle répliqué. On lui aurait défendu de se jeter à l’eau, à cette seconde-là, que, par rage de contradiction et pour soulager ses nerfs, elle aurait couru à la Seine. Rentrée dans sa chambre, elle se sentit si malheureuse qu’elle ne se déshabilla même pas. Jusqu’au matin, elle se promena, vêtue de son costume de bal, et le vin de Champagne qu’elle avait bu, l’étourdissement de la fête, le fonds de désespoir sur lequel son âme vivait depuis tant d’heures, tout se réunissait pour confondre sa raison. « Oui, » se disait-elle à de certaines minutes, « c’est celui-là qu’il faut prendre, et non pas un autre… pour le moment, » ajoutait-elle avec cette outrance dans l’imagination du mal qui soulage un peu le cœur durant les minutes noires, « et quand je l’aurai fait, quand je serai bien bas, dans la boue, alors j’oublierai peut-être, et puis ce sera fini, fini, fini… » Et quand son âme reculait devant l’aberration de ce monstrueux projet, afin de reprendre goût à cette honte vers laquelle l’entraînait un vertige, elle se représentait Armand, elle le voyait avec ses yeux, son sourire, elle entendait sa voix : « Est-ce que vous croyez que je ne connais pas votre vie ?… » — « Ah! » faisait-elle alors, comme une bête blessée qui jette un cri, et elle s’étendait sur son lit avec ce tournoiement sous son front malade, qu’elle ne pouvait pas supporter. Elle eut, au matin, une heure d'un lourd sommeil, traversé de cauchemars. Vers neuf heures, elle se leva et dut vaquer aux soins de la maison, comme elle faisait, paresseusement et son âme errante ailleurs. Une extrême fatigue l’avait envahie et comme une mollesse d’agonie. Après le déjeuner elle remonta dans sa chambre, et, malgré elle, ses mains ouvrirent le coffret qui contenait les lettres d’Armand. Il n’y en avait pas quinze, elle les compta, et les plus longues étaient de deux pages. Elle les relut, comme cela lui arrivait presque chaque jour, et leur sécheresse lui apparut, pire encore que les autres fois. Toutes les phrases de ces billets pouvaient être citées sans compromettre celle à qui les billets étaient adressés ; pas une donc qui eût été tracée dans un moment d’abandon et pour déverser un trop-plein du cœur. Elle avait cru jadis qu’il lui écrivait ainsi par respect de son repos, et elle lui en avait été reconnaissante. — Naïve, naïve ! il lui écrivait ainsi parce qu’il ne l’aimait point, parce qu’il ne l’avait jamais aimée ; et pourquoi l’eûtil aimée, la jugeant comme il faisait ? A ses yeux, qu’était-elle ? Une femme comme toutes les autres ! De quoi ne la croyait-il pas capable ? Peut-être de se servir de ses lettres contre lui ?… Son âme saignait de nouveau à toutes ses places. Ah ! Comment guérir ? Comment guérir ?… et comme elle se posait cette question pour la centième fois, le domestique entra, lui demandant si elle voulait recevoir M. de Varades. L'officier s’était tenu parole et n’avait pas tardé d’un jour à profiter de la permission qu’elle lui avait donnée de la venir voir. — « Faites entrer au salon, » dit-elle ; brusquement le souvenir de l’injustice d’Armand se réveilla plus aigu, et la crise de douleur qu’elle venait de traverser aboutit à un de ces passages de fureur où elle ne savait réellement plus ce qu’elle faisait. Elle alla dans son cabinet de toilette. Avec un peu d’eau, elle effaça la trace de ses larmes, car, dans les moments où elle reprenait un par un les détails de sa misère, elle pleurait sans presque s’en apercevoir, et, comme aliénée à force de chagrin, elle descendit dans le petit salon. — « Que c’est gentil à vous d’être venu me tenir compagnie ! » dit-elle en tendant la main au jeune homme. Volontairement, elle le fit asseoir dans le fauteuil en face d’elle, celui où s’asseyait d’ordinaire M. de Querne. Lui avaitil assez menti à cette place ! L’avait-il assez méconnue ! Il lui semblait qu’elle s’en vengeait, à cette minute, par cette profanation de leurs communs souvenirs. Elle prit place elle-même sur la chaise longue posée obliquement contre la cheminée où brûlait un reste de feu. Elle regardait Varades avec des yeux qui ne le voyaient pas, mais lui, tout en commençant de causer, l’observait, avec beaucoup d’attention. L’égarement évident qu’elle montrait, la rapidité presque incohérente de ses paroles, le je ne sais quoi d’énervé qui se manifestait par ses rires, ses gestes, ses mouvements de tête, tout dénonçait une femme à moitié hors d’elle-même.
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