SACRILÈGE

Il me suffit de fermer les yeux pour les revoir, ceux que j'ai laissé derrière moi, ceux à qui j'ai tourné le dos. On pourrait facilement croire que j' y étais, à cette grande table familiale, assise, souriant et participant à cette conversation animée. Ouvrir les yeux me ramenait toujours brutalement à la réalité. Cette image que j'imaginais si clairement était le reflet d'une famille où je ne me sentais plus à ma place. Ce soir là, en rentrant à la maison, l'évidence me frappa. Je devais partir. M'éloigner de ces sensations malsaines que je ressentais et de cette haine qui montait en puissance envers elle que j'ai aimé sans limites, sans restriction. Il m'était devenu insupportable de la regarder, de lui parler. Ce que je considérais comme une trahison pesait sur mon coeur d'un poids qui m'oppressait et me paraissait insurmontable. Partir. Oui, mais pour aller où? Je ne me suis pas posé la question en faisant ma valise. Quand je me suis retrouvée dehors non plus. Au volant de ma voiture, pas plus. Dans cette chambre d'hôtel, encore moins. Je me suis juste enfoncée sous les draps, ai fermé les yeux et me suis endormie. Demain est un autre jour et j'y ferai face, à ma manière, seule. 1 semaine plus tard, je sortais de cette chambre d' hôtel pour tourner définitivement le dos à ma vie. Sur la route qui me menait vers mon destin, je me suis seulement arrêtée pour régler une chose. Il tournait autour, regardait, inspectait,testait et commençait sérieusement à m'énerver. - vous la voulez oui ou non? - oui mais il me semble qu' il y ait une rayure sur le côté..... - ne pensez même pas à négocier! Vous n'en retrouverez pas à ce prix là. Monsieur, je n'ai pas de temps à perdre. C'est votre jour de chance alors saisissez la! Il me toisa, choqué par mes paroles mais je m'en foutais royalement. Tout ce qui m' interessait, c'était cette liasse de billets qu'il commença à sortir et à compter sous mes yeux. - le compte y est. Voici les papiers. Je les ai déjà signés. Remplissez votre partie et donnez moi le double. Je dois y aller. En 5 mn, c'était réglé et je lui tendis les clés. Quand il les saisit, mon coeur se serra un peu. Cette voiture était un peu mon bébé et je me détournais, amère en hélant un taxi. 10 mn plus tard, j'étais toujours au bord de la route, attendant désespéremment un taxi qui n'arrivait pas et regardant frénétiquement ma montre. Ils ont tous décidé de me pourrir la vie ou quoi????? - je peux vous amener quelque part? Le nouveau propriétaire de ma Chevrolet se tenait à mes pieds. Je m'apprêtais à decliner sa proposition quand regardant à nouveau l'heure, je me rendis compte que j'étais vraiment là la bourre. - j'ai un avion à prendre. - Diass? Me demanda- t- il en levant les sourcils -............ - montez, après tout, je vous dois bien ça. Je ne me fis pas prier quand il mit ma valise dans le coffre et que je montais en passagère de ma propre voiture. Quelle ironie! - merci. Le paysage défilait sous mes yeux à toute vitesse et malgré quelques bouchons, j'arrivais à temps pour les formalités. Mon sac sur le bras, j'avançais vers la porte d'embarquement et levais les yeux vers l'écran qui affichait ma destination. Face à cette réalité, à cette page qui se tournait, mes yeux s'embuèrent de larmes trop longtemps contenues. Mon téléphone se mit à sonner au même moment. Le numéro ne me disait rien et je n'eus pas envie de décrocher pour tomber sur l'une des personnes que j'évitais depuis plusieurs jours. Mais.... - Allô? - Mlle Kane? Bonjour Idriss Touré à l'appareil. - Idriss...? - Global Solutions? Votre entretien? - oui, bien sûr, excusez- moi. - je vous dérange, cela n'a pas l'air d'aller? - non tout va bien. - tant mieux alors, je vous appelais pour vous annoncer que votre candidature a été retenue et que vous avez le poste. - quoi? Euh... waaouh... - c'est une bonne nouvelle j'espere? - je suis désolée, je ne vais pouvoir accepter. -.................... et puis- je savoir pour quelle raison? - je suis sur le point de quitter le pays et.... J'eus vraiment du mal à parler à ce moment là et déglutissais difficilement - une autre opportunité professionnelle? - pas tout à fait mais ça ira. - écoutez Mademoiselle, ....Kadiatou, je peux vous appeler ainsi, n'est- ce pas? Je suis très déçu d'entendre cette nouvelle mais si je peux vous être d'une aide quelconque, n'hésitez pas à m'appeler. - je... merci. Je dois y aller. Au revoir Mr Touré. - vous pouvez m'appeler Idriss. Au revoir Kadiatou. " les passagers à destination d'Abdijan sont priés de se présenter à la porte d'embarquement" ********************************************* 3 mois. 3 mois que la vie de mes amis a changé. Cela venait se rajouter à ces derniers mois où nous avons tous vécu sous tension, et durant lesquels, je survivais plus que je ne vivais. Bientôt un an que ma Arame n'est plus et bientôt 3 mois que celle à qui j'en ai le plus voulu a disparu. Tout ceci devenait trop pour moi. Je sais que mon meilleur ami a du mal à comprendre ma décision mais je sais aussi qu'il me soutient. Déménager ne m'a pas aidé. Me tuer au travail ne m'a pas sauvé. Et mes démons ne m'ont pas quitté. Me voici en train de fermer à clé la porte de mon appartement pour une durée indeterminée. J'empruntais l'ascenseur et me retrouvais devant l'immeuble pour voir sans surprise mon frère d'armes adossé à sa voiture. - hey bro! Il leva les yeux de son téléphone et me regarda avancer avec ma valise avant de secouer la tête. - tu vas vraiment le faire? - Salif, on en a déjà parler. - oui mais là c'est réel et tu t'en vas pour de vrai. - Je sais que tu m'aimes, non... tu m'adores et que je vais te manquer mais Aisha me remplace très bien, j'en suis sûr! - c*****d! En fait t'as raison, barres toi! On riait en montant en voiture et parlions de tout et de rien jusqu'à l'arrivée à l'aéroport. Mon vol pour Abdijan était dans 2 heures donc j'avais le temps. Après l'enregistrement, nous nous installons pour prendre un verre. - il est où ce lacheur de Tanor? - on l'a perdu et tu le sais. - ce mec est foutu! Incroyable! - je n'aurai jamais imaginé qu'ils finiraient ensemble Tabou et lui. - c'est clair! La vie est surprenante. - je ne te le fais pas dire. En parlant de ça, Cathy a pris comment la nouvelle de ton départ? - elle est passée ce matin et m'en veut mais ça lui passera. - prends le temps qu'il te faut et rentre ensuite. Ne t'avise surtout pas de me dire que tu vas y rester définitivement! - je ne crois pas pouvoir supporter Justin indéfiniment! Il éclata de rire - ça je veux bien te croire! Justin Konté est un cas à part! On discuta un moment avant que ne vienne l'heure du départ pour moi. - c'est le moment? - yeah Bro. J'en ai besoin et je sais que tu me comprends... Il hocha la tête - fais pas de conneries.... - tu me connais non? - justement! Je riais en lui faisant un check - rassure moi, c'est pas moi qui te file cet air préoccupé? Tu n'as pas l'air dans ton assiette - des trucs à régler mais je gère. - Ok Il me fit un salut de la main signifiant " see you..." et mon sac à dos sur l'épaule, je me dirigeais vers la Police aux frontières et ensuite vers la porte d'embarquement. Dans l'avion qui me menait vers ma destination, je réflechissais et étais convaincu de faire le meilleur choix. Quelques jours plus tard, me voici installé à Abidjan où j'avais pris un appartement dans la commune de Cocody. Je dois avouer que ce coin proposait des logements de Standing et était très bien fréquenté. C'est donc là que mon ami Justin m'avait trouvé un charmant 2 pièces. Il voulait au début que je m'installe avec lui mais la coloc, très peu pour moi! Et comme je ne savais pas jusqu'à quand je devais rester ici, je préfère être bien installé. J'ai un peu visité la ville ces derniers temps et ce soir, Justin m'a proposé une sortie avec ses amis. Pourquoi pas? A Dakar, j'étais devenu Casanier comme pas possible même avant qu'elle..... Je soupirais longuement et accélérais la cadence de mon footing. Après une journée à discuter affaires avec Justin que j'aidais à monter son cabinet, courir me faisait du bien. Je me douchais et me détentais un peu sur le canapé avant sortir retrouver mon ami dans un restaurant situé à Marcory. Pour être indépendant, il avait à ma disposition une voiture et cela me convenait car cela me permettra de mieux connaitre la ville. Arrivé sur Place, je l'aperçus et me joignis à ce groupe auquel je fus présenté et l'ambiance alla tout de suite bon train. J'ai savouré ce succulent Poulet braisé accompagné d'Alocos. Les gars, il y'a Alocos et Alocos! Ceux d'Abdijan, croyez moi valent le détour! Nous avons passé des heures à table a rire de conneries avant de décider de nous rendre dans un club. Abdijan est vraiment une belle ville, propre et agréable que j'ai toujours plaisir à découvrir. Ces quelques jours loin de Dakar me faisaient déjà un bien fou. Le club où nous nous sommes rendus n'est pas si différent des clubs Dakarois sauf que l'ambiance y est 3 fois plus chaudes. Les ivoiriens ne blaguent pas, de vrais fétards! On se demande pourquoi on s'entend aussi bien! - hé mon pote! Je suis content ohh que tu sois là! On va casser la baraque!!!!! - Justin, calme toi, tu veux! Il fumait et buvait son whisky, ses activités favorites. Les 2 amis qui nous accompagnaient étaient en train de se chauffer sur la piste de danse avec des filles qu'ils connaissaient visiblement. Tout ceci sans aucun complexe. Justin lui, levait son verre vers un groupe de femmes assises un peu plus loin. Incorrigible ce gars! - tu vois mec, celles là sont les plus belles femmes de Cocody. Et il suffit d'avoir le portefeuille lourd pour en avoir une si tu vois ce que je veux dire. Ok. En gros ce sont des prostituées. Voilà ce que je devais comprendre. - tu sais que je ne fais pas dans ce genre là! Je ne fais plus dans les femmes de toute façon. - ah bon? T'as changé de camp? - t'es c*n ou t'es c*n? Il éclata de rire - tu as vu ta tête mon pote!!!! Justin voulait me provoquer comme d'habitude mais je ne pouvais m'empêcher de remarquer que ces femmes nous portaient une attention particulière et arboraient des sourires provocateurs. L'une d'elles, qui se tenait de dos, attirait par contre sans cesse mon regard sans que je sache pourquoi. Ses gestes, cette attitude, ce rire que j'entendais de temps en temps, m'intriguaient. - mec, je t'offre ton cadeau de bienvenue, juste une danse ou plus si affinités. Je vois qu'il y' en a une qui t'a tapé dans l'oeil. - laisse tomber justin! - juste pour le régal des yeux! Allez fais moi plaisir! Tu m'offenses en refusant! Wallaye comme vous dites chez vous! Non mais n'importe quoi! Je n'ai jamais fait ce genre de choses même quand j'étais un vrai tombeur, jamais je n'ai eu à payer pour avoit une femme! Et je n'avais vraiment pas la tête à ça! Justin ne me lachait cependant pas et cette femme que j'avais du mal à vraiment voir et dont je ne pouvais saisir le visage n'arrêtait pas de m'attirer comme un aimant. Je n'ai rien compris quand, revenant des toilettes, il me fit - c'est réglé mon pote. Elle est tout à toi! - quoi? Mais t'es taré! - allez, juste une danse! Je ne croyais meme pas que j'étais en train d'envisager ça serieusement. - Juste une danse! p****n, j'y crois pas! Quelques minutes plus tard, assis dans ce salon privé, je me disais que j'etais en train de faire une connerie et me rappelais alors les paroles de Salif. Je voulus me lever immédiatement pour quitter la pièce quand la porte s'ouvrit derriere moi et se referma tout doucement. Le bruit des talons me fit savoir qu'elle approchait. Une musique se fit entendre dans l'habitacle alors que la pièce se retrouvait plongée dans une lumière tamisée rougeâtre. La jeune femme marcha d'une démarche provoquante en se dandinant me tournant toujours le dos. Je retins instinctivement mon souffle quand je la vis se tourner et dégager son long tissage. Je faillis m'étrangler! Quoi????? C'est quoi cette m***e!!!! Je restais silencieux alors qu'elle paraissait aussi sous le choc. - KADIA! - TOI!