1Mone avait fait de son appartement une bonbonnière dont Norbert Simon se moquait gentiment, mais dans laquelle il adorait se prélasser. Sa sœur était sa meilleure amie. La différence d’âge avait établi entre eux une relation rare: elle le couvait, il la respectait, ils n’avaient jamais connu les querelles classiques des fratries.
Simone Simon s’était vue affubler de ce nom par des parents désireux d’en faire une artiste. Au pire, disaient-ils, elle se mariera et changera de patronyme! Mais elle n’avait jamais supporté un homme plus de quinze jours et n’avait pas connu sur les planches le succès escompté par ses géniteurs.
Un caractère fort et une intelligence au-dessus de la moyenne lui avaient néanmoins octroyé une place de choix dans le monde des arts. Son salon avait fait les belles heures de la Genève intellectuelle. Avec les «Amis de l’instruction», elle avait parcouru les salles de Suisse romande et avait noué dans ce milieu des amitiés jamais démenties. Norbert l’avait toujours soupçonnée d’une liaison avec François Simon. Mone se contentait de rire, assurant qu’un patronyme ne suffisait pas à rapprocher deux cœurs. Si secret il y avait eu, elle le gardait bien!
Lorsque Norbert avait fait le choix d’entrer dans la police, sa sœur en avait conçu une certaine aigreur. Une telle activité de fonctionnaire était aux antipodes de son monde de création et de poésie. Mais elle constata vite que la sensibilité de son petit frère en faisait un flic habile et humain. L’agacement céda la place au respect, et Mone – il l’avait toujours appelée ainsi – devint vite une associée de choix pour le commissaire.
Il s’était installé à la petite table Napoléon III qui faisait face à la TV. Mone terminait dans la cuisine la préparation de leur repas. Elle adorait mitonner pour lui de véritables délicatesses qu’ils dégustaient avec une bonne bouteille. Leurs soirées à eux.
Un sujet du journal télévisé rappela à Simon son voyage de fin d’année en Égypte. Passionné d’histoire ancienne, il avait rêvé longtemps de «se perdre dans la Vallée des Rois, de prendre le temps d’écouter les secrets du désert» comme disait le prospectus. Mone avait encouragé son frère: ce voyage organisé par une association culturelle était fait pour lui. C’était l’occasion. Il avait tant de fois renoncé au départ pour ne pas faire seul une découverte qu’il aurait tant aimé faire avec celle qui l’avait laissé tomber quinze ans plus tôt…
Cette fois, il était parti. En ce mois de mars 1990, une bonne partie de son esprit voguait encore au fil du Nil. Il est des envols dont on atterrit lentement.
Sur l’écran, le journaliste tentait de se faire entendre malgré un vent v*****t et la foule des touristes qui prenaient d’assaut le site de Gizeh. Il parlait de sécurité, d’intégrisme et d’attentats. Le présentateur fit le lien avec l’Algérie, où l’on commençait à craindre le pire. Simon se leva et éteignit le poste.
— Je préfère te savoir ici, dit Mone, à l’abri de tous ces fanatismes.
— Je ne crois pas avoir couru le moindre risque pendant mon voyage, affirma Simon qui voulait toujours rassurer sa sœur. Il se retint de lui dire ce que ses hommes lui avait rapporté l’après-midi même: deux Algériens s’étaient fait prendre à la gare en pleine préparation d’un attentat.