Le prix du refus

1187 Words
Le jour s’était levé pâle et froid sur les terres du Nord. À la lisière de la forêt, Herman attendait. Debout, droit, immobile. Sa silhouette massive semblait sculptée dans le givre. Le vent agitait sa cape, ses yeux fixaient l’horizon. Il n’avait rien préparé. Pas de sac, pas de promesses. Juste cette idée : si elle venait, il l’emmènerait. S’il ne la voyait pas apparaître, il repartirait seul. Mais elle ne vint pas. Il attendit une heure , puis deux , puis trois. Il n’était pas inquiet , pas encore. Il s’était dit qu’elle avait changé d’avis. Qu’elle avait préféré le confort d’une chambre dorée au froid des bois. Il ne savait pas que pendant ce temps, Eléna courait pour sa vie. ⸻ Elle avait quitté le manoir sans bruit, emportant juste une veste et un petit en-cas . Elle avait suivi le chemin indiqué par Herman, le cœur battant, heureuse de pouvoir lui prouver qu’elle n’était pas qu’une fille d’Alpha. Mais à mi-chemin, ils l’attendaient. Trois hommes, des loups du clan de l’Est. Envoyés par un ancien rival de son père. Pas assez puissants pour défier l’Alpha suprême… mais assez lâches pour s’en prendre à sa fille. Ils n’avaient pas besoin de la tuer. Juste de l’exposer, de prouver qu’elle pouvait être atteinte. Une humiliation politique plus douloureuse que la mort. Ils la saisirent , elle cria , mordit et griffa en vain . Elle disparut dans les bois sans que personne ne la voie. ⸻ Ce fut le hurlement d’un messager qui brisa l’équilibre. Herman n’était pas revenu au manoir mais le hurlement l’atteignit via le lien de la meute , dans une clairière, à plusieurs kilomètres de là. Une onde traversa son cœur comme une détonation. Son instinct hurla avant même que son esprit comprenne . Quand le messager le trouva, haletant, sang sur le museau, il n’eut que trois mots à lui dire : — Ils l’ont prise. ⸻ Herman ne répondit pas , Il ne posa pas de question. Il partit en courant. Il devint loup. Mi-homme, mi-fureur. Il courut des heures, les sens en alerte, le nez contre le sol, la rage au ventre. Il retrouva leurs traces, puis leurs odeurs, puis leur camp. Il les trouva à la tombée de la nuit. Ils riaient. Ils ne l’avaient pas entendue pleurer dans la cage. Ils ne l’avaient pas regardée comme lui l’avait fait. Ils n’étaient pas préparés à lui. Il ne les tua pas. Il les déchira. Il arracha des membres, broya des os, brisa des volontés. Il ne hurla pas, il ne parla pas. Il fut un ouragan , une malédiction , une vengeance incarnée. Quand tout fut terminé, il se tint debout, couvert de sang, haletant. Et dans la cage, Eléna le regardait. Pas avec peur. Avec reconnaissance. Il ouvrit la porte , elle glissa contre lui, les jambes tremblantes . Il la serra contre son torse, une main sur sa tête, l’autre autour de ses épaules. Et dans un souffle, presque inaudible il dit : — Pardon. Elle se serra plus fort contre lui, incapable de parler. ⸻ Ils revinrent au manoir deux jours plus tard , le silence les précéda. L’Alpha suprême les attendait sur les marches, entouré de ses gardes. Mais quand il vit Herman portant sa fille sur le dos, éveillée mais faible, il s’inclina légèrement, un geste rare chez lui. Il ne dit pas un mot. Herman, lui, resta debout, face à lui. Puis déclara d’une voix rauque : — J’avais juré de ne plus me battre. Son regard alla vers Eléna. — Mais je l’ai fait à cause d’elle. Il inspira profondément. — Alors autant aller jusqu’au bout. L’Alpha ne répondit pas tout de suite. Il se contenta d’un hochement de tête, comme s’il savait que ce moment finirait par venir. — Tu veux l’aile est ? demanda-t-il calmement. — Je veux un coin tranquille , et de quoi lui apprendre à survivre. — Tu auras les deux. Herman baissa les yeux vers Eléna. Elle lui sourit. Et dans ce sourire, il vit autre chose que la gamine grassouillette du premier jour. Il vit un miroir. Un lien. Une promesse. Il la reposa au sol, lentement. Elle tenait à peine debout, mais elle s’accrocha à sa manche, comme si ce contact-là valait toutes les armures du monde. Et ce soir-là, alors que le manoir de pierre se refermait sur eux, Herman sut que le loup qu’il avait cru mort en lui… venait de se réveiller. Pas pour la guerre. Pas pour la gloire. Mais pour elle. L’aile Est était silencieuse. Loin des gardes, loin du tumulte du manoir, loin même de la lumière des autres fenêtres. Parfait. Exactement ce que Herman avait demandé . La pièce principale était nue. Des murs de pierre, une cheminée massive, un lit de bois confortable , et une armoire posé dans un coin. Il n’avait pas besoin de plus. Il avait connu la guerre, les bivouacs glacés, les grottes à demi effondrées. Le confort lui était devenu inutile. Trop de silence le dérangeait, mais trop de bruit le rendait fou. Ici… c’était juste supportable. Il posait son sac quand la porte grinça. Il se retourna brusquement, déjà sur la défensive. Mais ce n’était qu’elle. Eléna. Elle était debout dans l’embrasure de la porte, son petit corps couvert d’un pyjama qui recouvrait ces rondeurs , les cheveux encore humides, les yeux grands ouverts dans la pénombre. — Je peux entrer ? demanda-t-elle d’une toute petite voix. Il hocha la tête. Elle s’avança lentement, comme si chaque pas pesait plus que le précédent. Elle resta plantée au milieu de la pièce, silencieuse. — Qu’est-ce qu’il y a ? demanda Herman, fronçant les sourcils. Elle jouait avec la couture de sa manche, le regard fixé sur ses pieds. — Je… j’ai du mal à dormir, avoua-t-elle. J’ai l’impression qu’ils vont revenir. Que je vais me réveiller encore attachée, seule, dans la forêt. Herman se raidit. Elle releva les yeux vers lui, suppliants. Pas capricieux , pas exigeants , juste profondément humains. — Je me sentirais plus en sécurité si je dors dans tes bras. Herman resta figé. Une fraction de seconde, l’image d’une autre, aux cheveux d’encre et au rire doux, passa dans son esprit comme une flamme qui brûle sans prévenir. Il ferma les yeux, inspira. Puis il murmura, presque à contrecœur : — D’accord. Elle s’approcha, lentement. Comme un animal blessé. Il écarta la couverture, s’installa contre le mur, et l’aida à grimper sur le lit. Elle s’enroula aussitôt contre lui, blottie dans son flanc, une main posée sur sa poitrine. Elle était petite , fragile et pourtant, cette chaleur… cette présence… Il avait oublié ce que c’était. Il ne bougea pas , ne parla pas. Mais dans le silence, alors que la respiration d’Eléna s’apaisait doucement, il pensa : Je n’avais plus jamais dormi avec qui que ce soit depuis elle… Décidément, cette gamine est douée pour tout chambouler. Et contre toute attente, ce soir-là, Herman dormit profondément. Pas dans un cauchemar. Pas dans la douleur. Mais dans le souffle tranquille d’un lien qui venait de naître.
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