Les jours suivants je suis piégée au château par une tempête de neige violente qui cloue les avions au sol. Mon bureau dispose de tout ce qu’il me faut en technologie pour faire mon travail à distance, mais je redoute d’être coincée ici pour Noël.
Je fais tout comme le bon robot que je suis depuis des années, en multipliant pourtant les coups de colère à l’encontre de mon personnel lorsqu’un dossier n’avance pas comme je le voudrais.
Je compte les jours en attendant de pouvoir repartir d’ici et je passe un temps considérable dans la chambre de l’inconnu. Je m’y réfugie pour éviter la cohue du mois de décembre Natasha redoublant de passion pour les fêtes de Noël multiplie les évènements et les soirées. Elle fait rentrer un pognon monstrueux alors je ne dis rien et je m’isole. J’aime bien l’atmosphère tranquille de la pièce bercée par les bips réguliers des moniteurs et la respiration tranquille de l’occupant du lit.
Il se rétablit très lentement, mais il se rétablit. Il parvient maintenant à ouvrir son deuxième œil qu’il a fallu opérer et les quelques heures de conscience qu’il a chaque jour sont dépensées à m’observer travailler, et laisser les infirmières le soigner. Il est enfermé dans son propre corps pour le moment.
Je lui adresse quelques mots de Bulgare de temps en temps, quand je constate que ses yeux clairs me foudroient avec trop d’insistance et je trépigne d’impatience lorsque nous recevons enfin les autorisations nécessaires pour décoller après presque trois semaines enfermée ici.
- Je reviens dans quelques jours, fis-je traduire par mon téléphone.
Je ne m’attends pas à ce qu’il puisse me répondre et il ne me quitte pas des yeux un seul instant alors que je referme sa porte derrière moi.
Je suis surexcitée et enfin comblée de joie quand enfin j’atterris sur la minuscule piste d’Hangon lentokenttä où je suis attendue sur le tarmac.
Je descends rapidement avant de m’avancer et prendre dans mes bras la sublime, merveilleuse, extraordinaire petite fille qui m’attend. Enfin petite…
- Bonjour ma grande, dis-je alors en la serrant dans mes bras, tu m’as tellement manqué.
- Bonjour maman, répond-t-elle en me rendant mon étreinte alors que mon cœur explose d’amour.
- Tu as encore prit dix centimètres en deux mois… Bonjour Lilja…
Je salue mon amie avec une brève étreinte puis nous rejoignons toutes les trois la voiture.
- Tu as fait bon voyage ? Pourquoi est-ce que tu as mis si longtemps ?
Comme d’habitude, Lyonne est ravie de me voir. Elle a déjà dix ans…presque onze. Je la regarde avec admiration devenir une sublime jeune fille. Elle est aussi rousse que moi, ses yeux ont la même teinte verte que les miens, tout comme ses taches de rousseur… Ma fille…Mon amour… Ma vie…
- Comment est-ce que ça se passe à l’école ? demandais-je alors en prenant le volant du SUV BMW que j’ai acheté pour leur confort.
- Très bien comme toujours, soupire Lyonne agacée, tu es là depuis deux minutes…
- D’accord ! C’est les vacances… Comment vont tes amies ? Et tes loisirs ?
- Tout va très bien ! Est-ce qu’on part chez grand-père et grand-mère ?
- Oui, demain… Je dois d’abord m’assurer que tout est en ordre, dis-je alors en lui jetant un coup d’œil dans le rétroviseur.
Quand je viens en Finlande, Emery, Nick et l’ensemble du système de sécurité qui m’entoure reste à distance et s’expose le moins possible au regard de ma fille, tout comme l’inverse. J’ai confiance en Nick et Emery, ils ne posent jamais de questions et se contentent de faire leur job. Aucun de mes autres employés hormis Natasha ne connait son existence. Et pour notre survie à toutes les deux, les choses doivent rester comme ça.
L’après-midi nous partons pour le centre équestre dans la neige. Je pratiquais l’équitation et j’en étais passionnée enfant. J’ai transmis ce gène-là aussi à ma fille et évidemment, je lui ai offert des chevaux, pour occuper ses longues journées légèrement isolées ici dans la petite ville côtière d’Hanko en Finlande. Le centre équestre n’est pas très loin du chalet dans lequel logent les deux filles.
Lilja est la mère d’accueil de Lyonne, elle est une amie de ma mère. Elle m’a cachée ici lorsque j’ai fui Henry quand j’ai appris ma grossesse et ensuite, je lui avais laissé mon tout petit bébé l’âme déchirée dans le but de la garder éloignée de mon ex-mari dangereux.
Depuis je m’applique à les protéger toutes les deux tout en gardant Henry occupé et très loin de la vérité. Je me bats tous les jours pour que les choses changent et que ma fille n’ait pas à vivre dans le monde dans lequel j’ai vécu… C’est un pari fou… Un projet faramineux… Mais quoi que je fasse, il y aura toujours des putes… Moi ou un autre… mieux vaut pour elles que ce soit moi.
- On va faire une promenade à cheval ? suggérais-je au bout d’un moment alors qu’elle me détaille les derniers évènements de sa vie sociale avec entrain.
- Euh, oui… Est-ce que Sarah pourra nous accompagner ?
- Evidemment, mais…
- Je connais les règles… MAMAN !
Je souris derrière le volant, cette petite voix chantante et mutine, ce sourire provocateur de jolies dents blanches, qu’est-ce qu’elle m’avait manqué… Dès que je suis avec elle, je ne suis plus la même… Elle ravive toutes les flammes éteintes de mon cœur habituellement glacé.
Je suis plongée en plein rêve, nous passons l’après-midi en légèretés de jeunes filles, nous préparons nos chevaux avec entrain, Sarah son amie, prépare son double poney avec nous et elles s’amusent comme des folles en batailles de boules de neige et sont très dissipées. C’est une joie incommensurable pour moi et je m’en nourris comme si je n’avais jamais eu le moindre autre moment de bonheur dans ma vie.
Nous passons un excellent moment en galopades entre les arbres, le bruit des sabots de nos chevaux est étouffé par les quantités astronomiques de neige tombée ces derniers jours, le cadre est féerique.
Puis comme la nuit tombe tôt nous reprenons le chemin des écuries au pas les unes à côté des autres. Les deux compères discutent des garçons de leur collège et je suis très étonnée de voir Lyonne rougir à l’évocation d’un certain Arès. Je suis particulièrement attentive à leur conversation mais je n’interviens pas. Elle n’a pas encore onze ans, elle est encore innocente et je la tiens aussi éloignée que possible de toute source d’inquiétude quant à sa sécurité. Pourtant elle sait quel genre d’activités je mène. Je ne lui mens pas sur qui je suis et mes propres besoins en matière de sécurité tout en me montrant rassurante sur le sujet. Elles ignorent totalement le drone qui nous suit de loin durant toute la promenade et qui disparait dès notre retour en zone surveillée.
Les hommes d’Emery et Nick se montrent discrets. Je les remarque parce que j’ai l’habitude d’être sur le qui-vive et consciente de ce qui m’entoure. Mais ici, dans ce havre de paix avec ma fille, je me sens bien et je ne m’inquiète de rien.
Nous rentrons au chalet où Lilja nous attend avec un chocolat chaud et passons le reste de la soirée en films de Noël et sucreries au salon devant un bon feu de cheminée.
Je savoure chaque seconde de sa compagnie et de sa vivacité d’esprit.
Nous avons passé la soirée puis la nuit toutes les deux suivant le concept de la soirée pyjama et je me fous qu’elle ait dix ans et dorme dans mes bras. Je me noie dans ses cheveux et serre mon bébé contre moi. Demain nous quitterons le cocon douillet du chalet et la fraicheur finlandaise pour la chaleur et le luxe d’un Noël à l’australienne.
Mes hommes ont vraiment fait les choses bien et le lendemain nous prenons la direction de la petite piste privée sur les hauteurs d’Hanko où nous attend mon Falcon 8x, l’un des seuls jets privés long courrier à pouvoir se poser à la fois sur des pistes longues et des pistes courtes.
Emery et ses hommes se sont déjà retirés à l’arrière discrètement et nous passons les vingt heures de vol à nous divertir en films, jeux de société et discussions tout en nous pouponnant avec insouciance.
Je profite tout mon saoul de l’avoir pour moi. Je lui suis dévouée tout entière et j’abandonne mon téléphone que je ne prends même pas la peine de connecter au wifi de l’avion. Le sexe peut attendre, ma mère a bien raison.
La chaleur est étouffante lorsque nous atterrissons. Le soleil est à son zénith, il est midi. La limousine nous attend alors que le jet se range dans le hangar de la zone réservée aux privés.
Lyonne est surexcitée de retrouver ses grands-parents et fêter Noël, elle déblatère sans répit les vingt-cinq minutes de trajet jusqu’à la villa d’architecte de Drummoyne, le quartier résidentiel de Sydney dans lequel logent mes parents.
Je suis légèrement plus tendue depuis notre atterrissage, je suis en territoire ennemi. La couronne britannique. Le terrain de chasse d’Henry.
- Bonjour Papa, Bonjour Maman.
Mes parents nous accueillent à la sortie de l’ascenseur en verre que nous avons pris après être entrés par les seuls accès possibles : les garages souterrains sur lesquels la maison est posée et par lesquels il y a la seule entrée.
Nos retrouvailles sont chaleureuses, j’adore mes parents, guindés, bourgeois, mais natures. Je pense qu’ils m’aiment aussi, ils ont tout fait pour moi, m’ont bien élevée, bien nourrie, sauvée quand il a fallu et oui ça mon père est venu me tirer des enfers… Puis il m’assiste dans mes entreprises en bon avocat en droit des affaires qu’il est.
Ma mère reste en retrait mais n’a jamais hésité à faire jouer ses relations pour mes projets. Elle m’a aidé à me cacher avec l’avidité d’une matriarche protégeant sa progéniture et mon lien avec Lyonne n’a fait que renforcer notre trio. Enfin et le plus important je crois, mes parents savent ce qu’Henry m’a fait, mais ne m’ont jamais au grand jamais traitée comme une victime. Ils m’ont poussé de toutes leurs forces à avancer, m’ont soutenue encore et toujours. Et aujourd’hui nous sommes tous là, réunis pour ce premier Noël ensemble depuis trois ans.
Maman et Lyonne partent toutes les deux de leur côté visiter sa chambre qu’elle a probablement totalement fait redécorer en prévision de la venue de sa petite fille. J’observe mes hommes prendre les dispositions de sécurité avec appréhension tandis que mon père, un homme au parfait stéréotype de l’avocat coincé derrière ses lunettes à écailles bien trop sérieuses et son costume impeccablement cintré me tend un verre de scotch pendant que j’admire le panorama à cent quatre-vingts degrés de Pulpit Point, Fern Bay et l’Est jusqu’au toits de la ville et d’Harbour Bridge. Le ciel est d’un bleu éclatant, tout semble calme et apaisant.
- Arthur va passer te faire un point cet après-midi…
- Parfait.
- Tu pourrais la laisser ici quelques temps…
- Hors de question. Je sais qu’il surveille tout. Je ne prends aucun risque. C’est déjà compliqué de venir.
- Tout se passe pour le mieux.
- Je sais, je veux seulement que ça continue.
Il dépose un b****r réconfortant sur mon front et nous buvons tranquillement nos verres en nous dirigeant vers le barbecue de Noël qu’il prépare.
Nous organisons le dîner avec entrain, installons la tablée sur la terrasse pour admirer les lumières et décorations installés partout en ville qui s’allumeront au fil de la soirée lorsque la nuit tombera.
La discussion tourne naturellement autour des affaires et cela ne me dérange pas d’en parler devant Lyonne, elle sera héritière de tout cela un jour et je souhaite qu’elle soit éduquée en matière de finance et de management.
Malheureusement, cette fois, c’est de la liquidation dans laquelle j’ai plongé Explora qui est le centre de la discussion, et j’ai bien du mal à expliquer rationnellement cette décision brutale et douloureuse.
- Parfois il faut savoir s’amputer d’un membre pour en faire pousser de nouveaux, décrétais-je alors que ma mère s’en mêle.
- Est-ce que tu as pensé aux conséquences économiques ? La dégradation significative des conditions de travail de tes employées, les conséquences que cela aurait en répercussion sur la vie…
- Je sais papa… affirmais-je en poursuivant le découpage de mon entrecôte braisée sans tenir compte de son indignation, j’ai des équipes qui se chargent de trouver des solutions pour tout ça… Ce ne sont que des détails.
- Tu passes tout à la guillotine comme un bon monarque français, maugrée mon père, rappelle-toi comment ça s’est fini.
- Est-ce que tu réalises les conséquences si on venait à apprendre que ton père et moi sommes liés…
- Papa défend tous les connards d’Australie maman, sa réputation n’est plus à faire, quant à moi j’ai changé de nom pour ne pas être reliée à toi directement alors arrêtez tous les deux, je ne sais pas quand vous pourrez revoir la petite donc je suggère d’en profiter.
J’adresse un clin d’œil amusé à Lyonne qui me répond d’un petit sourire mutin, je lui apprends comment gagner les duels.
- Tu as des problèmes avec Henry ? demande alors soudain mon père me faisant lentement lever les yeux vers lui.
- Je tiens toujours Henry occupé et à bonne distance ne vous en faites pas pour ça…
Lyonne est pourrie gâtée, entre montre connectée, ordinateur portable, et affaires d’équitations, l’avion repart surchargé pour la Finlande, bien que plus léger de quelques larmes de chagrin versées au moment de nous quitter.
- Tu m’as offert une étoile ? m’avait-t-elle demandé en écarquillant les yeux devant mon cadeau.
- Oui, je voulais acheter le soleil, mais il semblerait qu’il ne soit pas à vendre… Alors j’ai pris la plus brillante de toutes…
Je suis soulagée et anéantie. J’ai perdu plusieurs jours, et j’ai un planning très chargé ces prochains jours. Les adieux avec Lyonne sont déchirants et je pleure tout le vol retour jusqu’en Roumanie où je me rends pour la soirée du nouvel an.