À l'aube naissante, le téléphone de Cairo grésilla dans le silence de la chambre. La voix de Steve, tranchante comme une lame, lui parvint sans préambule :
— On a localisé l’endroit d’où a été envoyée le message … celui qui parlait du poison pour Nora.
Il n’hésita pas. Un dernier regard vers Nova plongée dans ces rêves. Une seconde d’hésitation… Devait-il la réveiller ? Mais l’ombre de la menace pesait plus lourd que ses scrupules. Il referma la porte sans un bruit, comme s’il scellait bien plus qu’une simple pièce.
---
La maison modeste, en périphérie de la ville, les attendait comme un piège désert. Ses hommes encerclèrent les lieux avec une précision mécanique, mais l’homme s’était évaporé quelques minutes avant leur arrivée.
"Comment avez-vous pu le laisser filer ?! " La voix de Cairo explosa, déchirant le silence comme une balle perdue.
Un lourd silence s’abattit. Même le vent semblait retenir son souffle.
Puis Steve s’avança, tendant un objet d’un geste apaisant :
" Il a laissé ça… oublié dans sa fuite, sans doute."
Cairo saisit la carte d’identité froissée. Ses yeux parcoururent le nom : Jake Alrivero.
"Alri… vero ? " murmura-t-il, comme si les syllabes lui brûlaient les lèvres.
Steve perçut l’étincelle dans son regard :
" Ce nom te dit quelque chose ?"
Pas de réponse. L’esprit de Cairo fouillait ses souvenirs, cherchant désespérément un fil invisible… un lien entre le passé et le danger présent.
" Pas encore… " finit-il par dire, serrant la carte comme s’il voulait en extraire la vérité " Mais traquez chaque trace. Je le veux devant moi avant la fin de la semaine"
Ses doigts tremblaient à peine. Le nom tournait dans sa tête, obsédant. Alrivero… Ce n’était pas un hasard. Il le savait.
Mais pour l’instant, Jake n’était qu’un fantôme à capturer.
Bientôt, très bientôt, les ombres se dissiperaient.
---
Cairo n’avait pas encore refermé la porte de son bureau qu’il l’aperçut — Ilaria, drapée dans la lumière tamisée, assise sur le canapé comme une ombre élégante. Le temps semblait s’être suspendu autour d’elle. En le voyant, elle se leva avec la grâce d’une féline, et son b****r effleura sa joue tel un souffle printanier.
— « Bonjour, mon amour», murmura-t-elle, une pointe de reproche dans la voix.
— « Bonjour… » répondit-il, l’esprit encore prisonnier des rues sombres et du nom qui hantait ses pensées. « Tout va bien ? »
Elle croisa les bras, faisant danser les reflets dorés de ses bracelets. Une moue théâtrale ourla ses lèvres :
— « Je boude. Tu m’as abandonnée au milieu de la fête, hier. Comme une malapprise. »
Un éclair traversa son regard — la mémoire lui revenait, brumeuse. Les notes de jazz, le téléphone qui vibrait comme un avertissement…
« Désolé. Une urgence… » Sa voix se perdit dans l’entre-deux.
Elle se rapprocha, cette fois-ci, son parfum enveloppant l’espace entre eux. Notes de vanille et de danger.
« Rattrapons ce retard, ce soir. Rien que toi et moi. Dans ta villa… »
Mais il secoua la tête, lentement, comme on écarte un rêve tentant.
« Pas ce soir. Nova est de retour. » Une pause. « Et vous deux… êtes comme le feu et la poudre. »
Le visage d’Ilaria se figea. Une glaciale métamorphose.
« La confiance d’une chienne ? » Le mot jaillit, coupant comme du verre.
« Apprends-lui plutôt à ne pas croiser mon chemin. »
Et elle tourna les talons, ses escarpettes claquant sur le marbre comme autant de coups de feu.
Le bureau sembla brusquement plus vaste, plus froid. Cairo s’y laissa tomber, les doigts crispés sur l’interphone :
« Un café. Noir. »
---
Dehors, Ilaria ne prit pas la direction de chez elle. Ses pas la portèrent vers la villa — sa villa, dans son esprit. Les gardes s’effacèrent devant elle ; elle était l’écho familier de ces murs.
La porte s’ouvrit sur un intérieur silencieux. Son regard balaya l’espace, chassant l’ombre d’une présence. Où es-tu, petite sauvageonne ?
Cette fois, elle ne partirait pas sans avoir marqué son territoire.
------
Le crépuscule enveloppait la villa d'une lumière dorée lorsque Nova, encore étourdie par son repas, entendit le crissement des pneus sur le gravier. Un frisson lui parcourut l'échine. En un instant, elle balaya les traces de son passage - une assiette oubliée, des miettes sur la table - avant de se laisser glisser dans sa forme lupine avec la fluidité d'une ombre changeante.
Quand Ilaria franchit la porte, elle trouva la louve allongée près du canapé, apparemment endormie. Un sourire cruel ourla ses lèvres rouges.
"Une petite chienne capricieuse..." murmura-t-elle en traçant du bout de son escarpin une ligne imaginaire près des pattes de Nova. "Cairo croit que je dois mériter ta confiance ?" Son rire cristallin résonna comme du verre brisé. "Tu serais sa mère, peut-être ?"
Les paupières de Nova s'ouvrirent lentement, révélant des yeux d'un ambre étrangement humain. Ses crocs se découvrirent dans un silence éloquent.
Ilaria se pencha, jusqu'à ce que son souffle chaud effleure les oreilles pointues de la louve. "Sais-tu qu'un peu de poison dans ton bol suffirait à régler nos problèmes ?" chuchota-t-elle, chaque mot un venin distillé.
Ce fut comme si le temps s'était suspendu. Dans un éclair de fourrure et de muscles tendus, Nova bondit. Ses crocs brillèrent à un cheveu du cou pâle d'Ilaria... avant qu'un tremblement presque imperceptible ne la fasse reculer.
Ce que vit alors Ilaria la glaça jusqu'à l'âme : dans ces yeux de bête brûlait une intelligence trop humaine, une maîtrise trop consciente. Exactement comme chez Ignacio lors de ses transformations.
Le claquement sec de la porte marqua sa fuite. Dans sa voiture, ses doigts blanchis sur le volant trahissaient son trouble. "Impossible..." souffla-t-elle en observant dans le rétroviseur la villa qui s'éloignait. "Cette lueur dans ses yeux... Elle n'est pas ce qu'elle semble."
Son message à Ignacio tremblait sur l'écran : "Urgent. Elle n'est pas une simple louve."
---
De retour dans le salon, Nova sentait son cœur battre à un rythme sauvage. Ce n'était plus de la colère, mais la certitude froide d'une déclaration de guerre. À travers la baie vitrée, ses yeux suivirent longtemps les phares disparaissant dans la nuit.
Quand Cairo rentra enfin, il trouva sa louve paisiblement endormie, les flancs se soulevant avec régularité. Rien ne trahissait la tempête qui venait de se jouer - sauf peut-être une serviette légèrement déplacée près de la piscine...
La cuisine baignait dans une lumière laiteuse lorsque Cairo remarqua les détails discordants : des restes de nourriture mal cachés, une assiette propre mais oubliée trop vite. Son front se plissa. La cuisinière était en congé, alors qui...?
Plus tard, en sortant de la piscine, la serviette qu'il saisit était encore tiède d'une présence récente. Ses doigts hésitèrent, comme s'ils touchaient un mystère. Dans la chambre, le pelage légèrement humide de Nova acheva de l'inquiéter.
Les mots du vétérinaire lui revinrent en écho : "Un sang hybride... Des cellules uniques." Assis au bord du lit, il observa la louve endormie dont le souffle régulier semblait trop conscient, trop contrôlé.
Une vérité se dressait devant lui, terrible et fascinante. La frontière entre l'homme et la bête n'avait jamais été aussi mince... ni aussi dangereuse.