3Quiconque l’aurait vu assis là sur la barrière aurait pensé qu’il attendait le bus. Il avait utilisé cette astuce depuis longtemps, lui qui était si malin… Chaque fois qu’il s’échappait pour venir ici, il se dissimulait derrière la haie que les propriétaires des jardins donnant sur l’avenue Léon-Gaud laissaient un peu à l’abandon. Combien de fois était-il resté ainsi de longs moments à tenter de la voir par la fenêtre? À l’époque, bien sûr, où elle pouvait encore y venir. Il avait souvent vu le mari d’Esther partir vers l’arrêt du bus 11 situé rue de Contamines. Il avait admiré ce monsieur chic qui passait à côté de lui sans même l’apercevoir. Il avait ri, beaucoup ri. Il était resté souvent planqué, abrité par le feuillage, à calculer son coup, à savoir comment la rejoindre, comment… parce qu’il n’y avait pas de raison qu’elle continue à vivre heureuse alors qu’il souffrait tant de son mépris, là-bas, dans sa prison. Elle, si belle, et lui, si malheureux. Il y avait tant d’années. Elle l’avait sans doute oublié. Mais lui, non.
C’est ce qu’il avait enfin osé lui dire hier, quand il avait grimpé au quatrième étage et eu pour la première fois le courage de sonner à sa porte. Mais elle l’avait chassé. Elle avait fait mine de ne pas le reconnaître. Il avait perçu son trouble, vu la peur dans ses yeux. Il savait tout! Il avait posé des questions à tout le monde! Depuis longtemps! À présent, il connaissait le quartier comme sa poche. Tout le monde lui avait parlé d’Esther et de son accident.
Quand il avait évoqué ses freins défectueux, il l’avait vue blêmir. Son regard avait lancé comme un message d’alerte qui lui avait procuré un étrange sentiment de satisfaction. Le pouvoir qu’il avait eu sur elle à cet instant avait suscité une jubilation bien supérieure à toutes celles qu’il avait pu connaître jusque-là auprès d’autres femmes qu’il avait pourtant désirées beaucoup moins violemment.
Elle n’avait pas voulu de lui? Alors, elle n’avait eu que ce qu’elle méritait.
Sachant pourtant qu’il ne la verrait plus à la fenêtre de la cuisine, il était là depuis quelques heures à guetter un mouvement, quelque chose qui lui montrerait que, cette fois, il avait bel et bien gagné et que, désormais, c’était lui le plus fort.