Chapitre 1
Une jeune femme infiltrée dans un réseau d'escort à Dubaï, déterminée à découvrir la vérité sur la mort de sa sœur, se retrouve propulsée malgré elle au cœur du cercle fermé du pouvoir et du désir.
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Les réseaux sociaux étaient enflammés.
Un corps. Une jeune femme. Un hôtel cinq étoiles.
Des photos floues circulaient déjà, des rumeurs en boucle, des commentaires sordides.
Encore une escort étrangère morte à Dubaï.
Elle l’avait sûrement cherché.
Overdose ? Suicide ?
Les journaux officiels parlaient d’un « incident tragique ».
La police locale d’un « malheureux accident ».
Mais pour Elina, il n’y avait qu’une vérité : sa sœur était morte, et personne ne paierait.
Sofia avait vingt-quatre ans. Un sourire trop grand pour ce monde, une voix douce, un rêve de luxe qu’elle croyait sans danger.
Elle était partie six mois plus tôt avec une promesse de travail dans l’hôtellerie de luxe. Elle avait envoyé quelques messages, quelques photos, une fois ou deux. Puis, plus rien. Et maintenant… un cadavre dans une robe fendue, un sac de marque sur l’épaule, une trace de sang sur les pavés blancs.
Elina n’avait pas pleuré. Pas tout de suite.
Elle avait juste cessé de dormir. Et de respirer normalement.
Puis elle avait cherché. Fait parler les rares contacts de Sofia. Récupéré ses affaires. Lu ses derniers messages.
Et compris.
Sofia avait découvert quelque chose qu’elle n’aurait jamais dû savoir.
Et quelqu’un, là-bas, avait décidé de la faire taire.
Le ciel était gris sur Genève quand Elina boucla sa valise.
À l’intérieur, quelques robes chères, un foulard en soie, des talons qu’elle ne portait jamais… et une photo.
Sofia, en train de rire sur une terrasse en été. Le vent dans les cheveux. La légèreté d’une vie encore intacte.
Elina la rangea entre deux doublures, comme un talisman.
Quand elle releva la tête, son reflet dans le miroir lui parut déjà flou.
Elle n’était plus la même.
Elle allait disparaître un temps. Prendre un autre nom. Jouer un rôle.
Pas pour fuir.
Pour chercher la vérité. La justice. Ou peut-être la fin.
L’aéroport était presque vide quand elle franchit les portes, silhouette longue sous son trench beige, lunettes noires sur les yeux malgré la pluie.
Un homme la regarda brièvement. Elle ne le vit même pas.
Ses pensées étaient ailleurs. Là-bas.
Dans ce pays de sable et de silence, de pouvoir et de secrets.
Là où sa sœur était morte. Là où elle irait mourir aussi, s’il le fallait.
Mais avant ça, quelqu’un allait parler.
Ou tomber.
Je t’ai promis, murmura-t-elle en posant la main sur sa valise. Je tiens toujours mes promesses.
Et Dubaï l’avala.
Elina Meyer avait vingt-six ans, la beauté froide de celles qui ne cherchent plus à plaire. Des traits sculptés, un regard d’acier bleu glacier qui trahissait une intelligence vive et une colère contenue. Grande, élancée, toujours droite, même quand le monde semblait vouloir la briser. Elle avait appris à se taire, à observer, à analyser. Graphiste indépendante en Suisse, elle vivait dans un petit appartement à Genève, entourée de silence et d’ombres, depuis que Sofia était partie.
Ce n’était pas une femme de lumières, Elina. C’était une femme de stratégie.
Et à présent, elle n’avait plus rien à perdre.
Sofia Meyer, elle, était son opposée. Vingt-quatre ans, solaire, douce, spontanée. Un rire qui éclatait sans prévenir, un visage de poupée aux yeux noisette pleins d’envie. Moins méfiante, plus naïve peut-être, elle croyait encore que le monde pouvait lui appartenir. Elle rêvait de voyages, de robes haute couture, de plages privées et de selfies en yacht.
Quand elle avait eu l’offre pour partir à Dubaï, elle avait cru que c’était une chance.
Elina, elle, avait senti l’arnaque, mais Sofia lui avait souri :
— T’inquiète pas pour moi. Je suis grande. Et je suis maligne.
Elle l’était, oui. Mais pas assez pour survivre à ce qu’elle avait découvert.
Pas assez pour échapper à ceux qui l’ont fait taire.
Aujourd’hui, Elina porte son deuil comme une armure.
Et dans chaque battement de cœur, il y a la mémoire de sa sœur.
Et la promesse de faire tomber ceux qui l’ont détruite.
Elina n’avait jamais voulu de cette vie.
Celle du mensonge, du maquillage qui camoufle les vérités, des regards en coin, des promesses sous contrat.
Elle avait toujours préféré la discrétion au luxe, l’authenticité au clinquant.
Mais pour venger Sofia, elle était prête à plonger dans un monde qui n’avait jamais été le sien.
Elle avait étudié les femmes qui gravitaient autour du pouvoir à Dubaï.
Les profils sur i********:. Les soirées privées. Les escortes de luxe et les épouses invisibles.
Elle avait tout appris. La démarche. Les codes. Les silences.
Elle avait contacté une agence discrète. Donné un faux nom.
Et quand on lui avait demandé si elle avait de l’expérience dans l’accompagnement haut de gamme, elle avait menti avec un sourire calme :
— J’ai tout ce qu’il faut. Je suis prête à tout.
Elle ne cherchait pas l’argent.
Elle cherchait l’accès.
Le nom de celui que Sofia avait peut-être nommé dans un dernier message effacé.
Le cercle qu’elle avait effleuré, juste avant de disparaître.
Et au centre, un homme puissant. Intouchable.
L’Émir Hamdan Al-Maktari.
Ou plutôt, quelqu’un de sa famille.
Elle s’était engagée par la même agence que sa sœur.
Cette agence avait fait croire à Sofia qu’elle allait travailler dans un hôtel de luxe.
Mais en vrai, elles étaient recrutées pour aller être des escorts.
Et impossible d’en sortir.
L’avion venait d’atterrir à Dubaï.
Une voiture de l’agence venait la chercher pour la conduire.
Le hall des arrivées était noyé de chaleur et de marbre. L’air conditionné tentait d’étouffer les odeurs de sueur et de parfum, mais Dubaï avait cette façon de coller à la peau, dès les premiers pas. Elina serra la lanière de son sac, les yeux à l’affût.
Un homme tenait une pancarte : Mila Varnier.
Il portait une chemise noire parfaitement repassée, aucun sourire. Il ne chercha pas à confirmer son identité par une question. Il ouvrit la marche, silencieux. Elina le suivit sans un mot. Les battements de son cœur résonnaient plus fort que ses talons sur le sol brillant.
La voiture était une berline noire, vitres teintées, moteur déjà allumé. À l’intérieur, l’air était glacé.
— Hôtel ? demanda-t-elle doucement, en s’installant à l’arrière.
L’homme jeta un œil dans le rétroviseur, haussa un sourcil.
— Pas d’hôtel. L’appartement d’accueil.
Elina pinça les lèvres. Elle savait déjà que l’hôtel n’était qu’une façade. Comme tout, ici. Elle hocha la tête, sans insister. Le chauffeur ne parlerait pas davantage.
Le trajet se fit en silence. À travers les vitres, les tours de verre défilaient, la ville s’étirait comme une vitrine hors de prix. Dubaï brillait sous le soleil du Golfe. Et elle, elle allait y entrer par la porte de service.
Après une trentaine de minutes, ils quittèrent les grands axes pour s’enfoncer dans un quartier résidentiel. La voiture s’arrêta devant une tour aux lignes modernes, élégante mais discrète. Une femme attendait déjà sur le trottoir. Tailleur beige, tablette à la main, lunettes noires.
— Mila Varnier ? Bienvenue, dit-elle sans sourire. Je suis Leïla. L’agence t’installe ici pour le moment.
Elina descendit, son sac à la main. Le bâtiment semblait calme, trop calme.
— C’est un hôtel particulier ? demanda-t-elle.
— Non. Une résidence privée. Toutes les filles logent ici. Tu ne quittes les lieux que sur convocation. Tu as une garde-robe dans ta chambre, des consignes précises, un code d’accès. Pas de visite, pas de bruit. Si tu veux de l’intimité, ferme la porte et tais-toi.
Le ton était sec, professionnel.
— Combien sommes-nous ? demanda Elina, en entrant dans le hall immaculé.
— Assez pour qu’on oublie ton vrai nom, pas assez pour qu’on oublie ta performance. Ici, tu es Mila. Point.
Elle la mena vers un ascenseur qui s’ouvrit en silence. Quatrième étage. Appartement 406.
À l’intérieur, un décor froid, presque trop parfait. Une grande baie vitrée, un lit double, une penderie pleine de robes, de talons, et un tiroir rempli de maquillage.
Sur le lit, un téléphone flambant neuf et une fiche de règles.
Leïla tendit une carte.
— Appelle ce numéro en cas d’urgence. Mais sache que chez nous, on n’aime pas les urgences. Bonne installation.
Et elle s’en alla, sans un mot de plus.
Elina resta seule.
Elle posa sa valise, ouvrit la fenêtre sur la ville dorée, et murmura :
— Sofia, j’espère que je vais trouver ce que tu n’as pas eu le temps de me dire.
Son téléphone vibra.
Elle sursauta légèrement. L’écran affichait un numéro inconnu.
A suivre