Chapitre 6

2441 Words
Une semaine est passée depuis que la daronne est à l'hosto. Je vais la voir au moins une fois tous les deux jours et reste à son chevet. Je lui parle, mais je sais pas si elle m'entend. On sait pas vraiment ce qu'elle a. Elle se réveille et d'un coup elle se rendort, c'est archi inquiétant. À chaque fois que je suis là elle dort, en plus. J’ai pas de chance.     Elle me manque. Elle me manque de ouf. J'ai envie qu'elle aille mieux, qu'elle rentre à la maison et qu'elle nous fasse ses bons petits plats qu'elle nous fait habituellement. Quand je la vois dans ce lit je deviens nostalgique. Je sens que je vais encore chialer. J'aime pas ça p****n.  Faut je pense à autre chose.      Finalement le petit frère a déménagé chez notre tante dans la cité voisine, avec Salwa et Selma. Je pense que c'est difficile pour Younes de s'intégrer à une famille où y a que des meufs (leur darron est lui aussi décédé) mais va falloir qu’il s'adapte. Il n’a pas le choix, c'est tata Yasmina qui l'a forcé. Elle voulait aussi que je vienne chez elle, mais j'ai dû refuser. C'est par rapport à la consommation dans l'armoire de ma chambre. Si elle est cachée là c'est pour que je surveille ce qu'il y a à l'intérieur et que je ramène les kilos dans le bloc les jours où sa vend. Donc je peux pas me permettre de manquer à l'appel du devoir.      Financièrement tout va bien. Avec la thune que je gagne tous les mois je crois que je vais pouvoir gérer seule les responsabilités de l’appartement si la mama revient pas tout de suite. Au moins une chose de bien. Là je suis posée sur le fauteuil devant la télé. Tout à l'heure j'étais dehors avec Tanya mais elle m'a laissé pour aller voir son mec. Il s'appelle Lounes et c'est un Kabyle. Elle est tellement amoureuse de lui ! Mais d'un côté c'est bien. Au moins elle a déjà trouvé son hlel.      Mon téléphone vibre.   [Naweloush : tu sors ? Je m'ennuie comme une ouf]   [Moi : vas-y. T'es où ?]   [Naweloush : en bas de mon bât]   [Moi : j'arrive]   Je visse ma casquette sur ma tête et enfile la veste de mon ensemble du Barça. Je mets mes chaussures et sors. Je rejoins Nawel et on monte pour aller chez elle, vu que dehors il fait un peu froid. Lorsqu'elle ouvre la porte de son appartement, la porte d'en face s'ouvre et un rebeu en sort avec un gros sac de sport dans les mains. Hum, mignon garçon celui-là. Il me souris, je lui rends par simple politesse et rentre chez ma pote. Je sais pas il vient de se passer quoi là. C'était chelou un peu. Comment ils disent déjà ? Ah ouais. C'était comme un "coup de foudre". Sauf qu’en réalité y avait pas la foudre, juste le coup que je me suis pris en me cognant contre la porte. Aïe. —      Bon, parle, me dis Nawel quand on arrive dans sa chambre. —      Parler de quoi ? —      De ce que tu penses de Ichem. Ichem ??? C'est qui lui ? —      C'est qui ça ? demandé-je. —      Le mec qui vient de sortir du pallier d'en face ! Ils sont nouveaux dans la cité. Avoue t'as kifé. —      Wah calme tes hormones ma sœur ! J'ai rien kifé du tout. Il m'a souris je l'ai souris, c’est tout. —      Alors comment t'expliques que moi ça fait cinq fois que je le vois et qu'il m'a même pas souris une seule fois ? Elle croit que je suis psychologue ou quoi. —      J'en sais rien moi. Peut-être parce que t'as la tête d'une meuf qu'on veut pas approcher. Nawel lève son doigt d'honneur et bois dans sa cannette de Tropico. Elle m'en propose mais je refuse. J’ai pas trop soif ces derniers temps. On parle de tout et de rien et à un moment elle lance le sujet sur la daronne. Je crois que toute la cité a appris la nouvelle. Nawel me demande de ses nouvelles et s'inquiète de son état quand je lui dis qu'on sait pas ce qu'elle a.      Heureusement pour moi, la journée se termine vite et je finis par rentrer chez moi à 20h. Dehors il y a plus de soleil et le vent commence à se lever. Je marche tranquillement et je tchek les grands qui sont posés dans le bâtiment de Nawel. Ensuite j'entre dans ma cité et je vois Ichem ou je sais plus qui dans un coin, seul, avec une clope dans la bouche. J'hésite à aller lui parler. Eh ! je le connais pas, pourquoi j'irais gratter l'amitié même ? J'avoue. Je continue ma route jusqu'à mon hall. A l'intérieur il n’y a pas un chat. Même pas Madou ni Lounis qui d'habitude restent toujours ici. —      Eh ! T'es la pote de Nawel nan ? j'entends derrière moi.     Je me retourne avant d'entrer dans l'ascenseur et vois que c'est Ichem. Donc c'est lui qui veut gratter l'amitié en fait. Je reviens vers lui. —      Ouais je suis sa pote pourquoi ? —      Nan comme ça tranquille. Je voulais juste me renseigner. Anh… —      Et sinon, tu t'appelles comment toi ? ajoute-t-il. —      Anna. Et toi ? Je le sais déjà mais vas-y faut faire genre sinon il va se faire des films. —      Ichem. Je viens d'emménager ici. —      Ouais Nawel m'a dit ça. Putain pourquoi j'ai dit ça ? —      Ah donc vous avez parlé de moi avec ta pote ? Mdr ça va vite par ici hein. —      Mais reste flex aussi. Je lui ai mis ce coup de pression sans même m'en rendre compte. C'est sorti tout seul. —      Ah ouais je vois t'es quel genre de meuf toi, me dit-il en fumant sa clope. En vrai c'est même pas une clope. Un vrai bédo sa mère ouais. Ça sens à la mort le s**t. —      Et je suis quel genre de meuf alors ? fais-je, un sourcil levé. —      Tu fais le bonhomme à cause de ta carapace mais en vrai t'es le genre à s'énerver pour un chignon niqué ou pleurer comme une folle quand ton mec te quitte. Alors là, il fait complètement fausse route ! —      Déjà je mets rarement de chignon, commencé-je. —      C'est dommage. Je suis sûre que tu serais mieux avec. —      BREF. Ensuite j'ai pas de mec donc je vois pas pourquoi on me quitterait. Et puis t'es fou toi, si quelqu'un doit larguer l'autre c'est moi, pas lui ! Ichem rigole et une fossette ressort sur sa joue droite. J'aime trop les fossettes. —      Tu me fais rire. T'es une vraie petite marrante. —      Et toi t'es un mec qui juge trop vite. Vieux consommateur là... —      T'en veux ? me propose-t-il. —      De quoi ? Du bédo ? —      Ouais. —      T'es fada dans ta tête toi ! Je te traite de vieux consommateur et tu me propose une latte, sale malade ! —      Tranquille c'est rien. Tu vas voir, ça va t'apaiser, parce que là t'es trop à cran Il n’a pas tout à fait tort. J'hésite vite fait. —      Nan, finis-je par dire. C'est pas bien. Même toi tu devrais arrêter. —      Tu crois que la vie c'est facile ou quoi. Bref, je vais rentrer. T'as un numéro ? J'avoue je m'attendais pas à ce qu'il me le demande. Mais comme il a l'air gentil et qu'il m'a fait rire vite fait je lui donne. Tranquille, c'est pas comme s une suite entre nous était possible, pas vrai ?   ***        Deux jours plus tard je suis de nouveau à l'hôpital. Younes n'est pas venu car il est en cours. Je me dirige dans les grands couloirs et ouvre la porte de la chambre où est ma mère. Le problème, c'est que quand j'entre, je ne la vois pas dans le lit. Mon sang ne fait qu'un tour. La panique monte et je la cherche partout dans la chambre et même dans la petite pièce où y a les toilettes. Mais rien. Elle est plus là p****n !!    Je ressors en furie et attrape le premier infirmier que je croise. Je suis en colère. Ils la change de chambre et même pas ils m'en parlent ! —      Où est ma mère ?! je gueule. J'attire l'attention de quelques personnes dans les parages. Complètement rien à foutre. —      Calmez-vous mademoiselle, me dit le gars en blouse blanche. Quel est votre nom de famille ? —      Zenoud. Ma mère s'appelle Amel Zenoud et elle était dans cette chambre y a encore deux jours ! fais-je en pointant du doigt la porte derrière moi. Le type remet bien ses binocles et un collègue à lui arrive. Ah, c'est celui à qui j'ai parlé la dernière fois. Il a intérêt à me donner des réponses ! —      Alors, où est ma mère ?? —      Suivez-moi mademoiselle Zenoud, me lance-t-il doucement. Je souffle et le suis. Plus on avance dans les couloirs et plus je m'inquiète. Il avait l'air d'être vraiment sérieux quand il m'a dit ça. Mystique. On arrive devant une nouvelle porte et avant qu'il me face entrer, il me dit : —      Je dois vous mettre en garde. L'état de votre mère a tout l'air de s'être empiré. Nous ne pouvons pas déterminer explicitement ce qu'elle a, mais nous pensons qu'elle est comme dans une sorte de coma artificiel. Rares sont ces cas-là chez nos patients. Et... Je ne le laisse même pas finir. Parmi tout ce qu'il vient de dire j'ai seulement retenue le mot coma. Je combats l'envie de chialer. Nan, faut pas que je perde pieds maintenant. D'abord je dois la voir de mes propres yeux. Le docteur comprend que je l'écoute plus et ouvre la porte pour me laisser seule un moment avec ma mère. Même endormie et gravement malade elle reste belle. Je lui caresse doucement le haut des cheveux et l'embrasse sur la joue. —      Tu vas pas me lâcher, mama. Tu entends ? Tu restes ici, avec nous. La larme arrive. Je remercie le Ciel que personne soit là pour me voir perdre le contrôle. Quand on a pitié de moi je déteste ça. Je lui parle encore un instant puis quand il est l’heure, je retourne à la maison avec air amer. —      Wech, c'est quoi ça ? sifflé-je quand je vois que la porte de l'appart est ouverte. Ça peut pas être Younes vu qu'il est en cours et qu'il a pas intérêt à sécher s'il veut pas se manger mon coup dans la tronche. Ça peut pas non plus être quelqu'un de la famille puisque personne n'a le double des clés. Et c'est encore moins un des gars de la cité. Qu'est-ce que ferait un de mes potes chez moi, même ?      J'entre, préparant mes poings devant mon visage au cas où c'est un cambrioleur. J'avance doucement et entends du bruit vers ma chambre. J'ai chaud tout d'un coup. Et si c'était pour la consommation ?? Je cours dans l'autre pièce et là, je la vois. Elle. Linda. —      Anna ! s'écrie-t-elle en me prenant dans ses bras. Je reste totalement figée. J'y crois pas. J'arrive pas à réaliser qu'elle est là, sur Paname, à la maison. Ma grande sœur.   ***   Linda m'a expliqué qu'elle est là car elle a appris pour maman. Elle peut pas rester ici très longtemps car y a sa famille qui l'attend à Lyon mais elle veut dormir quelques jours au moins histoire de la voir et de rester un peu avec moi. Ça me fait grave plaisir. Ça faisait plus de deux ans que je l'avais pas vu quand même ! —      Alors, parle-moi de toi, lance ma grande sœur. Je hausse les épaules. Je sais pas trop quoi dire. —      T'as bien des choses à me raconter. T'as tellement changé Anna ! Tu es toute jolie. Dommage que tu sois toujours habillée comme un garçon. (Comme je garde le silence elle s’impatiente :) Allez, dit moi tout, je t'écoute ! Je suis pas venue ici pour converser avec un mur.      Pourquoi lâche-t-elle pas l’affaire ? Elle sait très bien que je suis pas du genre à beaucoup papoter pourtant. —      Qu'est-ce que tu veux que je te dise ? Mama est à l'hôpital, presque dans le coma et Younes vie chez Yasmina. Toujours les mêmes potes et pas encore le permis. —      Et les études, alors ? —      Arrête. Tu sais très bien que c'est fini pour moi ça... —      p****n mais bouge toi le cul Anna ! T'es grande maintenant, tu dois savoir être indépendante et te trouver un métier, un vrai !      Non elle ne sait rien pour la bicrave. C'est juste que quand on s'appelle je lui sors toujours le coup de l’allocation et les petits job par-ci par-là. Mais elle soûle elle aussi à vouloir jouer les daronnes. C'est pas parce qu'elle a cinq ans de plus que moi qu’elle doit faire l'ancienne. —      J'ai que 21 piges, j'ai encore le temps pour trouver ma voie ! je prétexte. —      Ce que tu comprends pas c'est que c'est maintenant ou jamais que tu dois te bouger le cul. T'as pas de diplôme OK, mais je sais que tu as les capacités. Tu perds tellement ton potentiel à t'habiller comme n'importe quoi et à traîner dans la cité comme les racailles ! —      Est-ce qu'on fait chier les gens, même ? On est dans notre coin pépère. —      On s'en fou des gens, Anna ! Je te parle de toi ! T'es une petite branleuse qui fout rien de la journée et qui n'essaie même pas de trouver un taff. Déjà le fait que tu aies des origines maghrébines les fait fuir, mais alors si tu joues la folle de cité tu peux être sûre que tu n'auras jamais d'avenir en France !      Elle gueule clairement, et ça me les casse sévère. Je souffle et évite son regard. J'ai grave envie de la remettre en place mais comme c'est la grande de la famille je peux pas. A part si je suis suicidaire. Croyez-le ou non, quand j'étais petite et que Linda vivait encore à la maison, je m'en suis mangé plein des coups de sa part ! —      Comment tu vas faire pour gérer l'argent de la maison pendant que mama est à l'hôpital, hein ? Dis-moi comment tu vas faire ? Eh bah tu peux pas, parce que tu n'as rien. Donc il va falloir que je t'aide. Si elle savait. Je crois bien que je gagne plus qu'elle et son métier d'agent immobilier. C'est même sûr, en fait. La première année je récoltais 1300 euros pour le rôle de nourrice ; maintenant que j’ai de l'expérience et que parfois je m'occupe des petits rôles de rabatteur et de guetteur, je gagne 2300 euros par moi. Alors niveau financier j'ai pas à m'en faire.      Mais ça, Linda le comprendra jamais, parce que jamais je pourrai le lui dire. Si un membre de ma famille l'apprend, n'importe qui que ce soit, je suis dans la merde. Ça c'est sûr.
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