Chapitre 4 – Crew

1568 Words
Chapitre 4 – Crew Règle n°2 : n’oublie jamais que rien n’est éternellement acquis. La route devant moi trace une courbe parfaite qui sépare en deux déserts de neige les pourtours de la ville de Weber. Perdu dans mes pensées, j’appuie sur la pédale d’accélération, savourant le sifflement du turbo et la propulsion de ma bagnole. Le moteur ronronne sous le capot, mes pensées m’engloutissent, la colère m’anime encore. Je peux revoir les larmes de Kendra, entendre chacun de ses cris, et si j’étais bon peintre, je pourrais esquisser les traits de fureur qui déformaient sa beauté inégalable. Si je ne m’attendais pas à une standing ovation de sa part, je dois bien avouer que je ne pensais pas à ce qu’elle pète un câble, encore moins à voir l’étincelle de dégoût briller dans ses yeux. La savoir mal pour un clochard en moins sur cette terre me rend malade, mais pour ce fils de p**e en particulier, ça me dépasse. Il l’a violée p****n ! Comment peut-elle le chialer, me juger pour l’avoir vengée, pour lui avoir rendu le bonheur d’une liberté retrouvée ? Je me demande comment elle peut être incapable de s’imaginer la fierté qui a déferlé en moi quand je l’ai vu s’enflammer. Ivresse des sens, lueur d’espoir, soulagement grandiose, arrogance satisfaite, vengeance accomplie. Je l’avais fait, rien d’autre ne m’importait alors que je matais la torche humaine courir à travers la plaine. Je l’ai fait. Je l’ai cramé, je l’ai réduit en cendre, j’ai enfumé les Blackmerde. Ils méritent tous de brûler dans les méandres des enfers, et je compte bien achever mon œuvre. Ils y passeront tous, un par un, jusqu’à ce que l’air de Logen ne soit plus respirable, jusqu’à ce que la fumée étouffe les mères de ces sales rejetons de l’humanité. Elle a peur des représailles, elle a peur des flics et des réponses que l’enquête leur apportera. Elle a peur que je croupisse derrière les barreaux, sauf que ça n’arrivera pas. J’ai assez confiance en moi pour éviter la taule, j’ai assez analysé le fonctionnement des autorités et de la ville pour comprendre qu’à Logen, rien ne sera fait pour une pourriture de seconde zone. Pied au plancher, je jure quant à sa réaction disproportionnée. Je lui avais déjà signifié que mon monde n’avait rien de doux, que les compromis dans cet univers n’existaient pas. Le papotage et les réconciliations n’ont pas de place dans les gangs, encore moins quand un marché aussi juteux que celui de la vente de stup’ est en jeu. Sur le siège passager, mon portable sonne, m’annonçant l’arrivée d’un texto. Je ralentis en arrivant à l’entrée de la ville, et d’une main, attrape le cellulaire. Ce n’est pas Kendra, comme j’avais osé l’espérer, mais une adresse envoyée par A. Un motel, au nord-est de Weber, indique mon GPS. En m’arrêtant sur le parking, j’observe les lieux, inquiet par les mots qu’il m’a hurlé au téléphone. Motel miteux au châssis de portes défraîchis, murs de briques dégueulassées de terre et de poussières, endroit coupé de la ville et de ses beaux quartiers, lieu glauque isolé de toute civilité qu’Aaron a dû trouver en urgence. L’endroit idéal pour tuer sans avoir peur de faire hurler sa victime, lieu parfait pour dissimuler un corps. “J’ai fait une énorme connerie, rapplique-toi”. Il était inévitable qu’il débarque ici pour venir la chercher. Je me doutais qu’elle n’allait pas l’accueillir à genoux la bouche ouverte, prête à le s***r, mais j’avais espéré que les choses se passent au mieux pour mon frère. S’il a commis l’irréparable en butant la génitrice d’Amy, elle a été abjecte en embarquant leur môme loin de lui. 1 - 1. Balle au centre. Depuis qu’Amy est entrée dans la vie d’A, tout a changé. Parce que A n’est plus vraiment ce mec froid et sans pitié, il est devenu cet homme au cœur tendre de Lover, prêt à tout pour défendre et récupérer celle qu’il aime. Parce que les Cobra sont passés au second plan de sa vie, et que moi, je suis devenu leur entremetteur alors que je ne suis pas capable de trouver les mots justes face aux prises de tête de ma nana. Un soupir m’échappe, et je fouille le vide-poche pour attraper mon paquet de clopes. J’inhale la fumée, la recrache dans l’habitacle et tente de me détendre avant de découvrir la raison de ma venue ici. A est impulsif, sanguin, et ne chipote pas quand un détail le brusque dans ses idéaux. Tout doit aller comme il l’entend, et quand bien même un obstacle l’empêche d’avancer, il ne réfléchit pas, il ne l’enjambe pas non plus. Il se bat, il lutte, il tue et il récupère son dû. Et c’est là que l’inquiétude commence à poindre en moi, parce que je ne tolérerai pas la violence sur une femme, qu’elle vienne de A ou non. ∞ Après avoir grimpé une série de marches métalliques, j’accède à la série de portes qui s’étend à ma droite. J’avance, cherchant le numéro 12, m’arrête devant et tape. Coup donné sur le bois usé, je me retourne vers la balustrade et attends qu’il vienne m’ouvrir, les pensées aussi noires que les nuages sombres qui couvrent le soleil. Je ne sais pas comment je vais gérer de front leur couple, les Cobra, et Kendra. Je ne peux pas la laisser me filer entre les doigts, je ne peux pas imaginer un seul instant un avenir dans lequel elle n’est pas. J’ai fait une sacrée connerie en lui disant de déguerpir de ma vie, mais je suis trop têtu pour lui écrire et lui présenter des excuses. Alors, j’attendrais de rentrer à Logen, et je l’embrasserais avant de lui prouver à quel point je l’aime. Parce que les mots n’ont jamais autant d’impact que les actes, et que l’amour est ce sentiment que l’on doit prouver, travailler pour qu’il puisse exister. Un grincement dans mon dos me sort de ma léthargie et, quand je me retourne, c’est pour faire face à A. Traits tirés par la fatigue, joues creusées et regard de tueur, il ne m’adresse pas un sourire, non, mais l’accolade qu’il me donne quand il ouvre la porte vaut tous les mots qu’on ne s’est pas échangés sur le mois passé. Aaron et moi, c’est bien plus qu’une amitié. Lorsque j’ai intégré le gang, il n’avait pas l’air ravi de ma présence. Mais Bugsy l’a obligé à me prendre sous son aile et me traîner partout où il allait. Si au départ il me charriait en me nommant “Coton-tige”, qu’il riait quant à mon inexpérience, entre lui et moi est né un lien fort et indestructible. Un pacte signé de notre sang : jamais l’un sans l’autre. Si j’ai froid, lui tremble. S’il est malade, c’est moi qui gerbe. Si je me blesse, lui saigne. S’il est nerveux, c’est moi qui ai le cœur qui bat. Frère de cœur, frère de gun, frère de crime, mais pas seulement. Nous sommes notre famille, notre meilleur ennemi, et notre pire allié. Lui seul peut m’arrêter d’un flingue sur le front, comme moi seul pourrais le buter sans sourciller. — Entre. J’emprunte ses pas et entre dans la chambre. Petite, merdique et sale, l’odeur nauséabonde de clope me prend au nez. — C’est pas interdit de fumer à l’intérieur, normalement ? A hausse les épaules et referme derrière moi tandis que je cherche Amy du regard. Il est seul, sans elle, et je crains le pire quand je remarque qu’il n’y a rien ici lui appartenant. — Tu m’expliques, reprends-je en me retournant pour lui faire face. Aaron se passe une main dans les cheveux, me fixe longuement avant de s’asseoir sur le fauteuil dans le coin de la pièce. Il s’allume une cigarette, avale et recrache la fumée avant de retirer une taffe. — Je suis allé à l’adresse que tu m’as fournie. Je les ai vus. Elle, les mioches et ce bâtard. Sourcils froncés, je cogite déjà et m’assieds sur le bord du lit sans l’interrompre dans son récit. — Je les ai suivis jusqu’au parc. Elle a un mec, p****n ! — A… Son regard acier me fait fermer ma gueule moralisatrice, alors je le laisse continuer. — Et deux morveux. Pas un, non. Deux, Crew. Il inspire une nouvelle fois sur sa clope, puis dans un nuage de fumée, reprend : — Sa petite famille parfaite s’amusait au parc, bataille de boules de neige. Waouh. Alors, je me suis approché. Je les ai écoutés parler… Rire aussi. Je l’ai observée. Elle. Parce que c’est elle que je voulais voir. Il se tait, et je retiens mon souffle, appréhendant la suite de son histoire. J’imagine la peine qu’il a ressentie en voyant la famille qui aurait dû être la sienne. La peine de voir son gosse galoper dans la neige et jouer avec un mec qui n’a rien à voir dans le tableau. Je peux ressentir la même fureur que lui, le même pincement au cœur en se sentant spectateur d’une réalité qu’on lui a volée. — Elle m’a vu. Et elle a essayé de me fuir… Encore une fois. — Tu lui as fait quoi ? le coupé-je froidement. Aaron redresse la tête et fixe ses iris aux miens. La tempête qui s’y joue est sombre et violente. Déferlement de haine viscérale, de regrets planqués, et d’incompréhension totale. — Le flingue caché dans la boîte à gants m’a servi. Déjà. Je me suis avancé vers cette pathétique famille, j’ai pointé mon arme vers ce bouffon et je l’ai menacée sous les cris des gosses. — Tu déconnes ? — Soit elle me suivait, soit je le flinguais. Elle a eu le choix. Je ne sais plus si je dois rire parce que je reconnais bien A, ou si je dois pleurer de ce plan de merde. La seule chose que je parvienne à prononcer est un “oh p****n le con” qui ne lui échappe pas. — Elle a hurlé autant que les mioches, ricane-t-il en écrasant son mégot sur la petite table devant lui, mais elle me connaît assez pour savoir que je ne plaisantais pas. Je lui aurais explosé la cervelle si elle ne m’avait pas suivi. — Elle est où ? D’un mouvement de la tête, A m’indique la porte derrière moi. — Je ne l’ai pas touchée, même pas effleurée… Enfin, un peu, tout compte fait. Je l’ai éraflée, je crois bien… Il souffle profondément, et sans attendre je me dirige vers la porte de la salle de bains.
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