Chapitre 2

1034 Words
Gabrielle Je connaissais la véritable raison des entretiens de Martin. Moi… moi, encore moi. J’étais la dernière arrivée dans cette boîte, et j’étais, disons, devenue un objet de convoitise pour ces hommes qui, pour la plupart, avaient déjà couché avec mes collègues. Beaucoup d’entre nous faisaient bien plus que danser. Certaines étaient aussi des filles de joie. À la fin de nos prestations, il n’était pas rare qu’un client demande à passer le reste de la nuit avec l’une d’entre nous. Jusqu'à présent, Martin s'était toujours opposé à leurs multiples demandes me concernant. Il tenait à en avoir la primeur. J’étais en train d’enfiler mon pantalon quand la porte s’ouvrit avec fracas dans mon dos. - Tu peux bien jouer les saintes, mais tout le monde sait que t’es une p**e, dit Léna d’une voix froide, le regard venimeux. T’essaies juste de te vendre plus cher. Comme les autres fois, je décidai de l’ignorer. Je bouclai mon pantalon, saisis mon sac, puis me dirigeai résolument vers la porte, sans lui accorder le moindre regard. - Tu penses peut-être qu’en agissant comme ça, Martin voudra de toi ? poursuivit-elle d’une voix haineuse. Je la regardai enfin, d’un air hautain, avant de poursuivre mon chemin. - Arrête avec tes airs suffisants. T’es juste… Je lui claquai la porte au nez, bloquant net la fin de sa phrase. Je sortis du local par la porte de service et remarquai sans difficulté mon taxi qui m’attendait. Je vérifiai que la plaque d’immatriculation correspondait bien à celle indiquée par l’application Yango, puis montai à bord. Il était désormais six heures du matin. Je regardais la ville défiler sous mes yeux, le regard vide, chargé de mélancolie. Le trajet fut assez bref et nous étions déjà dans le quartier de Youpougon, où je logeais. - Merci, dis-je en descendant du taxi, après avoir réglé la course via l’application. Je longeai une petite allée et, une minute plus tard, j’étais devant la porte de mon appartement. J’y habitais depuis près d’un an, c’est-à-dire un mois après mon arrivée à Abidjan. J’étais arrivée dans ce pays en quête de paix, de renaissance et de sérénité, et je ne saurais dire si je les avais trouvées. Je vivais quotidiennement avec la peur. Je craignais à chaque instant qu’il ressurgisse et me ramène dans ma cage. Je me jetai sur mon lit après avoir ôté mes vêtements de travail et enfilé un t-shirt large et confortable. J’essayai de trouver le sommeil, en vain. Mes pensées se bousculaient dans mon esprit, refusant de me laisser en paix. Il me fallait trouver un autre travail rapidement. L’atmosphère au sein de celui-ci était devenue vraiment malsaine. Malgré un salaire minable, les pourboires étaient pourtant conséquents. Devenue très convoitée, je recevais beaucoup d’argent. La rumeur avait circulé auprès des clients : je ne couchais pas avec eux, je ne vendais pas mon corps. Du coup, les enchères avaient grimpé. Ils étaient prêts à tout pour être les premiers à briser cette invincibilité. " Chérie, je t’ai déjà expliqué les règles. Tu ne feras pas exception", m'avait dit Martin. Martin me tenait pour l’instant à l’écart des clients, mais simplement par égoïsme. Il avait apparemment l’habitude de coucher avec les danseuses avant de les « offrir » à la clientèle. Il semblait que je ne faisais pas exception. Cela m’arrangeait pour le moment, car cela me permettait de continuer à travailler, même si j’étais bien consciente que mes jours étaient comptés. Je n’avais aucunement l’intention de me plier à ce système. J’étais déjà passée par là par le passé, et j’en gardais un profond dégoût. J’essayais de vivre avec le strict minimum, afin d’économiser autant que possible pour le jour où il me faudrait partir. Dès ma sortie de l’aéroport, je m’étais dirigée vers ce motel où j’avais pris soin de réserver une chambre quelques jours plus tôt. Je m’étais immédiatement lancée à la recherche d’un emploi. J’avais sillonné les différents bars et restaurants de la zone. J’avais finalement été embauchée dans l’établissement de Martin. Au départ, mon rôle consistait à assurer le service aux tables. J’avais tout de suite été très appréciée et courtisée par les clients du bar. Ils revenaient chaque soir et dépensaient des sommes importantes, certainement dans le but de m’impressionner. Cela avait fait les affaires de Martin, d’un côté, mais cela avait eu exactement l’effet inverse sur mes collègues. Elles m’avaient détestée pour mon succès, et encore davantage lorsqu’elles avaient compris que je tenais à préserver ma dignité. J’étais consciente de ma beauté et j’avais toujours attiré les regards depuis mon adolescence. Un teint lumineux, une silhouette élancée aux formes généreuses, sans excès. J’avais cette grâce qui, je le savais, irritait plus d’un. Près de deux mois après mes débuts, une danseuse s’était licenciée. Martin m’avait alors proposé de la remplacer. Je m’y étais opposée, mais il m’avait menacée, me promettant un renvoi en cas de refus. J’avais donc dû céder. J’avais besoin de cet emploi. Au fond, je ne regrettais pas ma décision aujourd’hui, car cela m’avait permis de gagner encore plus d’argent. J'avais toujours adoré danser. Depuis ma plus tendre enfance, je répétais les chorégraphies des clips vidéo diffusés à la télévision nationale. Je m'étais rapidement adaptée à ma nouvelle mission et j'avais décidé de la considérer comme un travail ordinaire. Quand je montais sur scène, je vidais simplement mon esprit. Je survolais les regards envieux des clients et dansais en pensant que j'étais chez moi, devant l'écran de ma télévision. Cela me permettait d'accomplir ma tâche avec succès et d'être amplement récompensée à la fin de chaque tour de danse. Malheureusement, l'atmosphère au travail n'était pas saine. Martin attendait beaucoup plus que de simples pas de danse de moi. Me collègues me jalousaient de plus en plus, surtout Léna. Je soupçonnais cette dernière d'être secrètement amoureuse de Martin, ce qui compliquait encore plus la situation. Je pense qu’il était grand temps que je me mette à la recherche d’un autre emploi. J’aurais tant voulu travailler dans mon domaine, celui pour lequel j’avais passé des années assise sur les bancs. Mais comment y parvenir quand aucun de mes diplômes n’est à mon nom ? Il me faudra malheureusement tout recommencer à zéro.
Free reading for new users
Scan code to download app
Facebookexpand_more
  • author-avatar
    Writer
  • chap_listContents
  • likeADD