Chapitre 1

2189 Words
En fait, ce sont plus mes potes que des simples mecs pour qui je garde la drogue. Depuis quatre piges qu’on se parle, j’ai bien appris à les connaître et à me lier d’amitié avec eux. Ce ne sont pas des mecs qui me servent de mauvaises fréquentations. Si aujourd’hui je suis là, avec eux, c’est parce que je l’ai décidé moi-même. J’assume le fait que je traîne avec des vendeurs de drogue, et j’assume aussi le fait que je suis pas très nette. Mais à part ça on est des gens simples, des personnes qui respectent ceux qui nous respectent. On se prend pas la tête, on vit au jour le jour et on fait notre taffe tous ensemble pour combler la famille. J’en ai rien à foutre que certain soit pas d’accord avec ça, vraiment. Complètement rien à foutre. C’est pas les gens qui payent mon loyer. —      7up Mojito ou 7up normal ? nous demande Samir avant d’aller à l’épicerie du coin. —      7up normal, tu connais, lui dit Tarek. —      Pareil, fais-je. —      La même, renchérit Nadir. —      OK. Et toi Madou ? Amadou, alias Madou pour les intimes, préfère prendre un 7up Mojito et Samir se tire acheter les canettes. —      Je suis grave crevé les gars, avoue Nadir en fumant la fin de son joint. —      Arrête de fumer, toi aussi, lui dis-je. Ça vous n***e la santé. —      Fait pas la daronne je vais te tarter. J’avais oublié de dire : Nadir, c’est celui avec qui je traîne le plus dans toute la b***e. En même temps c’est celui qui m’intéresse le plus. Eh ! je parle pas du physique, hein. Tout est dans le mental. Avec lui le feeling est passé plus vite qu’avec les autres. Il est débarre, il s’en bas les couilles de tout, il parle avec tout le monde et se montre souvent protecteur avec moi. Tarek aussi fait pareil, sauf que lui c’est plus sérieux. Genre, si je fais un truc qui ne leur plaît pas, Nadir va ouvrir sa gueule et m’engueuler ; Tarek, lui, il aime plus donner des coups.    Nan, je suis pas une soumise ou une meuf qui se fait battre. Disons juste qu’ils jouent les rôles des grands frères et qu’ils n’hésitent pas à me recadrer si ça ne va pas. —      Oh le tarpé de ouf qui vient de passer, mama ! s’exclame Madou en regardant vers le fond de la cité. —      C’était une quoi ? —      Rabeu, je crois. —      Oh j’y vais-je m’en bas les couilles, dit Nadir en se levant.      Un vrai con, ma parole. Pourquoi les mecs ont toujours faim, dites-moi ? Nadir s’en va et je prends sa place sur le bloc à côté de Tarek. —      Tu fais quoi aujourd’hui ? me demande ce dernier sans me regarder. —      Rien. Pourquoi, t’as prévu un plan ? —      Y a des ien-clar qui vont arriver tout à l’heure, t’as vu, et j’aimerais bien que tu sois là quand y aura le vote.      J’ouvre les yeux en grand. Le vote, c’est en gros le moment où le dealeur fait l’échange avec le client. Ce moment se passe toujours discrètement dans un endroit reculé. C’est un peu le taff le plus compliqué à gérer en cas de dégéneration. —      T’es sérieux ? Tu veux vraiment que je fasse partie du vote ? —      Ouais. Youss est pas là, et faut au moins deux personnes présentes sur les lieux.    Youss c’est celui qui vend la consommation avec les deux frères dans les escaliers du bâtiment. —      Pourquoi absolument deux personnes ? —      C’est comme ça, c’est tout, lâche Tarek. Alors, tu veux ou pas, Nana ? —      Arrête de m’appeler comme ça. Et ouais, c’est OK. —      Je t’ai toujours appelé comme ça, c’est pas maintenant que ça va changé.    Il me soûle. J’ai un prénom, merde. Anna, c’est pas compliqué frère ! —      Dès que l’échange s’est fait tu remontes pour ranger ce qu’il reste dans ta piaule, comme d’habitude. —      T’inquiètes, lui dis-je. C’est la première fois que je vais prendre la place de vendeur. Enfin, c’est pas vraiment moi qui ferais l’échange, mais j’assisterai au truc, quoi. —      Z va revenir bientôt avec beaucoup de kilos. Il m’en passera la moitié que tu devras garder, reprend Tarek, plus concentré. Tu m’étonnes. Quand sa parle du patron, c’est directe sérieux. On rigole jamais avec lui. —      Je la garderai combien de temps ? —      Maximum un mois. Faut qu’on vende tout avant. —      OK.    Samir revient avec toutes nos canettes et comme Nadir n’est pas là pour prendre la sienne je la prends à sa place. Tant pis pour lui, les absents ont toujours tort apparemment. —      Eh j’ai vu Nadir parler avec une go sur le chemin. Il compte pas vendre aujourd’hui ou c’est comment ? demande Samir. —      Bien sûr qu’il va vendre, répond Tarek en jetant sa clope sur le coté. Le charbon avant les putes, il le sait. —      Bien dit, frère ! fait Madou en fermant profondément les yeux. —      Tu penses à quoi ? je m’enquiers. —      A la meuf qui vient de passer. p****n, elle était vraiment trop bonne ! Et encore une fois, c’est toujours Nadir qui se les tapent. Mais quel e****é. On rigole tous comme des cons.   ***        Lors de l'échange dans les escaliers c'est le silence total. Tout se fait sans bruit, sans regard. Juste la consommation qui change des mains de Tarek pour gagner un billet. Tout ça se répète encore et encore devant mes yeux. Dans le hall y a deux gars qui s'occupent d'accueillir les prochains clients et surveiller au cas où il y aurait les condés. On est vraiment précis dans ce qu'on fait.   Le dernier toxico s'en va et Tarek détaille ce qu'il vient d'empocher depuis tout à l'heure. —      Combien ? je lui demande. —      2500. —      Propre. —      On gagne plus, d'habitude. —      Ah ouais ?     Je veux lui demander combien exactement mais un nouveau mec entre et Tarek me lance un regard de ceux qui veulent dire « ta gueule et fait le bail ». Je suis surprise mais je le montre pas. Il est sérieux là ? Il veut vraiment que je m'occupe du gars ? —      Wech, c'est pour un vingt de beuh, dit le client en regardant Tarek. —      C'est à elle que tu dois demander, répond ce shlag en me montrant du doigt. C'est un taré. J'ai jamais fait ça moi, je sais pas comment on procède. —      Depuis quand c'est les meufs qui vendent frère ? Dis pas nimp vas-y sort la cons' s'te plaît. —      T'es bouché ou quoi ? Je te dis c'est elle qui s'occupe de l'échange. Soit tu sors les billets et elle te donne ce que tu veux soit tu sors.       Le client hausse les sourcils et s'exécute quand même. Heureusement qu'il demande que vingt grammes de beuh parce que y en avait pas plus avec nous. Sinon fallait qu'on parte en reprendre jusqu'à perpète et j'aurais eu grave la flemme de m’en occuper.    Alors que je récolte le billet, j'entends Tarek derrière moi dire "à voté". Je me retourne vers lui quand le client s'en va de la cage d'escaliers et lui tends la thune. —      Vas-y, garde, lance-t-il. —      Jure ? —      Ouais ouais. C'est comme ton pourboire. T'iras t'acheter des grecs. —      Simer Tarekou. —      Eh commence même pas. —      OK Tarekou. —      Je t'ai dis quoi la p****n de toi ?? Il me prend par la taille et me fait tomber sur une marche. Je me cogne le coude contre le béton et crie comme une bouffonne. —      Mais p****n t'es con ou quoi dans ta tête ! Tarek est plié en deux. —      Je rigole pas. Tu m'as fait un bleu avec tes conneries. Sale connard. —      Parle bien avec ta bouche sinon je vais vraiment te faire mal et tu vas pas assumer. Je dis rien mais l'insulte de tous les noms dans ma tête. Quand il menace, je sais que Tarek est sérieux et qu'il est prêt à agir. Et là je me suis fait trop mal pour pouvoir lui déclarer la guerre. Mon téléphone sonne dans la poche de mon survêtement PSG et je le sors pour répondre. Sauf que ce con me l'arrache des mains juste avant et répond à ma place. —      Tarek tu casses les couilles zeubi ! —      Ferme ta gueule ! ... Ouais, allô ?... Ahhh Nadir c'est toi... Alors, t'as gratté le num de la meuf ou quoi ?... Ahah espèce de connard vas-y revient on t'attend pour les derniers ien-clar. Il me repasse mon bigo et je vois que Nadirux a déjà raccroché. Il est chiant. J'aurais bien aimé me taper un grec avec lui en bas de la cité moi. —      Bon tient, me dit Tarek en me donnant le reste de la cons'. Range tout chez toi, je passerai demain pour prendre ce qu’il faut OK ? —      Vas-y chef. —      Ah tu connais Nana. J’aime quand tu m’appelles comme ça. —      n***e ta race aussi. Il se lève pour m'attraper mais j'entre dans le hall à temps en refermant la porte derrière moi pour le semer. J'avoue je fais la tapette mais la prochaine fois que j'aurais des forces j'accepterais qu'on casse un tête. —      Bon je monte les gars, fais-je à Madou et Samir.      Les deux me font un signe et je vois au même moment Nadir revenir, tout content. Je sens qu'il a réussi à gérer la meuf de tout à l'heure. Ahah.   ***   —      Anna ! —      Quoi encore ?? —      Mama a dit viens mettre la table. Je dis à Younes de dégager de ma chambre et sors pour aller aider la daronne. Ce soir c'est tajine au poulet. Normal, y a de la famille qui vient se la ramener : ma tante Yasmina et ses deux filles Selma et Salwa. Elles deux c’est des sketch à elles seules : elles te changent de sujet en une minute chrono pouvant passer du rire au larme. Je comprends pas trop leur délire. Je crois qu’elles sont bipolaires des fois. A moins que ce soit moi qui ai des problèmes de compréhension. —      Alors, t'as toujours pas cherché de travail ? me demande ma mère quand je la rejoins dans la cuisine.       À chaque fois il faut qu'elle me reparle de ça. Vu qu'elle sait que j’ai arrêté les cours, en tant que daronne elle veut absolument que je cherche un taff et que j'apprenne à devenir indépendante, genre avoir le permis en poche et le petit appart avec le mari tout ça tout ça. J’ai menti en lui disant que l’argent que je lui donnais chaque mois venait d’un aide financier de la mission locale de ma ville, mais ce qu'elle sait pas c'est que j'ai déjà un taff, et qu'il me rapporte gros. Bon, après pour ce qui est du mari et du permis ça c'est une autre histoire. —      Je cherche encore, maman... lui dis-je en prenant les assiettes qu'elle me tend. —      Le temps presse, ma fille. Tu as maintenant 21 ans. À 25 ans tu dois absolument avoir trouvé ton mari. Moi tu sais à ton âge je t'avais déjà dans le ventre...      Et c'est reparti pour un speech que je connais déjà par cœur. Ma mère est d'origine marocaine et mon père était algérien malgache. Ils se sont rencontrés en France, dans notre ville, à l'âge de dix-huit ans. A ce qu’il paraît ça a été le coup de foudre directe. En même pas deux ans ils se sont mariés et m'ont eu. Mama parle plus trop de baba depuis qu'il est décédé mais j'ai quand même certain souvenir de lui. Y a des choses qui restent flous, d'autres que je me souviendrai toute ma vie. C'est ça de perdre son daron quand on est jeune, hein...    La sonnette de l'appartement retentit à l'entrée et Younes part ouvrir. Mes cousines se précipitent sur moi et me pincent les joues. Elles savent très bien que j'aime pas ça p****n ! —      Tirez-vous wech ! —      Nous aussi on t'aime, me dit Salwa en ricanant. On passe à table et ensuite on va dans ma chambre pour que la daronne et sa sœur parlent tranquillement. Selma s'assoit sur le lit et Salwa inspecte en détail ma chambre comme si elle jouait à la chasse au trésor. Elle joue à quoi cette folle là ? Ma parole en vrai elles sont chelou mais elles sont différentes, les deux. Déjà l'une est brune et l'autre s'est teint en blonde. Selma, la brune, a 20 ans et c'est plutôt la meuf discrète qui est assez intelligente, tandis que Salwa c'est la ouf de 21 piges qui bouge dans tous les sens et qui fait rire h24. Par contre là elle me fait pas rire du tout à s'approcher dangereusement de ma cachette où y a toute la consommation… —      Arrête de fouiner ! je m'écrie en me mettant entre elle et mon armoire. —      Laisse-moi regarder tes vêtements nan ? —      Pourquoi faire ? Tu sais très bien comment je me sape. —      Obligé tu dois avoir autre chose que des bas de survêtement et des hauts de joueurs de foot. —      Même pas. Bon maintenant va t'asseoir à côté de ta sœur, tu fais mal au crâne là. Elle me regarde de haut en bas mais m'écoute quand même. Tant mieux, j'ai pas la tête à crier. —      C'était juste pour voir tes habits, Anna, dit Salwa comme pour se justifier. Si tu paniques autant pour ça, c'est que tes vêtements doivent être vraiment moches pour que tu refuses qu'on les voit hein. Ah, si elle savait...   
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