Christopher Koffi
J'emboîtai le pas à mademoiselle Nyaké pendant qu'elle longeait le couloir qui menait à l'entrée principale. J’eus à peine le temps d’y arriver que je me sentis happé par deux créatures : Nathalie, ma fille de douze ans, me tenant par la gauche, tandis que Léonie, neuf ans, était collée à ma droite.
Sans grande surprise, je découvris Merveille un peu en retrait, me regardant timidement. Elle était ma toute dernière, âgée de huit ans, et contrairement à ses sœurs, elle avait toujours de la peine à se laisser aller.
- Viens, ma chérie, lançai-je d’un ton encourageant en me tournant vers elle.
Elle sembla hésiter un bref instant, puis se décida finalement à courir se jeter dans mes bras. Je la serrai fort contre moi, tout en essayant de maîtriser ce sentiment étrange qui naissait en moi chaque fois que je la tenais ainsi.
- Ça va ? demandai-je avec douceur.
- Oui, papa, répondit-elle timidement.
Je relevai légèrement la tête, cherchant du regard la réaction de mademoiselle Nyaké. Je surpris son regard curieux posé sur nous. Je détournai simplement les yeux et les reportai sur mes filles.
- Les filles, voici madame Nyaké, annonçai-je d’un ton calme mais formel. Elle est candidate au poste de baby-sitter.
Je sentis leurs regards se tourner vers elle, pleins d’attention.
- Voici Nathalie, dis-je en désignant l’aînée. Elle a douze ans. Puis Léonie, neuf ans. Et enfin Merveille, la petite dernière. Huit ans.
- Bonjour les filles. Je suis ravie de vous rencontrer. Votre papa m’a parlé un peu de vous.
Mademoiselle Nyaké se dirigea vers les filles avec un franc sourire aux lèvres et leur tendit la main. Nathalie la saisis avec une certaine réticence. Comment lui en vouloir ? Elle en avait déjà vu des vertes et des pas mûres avec leurs prétendues baby-sitter. La majorité d'entre elles étaient concentrées à me séduire plutôt qu'à s'occuper d'elles.
Mademoiselle Nyaké se tourna ensuite vers Léonie et lui tendit la main.
La fillette tenait apparemment un stylo dans la main droite. Elle tenta de le transférer dans sa main gauche pour pouvoir répondre au geste de notre invitée, mais au moment de le faire, le stylo glissa de ses doigts et tomba au sol.
Léonie se pencha aussitôt pour le ramasser, mais dans sa précipitation, son sac à dos, mal refermé, bascula et s’ouvrit complètement. Une cascade d’affaires se déversa sur le carrelage : cahiers, une trousse, quelques papiers froissés et... un livre.
Léonie se précipita pour le ramasser tandis que Nathalie en faisait de même.
- C’est mon livre, lança Nathalie d’un ton sec. Je t’ai demandé hier si tu l’avais vu, tu m’as dit non !
- Je... je ne savais pas qu’il était tombé dans mon sac…, tenta lamentablement Léonie de se défendre
- Arrête de mentir, Léonie ! Tu fais toujours ça ! Tu crois que je suis bête ou quoi ?
- C’était pas exprès !
- Bien sûr que si ! Et ce n’est pas la première fois que tu me fais ce coup. Papa, elle l’a aussi fait avec mes stylos la semaine dernière, insista Nathalie en se tournant brusquement vers moi.
J’étais sur le point de répondre, quand Gabrielle, après un rapide regard dans ma direction, prit la parole d’une voix ferme.
- Hé, les filles, ça suffit, intervint-elle d’un ton autoritaire.
Je restai un instant sans voix, surpris par la fermeté naturelle de son intonation. Je décidai de ne rien dire, curieux de voir comment elle allait gérer la situation.
- Tu tiens beaucoup à ce livre, je comprends. Et tu as raison de vouloir qu’on respecte tes affaires, dit-elle en se tournant vers Nathalie. Mais je pense que ce n’était pas intentionnel de la part de Léonie, poursuivit-elle calmement. Il suffit parfois d’un moment d’inattention… et on oublie parfois de vérifier. Tu confirmes, Léonie ?
Léonie acquiesça, silencieuse, visiblement honteuse.
- Tu aurais dû lui dire que tu l’avais trouvé dans ton sac, reprit Gabrielle. Ça t’aurait évité toute cette tension.
Nathalie souffla bruyamment, croisant les bras avec agacement.
- Elle fait toujours ça, madame, lança-t-elle d'un ton hargneux.
- Peut-être, admit Gabrielle en se tournant vers Léonie. Mais je pense qu’elle a compris qu’elle devra être plus attentive désormais.
- Oui, madame, murmura Léonie.
J’eus presque envie de rire devant l’air soudainement innocent de ma fille. Léonie était une farceuse née. Et là, je la voyais clairement jubiler intérieurement de s’en sortir à si bon compte. N’eût été l’intervention de mademoiselle Nyaké, elle aurait certainement passé un sale quart d’heure avec sa sœur aînée.
Léonie rangeait à présent ses affaires sans bruit. Nathalie par contre, semblait sur le point de sortir de ses gonds.
Un silence pesant s'installa entre nous. Mademoiselle Nyaké lissa des plis imaginaires sur sa jupe et se tourna ensuite vers moi.
- Je suis désolée pour cette petite scène, dit-elle avec retenue.
Je hochai la tête, les bras croisés.
- Au contraire. Vous avez bien réagi.
Je lançai un bref regard à mes filles.
- Très bien, les filles, allez dans vos chambres maintenant. On en reparlera plus tard.
- D'accord, papa, répondirent docilement Léonie et merveille avant de s’éloigner, après avoir adressé un petit au revoir poli à Gabrielle. Nathalie en revanche, s'éloigna sans un regard pour sa nouvelle nounou.
Je les regardai disparaître dans le couloir avant de reporter mon attention sur elle.
- Vous avez du sang-froid. Ce n’était pas évident comme première approche, mais vous vous en êtes bien sortie.
Elle ne répondit pas tout de suite. Elle semblait soulagée, mais prudente.
- Merci, monsieur, dit-elle finalement.
Je hochai la tête.
- Je vais vous engager.
Je vis la surprise traverser brièvement son visage.
- Merci beaucoup, monsieur. Je ne vous décevrai pas.
- Je l’espère. Dites-moi, mademoiselle Nyaké, quand comptez-vous commencer ?
- Euh… je ne sais pas. Aviez-vous une idée en tête ?
- Le plus tôt possible, répondis-je, sans détour. Demain, si cela vous est possible.
Je la vis tressaillir légèrement, prise de court.
- Demain… ? Ce serait un peu rapide. Je ne m’attendais pas à commencer aussi vite.
- Avez-vous des contraintes particulières ? demandai-je, tout en gardant un ton calme.
- En réalité… oui. Je loue une petite chambre en ville. Si je commence ici demain, je dois d’abord prévenir le propriétaire et organiser mon départ. Je ne peux pas partir du jour au lendemain sans rien régler. Et pour être franche avec vous, je suis un peu inquiète.
- De quoi, exactement ?
Elle sembla hésiter un bref moment, mais se décida à répondre.
- De tout quitter et de me retrouver dehors si jamais vous décidiez, après quelques jours, de mettre fin à ma période d’essai, lança-t-elle d'une traite.
Je comprenais mieux.
- Je vois. Mais ici, les choses sont simples. Si vous êtes compétente, respectueuse, et que mes filles sont bien entre vos mains, vous resterez. Vous n’avez pas à craindre des décisions arbitraires.
- Merci, monsieur. Je vous crois.
- Alors faisons ainsi, proposai-je. Venez demain matin. Faites une journée d’essai. Vous rentrerez le soir chez vous, et si de part et d’autre les choses se passent bien, vous reviendrez avec vos affaires après-demain. Ça vous va ?
Elle poussa un soupir de soulagement.
- Oui. C’est parfait. Merci beaucoup.
- Bien. Huit heures. Soyez à l’heure.
- Je le serai.
Elle se leva, me salua une dernière fois avec respect, et quitta la pièce.
Je poussai un profond soupir une fois la porte refermée. Avais-je fait le bon choix ? Je l’ignorais encore. Mais une chose était sûre : le bien-être de mes filles passait avant tout. J’espérais simplement ne pas m’être trompé.