Le poids du sang

1113 Words
Les pneus crissent dans le silence de l’aube. La voiture de Pierre s’arrête brutalement devant l’enceinte de la meute. Il descend, les traits tirés, le souffle court. Son cœur bat à tout rompre — non pas de fatigue, mais de peur. Cette peur sourde qu’il n’a jamais osé nommer : celle de perdre sa fille… sans jamais l’avoir vraiment connue. Elias l’attend devant la grille, aux côtés de l’Alpha. Leurs visages sont graves, tendus. Aucun mot ne vient. Il n’y en a pas besoin. Pierre serre les poings. — « Alpha, Elias, où est-elle ? » Elias hoche simplement la tête. — « Suis-nous. » *** Le couloir du dispensaire semble infini. Le temps, lui, se fige. Les murs pâles résonnent de cette tension impalpable. Le regard de Pierre glisse sur chaque porte, chaque lumière… jusqu’à ce qu’il la voie. Noura. Sur ce lit trop grand. Trop froid. Son visage est pâle, presque translucide. Branchée à des machines. Endormie… ou perdue. Il chancelle. Une main contre le mur. L’autre sur sa bouche. Il ne dit rien. Il ne peut pas. La honte et la douleur l’étouffent. Elias baisse les yeux, le laissant seul un instant… Mais pas pour longtemps. — *PAF !* Le coup est net, v*****t. Venu de nulle part. Pierre vacille, se tient la joue. Devant lui : *George.* Son regard est de feu. Sa voix, un cri contenu : — « Où étais-tu, hein ?! Quand Noura avait besoin de toi ?! » — « Qui est tu? … » — « Non ! Tais-toi ! Où étais-tu quand Ilaria trimait pour lui offrir un repas chaud ?! Quand ta fille pleurait en silence l’absence d’un père ?! » Pierre tente de répondre, mais aucun son ne sort. — « Tu ne mérites pas le mot. *Père*. » George s’approche encore, tremblant de rage : — « Et tu veux savoir le pire ? Ilaria. Oui. Ta précieuse Ilaria… c’est elle. J’en suis sûr. C’est elle qui a trahi Nora. et cet elle qui voulait la tuée. » Un silence brutal tombe. Pierre reste figé. L'information ricoche dans sa tête comme une balle : *Ilaria ?* *Sa propre fille ?* Ses lèvres tremblent. — « Non… C’est… C’est impossible… » Mais au fond de lui, une peur plus ancienne, plus profonde… commence à remonter. Et rien ne sera plus jamais comme avant. L’Alpha éloigna George d’un geste ferme, sans violence. Ses yeux brillaient de détermination, mais il comprenait ce qui ne se disait pas : "C’est pas le moment pour la colère." Pierre resta seul dans la chambre de Noura. La lumière pâle de l’hôpital baignait son visage blafard, comme si le temps s’était arrêté. Il s’approcha lentement, s’agenouilla près du lit et prit sa petite main froide. Ses larmes commencèrent à couler, lourdes et salées, capables de creuser la pierre. — « Pardonne-moi, Noura… » Murmura-t-il d’une voix étranglée. — « Je ne sais plus quoi penser… Mon esprit refuse d’accepter… Ilaria ? Pourquoi ? C’est une bonne fille … Je l’ai élevée avec amour, pas avec trahison… » Puis, comme un éclair qui transperce le brouillard de ses pensées, il recula légèrement, ferma les yeux, comme si quelque chose explosait en lui. — « Caïro… est-il ton compagnon ? » Il ouvrit les yeux, fixant les murs comme si la réponse y était écrite. — « Est-ce pour ça que tu vivais avec lui sous forme de loup ? Est-ce la raison de ta rébellion ? » Il se leva soudainement, marchant nerveusement dans la pièce, se prenant les cheveux à deux mains comme étouffé par la douleur intérieure. — « Non… c’est une folie… » — « Si Caïro est ton compagnon… et Ilaria, ma fille, va l’épouser… cela signifie qu’il t’abandonnera, comme j'ai abandonné ta mère. » Il s’arrêta, le visage déformé par le choc, la voix tremblante : — « Non… je ne le permettrai pas. Ce mariage ne peut pas avoir lieu. » Il se dirigea vers la fenêtre, regardant le ciel gris : — « Je vais agir. J’empêcherai cette tragédie de se répéter. Même si je dois affronter tout le monde… y compris Caïro lui-même. » Dans ses yeux, il n’y avait pas seulement de la colère, mais la peur d’un père… et un amour tardif, déchirant. Il était resté seul dans la chambre d’hôpital, la main de Noura toujours dans la sienne. Le silence était lourd, ponctué seulement par le bip lointain du moniteur cardiaque. * Flashback— Dans l'esprit de Pierre* Un souvenir est venu, v*****t comme une gifle. Il revoyait ce jour… le jour où tout avait basculé. Son père et sa mère, dans le grand salon en marbre, l’avaient regardé droit dans les yeux : — *« Tu es un Aldo, Pierre. Tu vas épouser une femme de ton rang. »* Ils avaient choisi pour lui. *Brilla.* Belle. Raffinée. De leur monde. Et lui… il avait obéi. Par faiblesse. Par peur. À cette époque, *Ilaria*, sa *louve*, celle qu’il aimait sans condition attendait un simple appel. Un signe. Mais chaque fois qu’elle appelait, il lui écrivait simplement : « En réunion. Je t’appelle plus tard. » Il ne l’a jamais rappelée. Il se souvenait des rendez-vous avec Brilla, des dîners mondains, des photos dans les journaux. Il se souvenait aussi d’avoir évité le regard d’Ilaria dans les couloirs sombres du manoir qu’ils partageaient parfois. Ilaria ne savait pas qu’elle était enceinte. Mais elle sentait qu’il s’éloignait. Elle pleurait seule, chaque nuit, jusqu’à sombrer dans un sommeil douloureux. Puis un jour… la télé. Elle l’a vu annoncer ses fiançailles avec Brilla, le sourire figé. Et là… elle s’est effondrée. Littéralement. Perte de connaissance. C’est la tente de George, une louve solitaire et amie fidèle, qui l’a trouvée et emmenée à l’hôpital. C’est là qu’Ilaria a appris qu’elle portait son enfant. *Noura.* Deux semaines plus tard, c’était le mariage. Ilaria n'était pas invité. Mais elle est venue, En noir, Comme pour enterrer son propre cœur. Elle est restée à distance de l’église, dans l’ombre. Pierre disait ses vœux. Il jurait fidélité et amour… devant Dieu. Elle l’a vu embrasser Brilla. Souriant. Radieux. Et puis leurs regards se sont croisés. Il l’a vue. Ses yeux gonflés. Son visage ravagé par les larmes. Ses genoux qui ont cédé sous elle. Il a senti son cœur s’arrêter un instant. Un instant seulement. Puis il a baissé les yeux. Et il a continué à marcher. Avec sa nouvelle épouse. *Retour au présent.* Pierre se tenait à côté du lit de *Noura*. La gorge nouée. Les poings tremblants. Il comprenait enfin ce qu’il avait brisé. Et ce que sa fille avait hérité de cette douleur.
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