Le loup de fer

894 Words
Le manoir baignait dans le silence du soir . La lumière dorée des lustres caressait les murs de pierre , et dans les couloirs , les serviteurs chuchotaient en passant , évitant de troubler l’équilibre fragile de l’endroit . Eléna marchait d’un pas hésitant . Elle n’avait pas croisé Herman depuis la veille . Il avait quitté la salle d’entraînement sans un mot et ne s’était pas montré au repas . Elle avait attendu , tendue l’oreille collée à sa porte . Rien , pas un bruit . Elle n’en pouvait plus de se poser des questions . Alors elle décida d’aller parler au seul qui pouvait peut-être l’éclairer . Son père . Elle frappa doucement à la porte de son bureau . Une voix grave répondit aussitôt : — Entre . L’Alpha suprême était là , assis derrière son bureau massif , les lunettes légèrement baissées sur le nez , des papiers en main . Malgré la fatigue visible sur son visage , il lui adressa un sourire sincère en la voyant . — Eléna , tout va bien ? Elle referma la porte derrière elle puis avança , droite , mais les yeux inquiets . — Papa… je peux te parler de Herman ? Il haussa un sourcil . — Qu’est-ce qu’il t’a fait ? — Rien… justement . Il ne m’a rien fait , mais il a changé . D’un coup , du jour au lendemain comme s’il… s’était refermé . Son père soupira doucement , posa ses papiers et retira ses lunettes . Il se leva lentement , s’approcha de la fenêtre et fixa l’extérieur , pensif . — Tu sais… il y a des hommes qui se construisent une armure . Pas pour se protéger du monde , mais pour ne plus rien ressentir du tout . Eléna ne répondit pas . L’Alpha reprit , sa voix plus grave : — Herman n’a pas toujours été ce bloc froid . Si on retourne deux ans en arrière , il était une flamme . Puissante , vive et incontrôlable . Il se tourna vers elle , un léger sourire mélancolique aux lèvres . — On l’appelait le loup de fer. À vingt ans à peine, il avait déjà combattu plus de guerres que certains chefs de meute . C’était mon bras droit , mon frère d’armes . Il se battait à mes côtés , sans jamais reculer . Sans jamais douter . Il fit une pause , ses yeux se voilèrent légèrement . — Et puis… elle est arrivée . Eléna fronça les sourcils . — Son âme sœur ? — Oui , une combattante aussi . Redoutable, imprévisible , aussi sauvage que lui . Ils étaient inséparables , pas juste par l’amour mais par la guerre , par la douleur , par ce qu’ils comprenaient chez l’autre . Quand ils entraient sur le champ de bataille , c’était comme si le monde entier devait plier . Il se rasseyait lentement , les souvenirs semblant le ramener ailleurs . — On était en mission , une embuscade . Moi, lui, elle… et d’autres . L’ennemi avait compris que s’ils m’abattaient , pas seulement le clan mais tout le continent tomberait . Alors ils ont envoyé tout ce qu’ils avaient . Elle a compris avant nous . Elle s’est interposée . Et… Il ne termina pas la phrase . Eléna , le souffle court , murmura : — Elle est morte… en vous protégeant ? Son père hocha la tête . — Oui , et depuis ce jour-là… Herman n’est plus jamais remonté sur le champ de bataille . Il n’a plus crié . Il ne s’est plus battu comme avant . Il n’a plus regardé personne dans les yeux . C’est comme si elle était partie avec la moitié de lui-même . Un silence douloureux s’installa . Puis l’Alpha ajouta , plus doucement : — C’est pour ça que je te l’ai confié , Eléna . Elle cligna des yeux , surprise . — Quoi ? — Parce que tu es différente , tu as ce quelque chose… ce feu , ce cœur tendre , ce courage discret . Et lui , il a besoin de ça . Même s’il ne le sait pas encore . Eléna baissa les yeux . Elle se sentait soudain trop petite pour porter tout ça . — Tu crois que je peux l’aider à guérir ? Son père sourit . — Je crois qu’il ne guérit déjà que parce que tu es là , même s’il lutte contre . Même s’il s’en rend pas compte . Même si parfois , il te rejette . Il se pencha vers elle , posa doucement une main sur son épaule . — Mais n’oublie pas une chose , ma fille . Tu n’as pas à réparer quelqu’un tout entière . Tu peux juste lui tendre la main . Et attendre qu’un jour , il trouve le courage de la saisir . Eléna inspira profondément et se leva . — Merci , papa . — Sois patiente avec lui et forte . Il a survécu à beaucoup… mais il a surtout oublié comment vivre . Elle sortit du bureau , le cœur en feu . Pas de colère , ni de tristesse . Juste une immense tendresse… pour cet homme qu’on appelait autrefois le loup de fer .
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