Gabrielle
J’étais actuellement au " Jardin des tentations ", dans ma loge, à me faire pouponner en attendant mon prochain passage.
- Je pense que ça devrait aller, lança la maquilleuse d'un air satisfait.
- Merci Stella, répondis-je en me levant.
Je sortis de ma loge et trouvai Martin à m'attendre.
- À toi de jouer ma belle, s'écria-t-il d'un ton satisfait.
Il était tout simplement surexcité. La soirée dépassait toutes ses attentes. La salle était pleine comme un œuf. Les serveuses ne cessaient de s’agiter, et le champagne coulait à flots. Que demander de plus ?
- Mesdames et messieurs, préparez-vous, l’étoile de la soirée fait son grand retour sur scène ! Accueillez-la comme il se doit, la seule, l’unique : Gabyyyyyyy.
J’entendis la voix du speaker résonner dans la salle. Je courus et me positionnai exactement sous le faisceau de lumière qui m’éclairait au moment où le rideau se levait. Mon cœur battait de façon désordonnée. Je me demandais une fois de plus combien de temps je tiendrais encore sous cette forte pression : Martin, qui refusait de lâcher prise et s’impatientait de m’avoir enfin dans son lit pour pouvoir me présenter à sa clientèle ; Lena, de son côté, qui n’arrêtait pas ses attaques. Je commençais sérieusement à saturer.
Le rideau commença à se lever lentement pendant que je prenais la posture adéquate pour donner l’effet souhaité.
Les premières notes de musique s’élevèrent pendant que j’amorçais mes premiers pas de danse. Je m’efforçais de suivre le rythme avec souplesse. Je m’élançai vers la barre, et mon pied droit heurta un fil tendu, presque invisible sous la lumière du projecteur. Je trébuchai, tandis que les battements de mon cœur s’emballaient dans ma poitrine. Que faisait ce fil-là ? Il n’aurait jamais dû y être.
Je me repris et m'efforçai de ne rien laisser paraître de mon angoisse intérieure. Je poursuivis mes mouvements, me forçant à modifier totalement ma chorégraphie. Le moindre geste mal calculé, et la chute était assurée.
J’arrivai au terme de ma chorégraphie improvisée et m’élançai vers la salle. Vers ces hommes dégoûtants, au regard chargé de luxure, qui ne demandaient qu’à promener leurs mains baladeuses pendant qu’ils glissaient des billets ici et là.
J’avais envie de vomir chaque fois que je m’approchais d’eux, mais je n’avais pas le choix. Mon salaire était misérable, et seuls ces pourboires faisaient la différence.
Je réussissais à tenir en me répétant, comme un mantra, que ce boulot n’était que temporaire.
Je me dirigeai vers la première table, après celle où je m’étais arrêtée lors de ma prestation précédente, et m’attardai un instant à prodiguer ces attouchements subtils dont j’avais le secret.
Je poursuivis mon petit tour dans la salle, puis retournai sur la piste. Après un dernier tour de danse, en évitant habilement ce fil malencontreusement tendu, je disparus enfin vers ma loge.
- Hé ma chérie, que s'est-il passé tout à l'heure ? demanda Martin en venant vers moi, dès que le rideau fut baissé.
Il arriva à ma hauteur et, comme à son habitude, se mit à promener ses mains sur mon corps. Il les posa ensuite sur mes fesses et tenta de les presser, tout en me rapprochant de son bassin. Un profond sentiment de dégoût m’envahit à cet instant.
Les choses devenaient de plus en plus compliquées pour moi. Je savais bien que je tirais déjà un peu trop sur la corde, et qu’elle finirait par céder d’un moment à l’autre. Martin était désormais très entreprenant avec moi, et je sentais qu’il frôlait la limite de sa patience.
- Euh, tout va bien. J’ai simplement fait un faux pas, dis-je en me soustrayant à ses caresses, ce qui sembla fortement l’irriter.
Je me dirigeais vers ma loge quand je me sentis brusquement bousculée. Je levai la tête et croisai le sourire espiègle de Léna.
- Tout va bien, Gaby ? lança-t-elle d’un air moqueur, une lueur mesquine au fond des yeux.
Je l’ignorai et poursuivis mon chemin. Je n’avais pas besoin d’être devin pour deviner qui était à l’origine de ce fil. Le pire, c’est que Léna n’était ni assez maligne, ni assez compétente pour avoir fait ça toute seule. Ce qui fit naître en moi un frisson d’effroi. Elle avait certainement un complice parmi le personnel technique, dissimulé derrière les coulisses.
Ce qui m’effrayait encore davantage, c’était de ne pas savoir quel serait leur prochain coup pour me déstabiliser. Il était évident que Léna me voulait hors d’ici. Elle voulait Martin pour elle, et j’étais devenue, pour lui, une sorte de défi. Il avait couché avec des filles sous ses yeux, mais cela ne semblait pas la déranger. En revanche, l’obsession qu’il avait développée pour moi l’incommodait profondément.
Notre monde regorgeait de filles faciles, et jamais il n’avait rencontré autant de résistance. Je ne devais pas devenir l’exception.
J'entrai dans la loge et refermai la porte à double tour. Je ne voulais en aucun cas être prise au dépourvu par Martin, Léna ou qui que ce soit d'autre. Je commandai un Yango (taxi sur commande) et entrepris de me déshabiller. Rapidement, je troquai mes vêtements de scène contre ceux de ville, puis sortis de ma loge… pour me retrouver face à Martin, la main posée sur la poignée.
- Où vas-tu ? demanda-t-il.
- J'ai fini. Je rentre chez moi.
- Oh non, ma jolie, tu vas me suivre dans mon bureau, lança-t-il, le regard empli de luxure, levant la main pour caresser ma poitrine.
- Euh, Martin, je ne peux pas. Je dois y aller.
- Je...
Il dut s’interrompre, coupé par la sonnerie incessante de mon téléphone.
- Allô, madame ? Je suis Crépin, de la part de Yango, je suis dehors, je ne vous vois pas.
- J’arrive.
Je reposai mon téléphone dans mon sac.
- Désolée, je dois y aller, dis-je à Martin, qui crispa les mâchoires, visiblement frustré.
Je me faufilai rapidement et courus presque vers la sortie arrière du local. Là, un taxi était bien stationné. Je vérifiai rapidement que la plaque d’immatriculation correspondait bien à celle du véhicule que j’avais commandé, avant de monter à l’intérieur.
Je saluai le chauffeur d’un signe de tête, puis me laissai glisser contre le siège, le cœur en tumulte.
Un mois était passé depuis ce fameux épisode. J'avais réussi à éviter de me retrouver seule à seul avec Martin. J'étais bien consciente que cette situation ne durerait pas éternellement.
J’étais dans ma loge, prête pour le show. J’avais enfilé mon costume pour la soirée, puis je m’étais dirigée vers la salle de spectacle. J’étais là, immobile, tandis que le rideau se levait lentement et que les premières notes de musique s’élevaient dans l’air. Mon cœur rata un battement lorsque je réalisai qu’il s’agissait d’un morceau sur lequel je ne maîtrisais absolument pas les pas.
Bon sang, encore un coup de Léna ! Ça commençait sérieusement à bien faire. J’en avais vraiment assez. La situation devenait de plus en plus invivable.
Que faire ? Je me mis à improviser quelques pas de danse, mais je ne m’attardai pas trop sur scène. Je préférais me déplacer entre les tables, histoire de faire passer le temps jusqu’à la fin du morceau.
J’esquissai un dernier pas de danse et disparus comme j’étais apparue. J’avais essayé de danser d’un pas léger, mais je sentais une fureur sans pareil m’envahir.
Il fallait que je m'en aille, au risque de commettre un meurtre. Heureusement, c'était mon dernier passage de la soirée.
Je me dirigeai vers ma loge et entrepris immédiatement de me changer. J'étais sur le point de m'asseoir sur mon fauteuil dans le but de me démaquiller quand je remarquai une aiguille plantée là !
C'était trop ! Je sortis de ma loge avec rage et me dirigeai d'un pas résolu vers celle de Léna. J'ouvris la porte avec fracas et la découvris en train de se faire maquiller.
- Léna, dis-je d'une voix cassante, je commence à en avoir assez.
Elle émit simplement un petit rire moqueur et me répondit d'une voix malicieuse :
- De quoi parles-tu ?
- De ceci, répondis-je avec rage en saisissant la bouteille de Coca-Cola qu'elle était en train de consommer, que je renversai entièrement sur elle, ruinant ainsi son maquillage et son costume de scène.
Elle se regarda avec horreur dans la glace et se leva précipitamment en se dirigeant vers moi. Arrivée à ma hauteur, elle essaya de m’asséner une gifle.
Je la bloquai dans son mouvement en saisissant fermement son bras.
- Ce n’était qu’un avertissement, dis-je d’une voix froide. La prochaine fois, tu me sentiras passer, crois-moi.
Je la poussai, et elle atterrit rudement sur ses fesses. Je lui donnai un dernier coup de pied avant de sortir de sa loge. Il fallait vraiment que je m’en aille d’ici.
Léna n’avait cessé d’enchaîner les coups : mon costume déchiré juste avant le spectacle, les fausses rumeurs selon lesquelles je couchais avec les clients dans le dos de Martin, l’empêchant d’obtenir sa commission sur ces prestations d’un autre genre et j'en passe... Mais ceci, c’était de trop !