Monster

Souvenirs

*Flash* Le regard désespéré d'un homme aux yeux d'argent. *Flash* Le cri de détresse d'une mère. *Flash* Les pleurs terrorisés d'une enfant-louve. *Flash* Le rire sadique d'une femme aux cheveux rouges. *Flash* Une maison en flamme.

Je me réveillai en sursaut, le sang séché tirant sur mes blessures encore à vif me fit grimacer. Pendant un instant, je restais allongée là où je m'étais endormie, tentant d'apaiser les battements de mon cœur. Puis, avec un soupir douloureux, je me relevais lentement et avançais d'un pas incertain vers la petite salle de bain attenante à ma chambre. J'ouvris machinalement le robinet d'eau afin de remplir la baignoire. Utiliser la douche était hors de question. Rien que l'idée du jet d'eau frappant mon dos me fit frissonner. Le temps que l'eau coule, j'en profitais pour mesurer les dégâts. Les plaies de mon dos avaient été profondes. Ma louve avait épuisé énormément de pouvoir pour me protéger pendant ma visite chez Ivana et n'avait donc plus l'énergie suffisante pour terminer le processus guérison. Certaines saignaient encore et chaque mouvement était douloureux. La journée allait être longue et mes cauchemars n'avaient fait qu'empirer la fatigue qui pesait sur moi. Cela faisait longtemps que je n'avais pas rêvé du passé.

Mon bain prêt, je m'immergeais centimètre par centimètre dans l'eau chaude en serrant les dents. Ma louve, inquiète, geignait doucement dans un coin de mon esprit. Une fois mon dos recouvert, le sang commença à se diffuser dans l'eau lui donnant une teinte rougeâtre écœurante. Essayant de me détendre, je fermais les yeux. A peine mes paupières s'étaient refermées que les fantômes de mon rêve revinrent me hanter. Les yeux déterminés de mon père qui se préparait au combat, la détresse dans la voix de ma mère qui me demandait de fuir dans la forêt qui entourait notre cabane. Un groupe de loups-garous enragés fonçant dans notre direction, menés par une louve aux yeux rouges sang.

J'étais très jeune à cette époque, peut-être cinq ou six ans. Terrorisée, j'étais partie me réfugier sous les buissons les plus proches, incapable néanmoins de m'éloigner de mes parents, ni de détacher les yeux de la scène d'horreur qui se déroulait devant moi.

Nous avions toujours été seuls. Pas de meute ou d'amis pour nous porter secours, nulle part où se réfugier. Nous étions seuls, j'étais seule. Je n'avais pas encore rencontré ma louve, ça ne devrait pas arriver avant des années. Bien que parfois, je sentais sa présence sans pouvoir communiquer vraiment. Nos assaillants avaient encerclés mes parents qui s'étaient transformés. Ma mère et son beau pelage couleur miel, et mon père avec ses yeux argents et son pelage noir comme la nuit, des caractéristiques que j'avais hérité de lui. Grondant et claquant des mâchoires, ils essayaient de repousser les loups qui leur faisaient face, mais ils étaient trop nombreux. La louve aux yeux de sang se transforma pour laisser place à une femme superbe aux longs cheveux rouges. La froideur de son regard et la jubilation qui exsudait de sa voix étaient glaçants.

"Je t'ai enfin retrouvé, mon amour. C'est donc pour ça que tu t'es refusé à moi ? Une cabane dans les bois et une compagne miteuse !"

Elle éclata de rire et mon père fonça dans sa direction, mordant, déchirant et tuant tous ceux qui se mettaient en travers de son chemin. Soudain, un glapissement de douleur de ma mère plaquée au sol par l'un des sbires de la louve le coupa dans son élan et il fut vite immobilisé par trois de nos attaquants.

"Allons, allons, tu ne voudrais pas qu'on exécute ta chère et tendre ? Reviens-moi et peut-être la laisserons-nous en vie."

Alors que mon père jeta un regard triste à ma mère, prêt à tout pour la sauver d'une mort atroce. Un des mâles du groupe sortis de notre maison sous sa forme humaine, ma poupée à la main.

"Luna, il semblerait qu'il y ait une gamine qui vive ici."

Les yeux verts de la femelle virèrent brusquement au rouge, emportée par la rage, elle était en train de perdre le contrôle de sa louve.

"Où est-elle ?

- Aucune idée, j'ai fouillé dans toute la cabane, mais elle est introuvable.

- Fouillez les bois, elle ne doit pas être bien loin !"

Cinq d'entre eux s'enfoncèrent dans les bois à ma recherche. Mes parents se débattaient furieusement à présent. Jamais ils n'auraient permis que l'on pose ne serait-ce qu'une griffe sur moi. Leur lutte semblait amuser grandement la Luna. Elle s'approcha lentement de mon père et s'accroupi près de lui sans prêter attention à ses tentatives pour la mordre. Elle lui chuchota quelque chose à l'oreille. J'étais trop loin pour entendre, mais le grondement furieux qui émanait de lui en disait long. La femme se redressa et, un sourire narquois sur les lèvres, donna l'ordre tant redouté.

"Tuez-les !"

Soudain quelque chose en moi céda et l'impossible se produisit. Je changeai. Un instant auparavant, j'étais une petite fille apeurée, cachée dans les fourrés, la seconde d'après j'étais un louveteau enragé qui fonçait en grondant vers l'horrible femme. Mordant, griffant, déchirant. Un rire sadique éclata et elle m'attrapa par la peau du cou pendant que je continuai à me débattre.

"Et bien, en voilà une petite louve acharnée. Merci de m'avoir fait gagner un temps précieux en te montrant. Maintenant regarde bien, car à partir d'aujourd'hui tu m'appartiens."

Vaincue, je revins à ma forme humaine. Des larmes de terreur coulaient sur mes joues, tandis que je croisais le regard paniqué de mon père et que les hurlements de désespoirs de ma mère me pétrifiaient. Un ultime signe de tête de la femme et tout était terminé.

"Brûlez-moi ces chiens et tout ce qui leur appartient."

Alors que je regardais partir en fumée tout ce que j'avais connu dans ma courte existence, je pris conscience que je n'avais plus personne, que j'étais à la merci du monde. C'est à ce moment-là qu'une voix résonna dans ma tête.

"Tu n'es pas seule, nous sommes ensemble.

- Ensemble…

- Toujours"

Et tandis que mon ancienne vie partait en fumée, nous nous fîmes cette promesse. Ce serait la dernière fois que je verserai une larme. Ma louve et moi, unies pour toujours.